
Alors que le régime clérical iranien reprend des négociations nucléaires indirectes avec les États-Unis à Rome, de nombreux responsables à Téhéran ont tiré la sonnette d’alarme quant aux potentielles répercussions nationales d’une avancée diplomatique. Leurs déclarations révèlent une crainte profonde que la reprise des négociations, loin de renforcer le régime, puisse éroder son contrôle interne et déclencher de nouveaux troubles dans tout le pays.
Dans un discours éloquent prononcé au Parlement, Abolfazl Aboutorabi, député du régime, a averti que les adversaires étrangers utilisaient délibérément la voie des négociations pour attiser l’instabilité en Iran. « L’ennemi a placé ses espoirs dans quatre enjeux pour polariser le pays », a-t-il déclaré. « Le premier est la négociation. Ils veulent utiliser la question des négociations et la polarisation qui l’entoure pour semer le chaos et le désordre dans le pays. »
Les propos d’Aboutorabi placent la diplomatie sur un pied d’égalité avec d’autres prétendues menaces, telles que le port obligatoire du hijab, l’inflation et les tensions autour des ressortissants étrangers, toutes présentées comme des outils pour « faire descendre le peuple dans la rue ». Il a conclu par un refrain familier : « La seule solution est l’obéissance totale au Guide… ni un pas en avant, ni un pas en arrière. »
Reprenant ces préoccupations, le député Gholamreza Shariati a décrit un scénario périlleux dans lequel le Guide suprême du régime, Ali Khamenei, est acculé par la pression étrangère. « Ces jours-ci, le criminel Trump a placé le Guide suprême entre deux choix : accepter une paix forcée ou affronter la guerre », a-t-il affirmé, présentant le dirigeant iranien comme le décideur ultime, naviguant dans un piège géopolitique.
Les enjeux, cependant, ne se limitent pas à une politique de la corde raide rhétorique. Un éditorial publié sur Khamenei.ir, le site officiel du Guide suprême iranien, prévient que les conséquences internes de la recherche d’un accord pourraient être explosives. « Créer une atmosphère naïve et surexcitée autour des négociations… ouvre la porte à l’ennemi pour faire pression sur l’équipe de négociation iranienne », indique l’article. « Si l’adversaire sent que parvenir à un accord est vital pour vous et que vous subissez la pression de l’opinion publique… il cherchera à obtenir davantage de concessions et à en donner moins.»
L’éditorial critique sans détour ce qu’il appelle la « rêverie » quant à l’issue de la diplomatie, la qualifiant de « douceur de chewing-gum » – une exaltation temporaire qui « éclatera » bientôt et laissera derrière elle une « profonde déception ». Cette réaction émotionnelle, prévient l’article, alimentera un cycle plus large de frustration et de troubles publics.
Cette crainte influence déjà les messages officiels. Selon l’agence de presse Tasnim, affiliée aux Gardiens de la révolution, la décision de l’Iran de s’asseoir à la table des négociations n’a pas été motivée par des menaces américaines. Elle a plutôt rapporté que le président du régime lui-même avait « demandé la permission au Guide suprême » suite à une lettre de Donald Trump – un aveu de pressions internes à l’origine des négociations.
Même d’anciens diplomates de haut rang ont appelé à la prudence. Gholamreza Ansari, ancien vice-ministre des Affaires étrangères, a averti : « Il ne faut pas surestimer les attentes de la population concernant ce cycle de négociations. En réalité, compte tenu de l’obstruction massive du gouvernement de Netanyahou, faire avancer les négociations sera extrêmement difficile.»
Le ton mesuré d’Ansari contraste fortement avec celui de Kayhan, le journal supervisé par le représentant de Khamenei. Dans un éditorial virulent destiné aux partisans des négociations, Kayhan écrivait : « Vous dites qu’une négociation d’une demi-heure a fait chuter le cours du dollar et de l’or. Mais à quel prix ? Avez-vous oublié notre héros national, [Qassem] Soleimani, qui a combattu pendant quarante ans ? L’oublier n’est-il pas un lourd tribut ?»
Cette juxtaposition d’espoir économique et de rigidité idéologique révèle la véritable stratégie du régime : le Guide suprême Ali Khamenei n’a aucune intention de faire de véritables concessions. Il utilise plutôt les négociations comme une manœuvre pour gagner du temps, une performance calculée destinée à alléger la pression tout en préservant l’appareil de survie du régime. Tout compromis véritable, en particulier celui qui affaiblit les mécanismes de répression ou de contrôle économique, est perçu par Khamenei comme une menace directe pour la base du pouvoir du régime. Il craint que même un léger recul ne brise le mur de la peur, n’enhardisse la population et ne rende le système vulnérable à un nouveau soulèvement.
Le message est clair : pour le régime de Khamenei, la diplomatie n’est plus seulement un outil de politique étrangère, c’est un champ de mines politique. Alors que le souvenir des récents soulèvements est encore vif, le régime craint qu’une ouverture négociée ne serve pas de soupape de sécurité, mais d’étincelle pour déclencher une nouvelle révolte nationale.