L’Iran traverse aujourd’hui une période politique et sociale critique, marquée par de profondes crises structurelles, une érosion dramatique du capital social et une désillusion généralisée de la population à l’égard du régime clérical au pouvoir. L’emprise du régime sur le pouvoir repose de plus en plus sur deux piliers : la quête de la bombe nucléaire et une forte augmentation de la répression intérieure, notamment des exécutions. Cette gouvernance fragile et réactive révèle un régime qui lutte pour sa survie.
Il ne se passe pas un jour sans que les responsables du régime, leurs partisans et les médias d’État ne lancent des avertissements alarmistes quant à l’effondrement de la confiance sociale et de la légitimité. Un thème récurrent est leur inquiétude envers la jeune génération, une population qui a dépassé le régime en termes de croyances, de culture, de politique et d’aspirations. Depuis plus de deux décennies, et plus particulièrement ces dernières années, cette génération représente un défi existentiel pour l’establishment théocratique.
Le désespoir du régime a atteint un point où il propose des initiatives de « gestion de proximité » pour reconstruire le capital social – des efforts qui impliquent la mobilisation d’institutions comme le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et les Bassidj. Il ne s’agit pas de programmes sociaux au sens classique du terme, mais plutôt de tentatives de rétablir le contrôle par une surveillance communautaire militarisée.
La haine du public envers le régime est si profondément ancrée que les religieux présentent souvent ce rejet comme une guerre contre « Dieu et ses saints ». Ce cadrage théologique est utilisé pour diaboliser la dissidence, en particulier parmi les jeunes. Le mépris de la jeune génération est régulièrement reconnu par les responsables, même si c’est de manière indirecte ou codée.
Un exemple de ce genre s’est produit le 4 juin 2025, lorsque Mehdi Mandegari, un religieux se présentant comme un érudit du séminaire et de l’université, s’est exprimé sur la chaîne de télévision Ispahan Network. Il a déploré : « Les ennemis ont tout fait pour empêcher les gens d’entendre la parole de Dieu et de ses saints. Aujourd’hui, l’ennemi tente même de nous empêcher, nous qui avons grandi dans les mosquées, d’entendre les messages divins. Combien de fois par jour consultez-vous les messages de votre téléphone ? Cent fois ? Mais combien de fois ouvrez-vous la boîte à messages de Dieu, le Coran ? Pas une seule fois.»
Ce que Mandegari révèle par inadvertance est une crise profonde : la base même du régime se détache de plus en plus des fondements idéologiques qui soutenaient autrefois le régime clérical.
Nulle part ailleurs cette désintégration n’est plus visible que dans le cyberespace. Ironiquement, alors que le régime se targue d’une vaste cyberarmée – estimée à plusieurs millions –, ce sont les citoyens iraniens qui dominent les plateformes virtuelles avec des contenus provocateurs et révélateurs. Ces activités en ligne perturbent constamment les idéologues du régime, malgré leur accès illimité aux outils numériques et aux mécanismes de censure, refusés aux citoyens ordinaires.
Les déclarations répétées de responsables politiques et religieux témoignent de l’échec de l’appareil de propagande numérique du régime. Malgré les efforts incessants visant à présenter les voix dissidentes en ligne comme des instruments au service d’ennemis étrangers, ces récits tombent de plus en plus à plat. Mandegari a averti : « La plus grande menace aujourd’hui vient du cyberespace, soutenu par les ennemis de la religion : les États-Unis, l’Europe, l’Angleterre et les sionistes. Leur objectif est d’empêcher la jeune génération d’entendre la parole de Dieu, du Prophète et du Guide [Ali Khamenei]. »
De telles déclarations révèlent l’incapacité croissante du régime à imposer une conformité idéologique. Après plus de quatre décennies, le régime assiste à l’effondrement de sa rhétorique religieuse, autrefois puissante. Les tentatives visant à lier le Guide suprême à l’autorité divine sont désormais perçues par de nombreux Iraniens comme cyniques et manipulatrices. Le marché de la démagogie religieuse ne se réduit pas seulement : il est activement boycotté par l’opinion publique.
Ce sentiment se reflète dans un autre commentaire de Mandegari : « Qui est l’ennemi du gardien de Dieu aujourd’hui ? Certes, si les prophètes et les saints étaient vivants aujourd’hui, leur ennemi serait l’Amérique, Israël et l’Angleterre. Mais aujourd’hui, même les fidèles dans les mosquées ont peur de scander “Mort à l’Amérique !” »
De tels propos, relayés par les médias proches du régime, illustrent un fossé profond et grandissant entre l’État et la société. Nous assistons non seulement à une crise de légitimité, mais aussi à la lente mais constante dégradation du contrat social du régime. La confrontation entre le peuple et le régime entre dans une phase décisive. L’avenir de l’Iran pourrait bien être déterminé par lequel de ces deux pôles l’emportera.