lundi, juillet 14, 2025
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L’affaire Reza Valizadeh révèle la stratégie iranienne du « journaliste ami »

L'affaire Reza Valizadeh révèle la stratégie iranienne du « journaliste ami »

Reza Valizadeh, journaliste irano-américain et ancien reporter de Radio Farda, a été condamné en 2025 à dix ans de prison par le tribunal révolutionnaire de Téhéran. Selon les médias et les messages qu’il a partagés depuis la prison d’Evin, cette peine fait suite à son refus de coopérer avec les services de renseignement du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI ou pasdaran). La proposition, telle que décrite par Valizadeh, consistait à recruter des journalistes iraniens exilés pour les faire rentrer chez eux sous de faux prétextes et à lancer un média aligné sur les intérêts du CGRI.

Des sources proches de Valizadeh rapportent qu’avant son arrestation, le CGRI lui a proposé des incitations financières et un contrat officiel. L’objectif, dit-il, était de créer un canal permettant aux journalistes iraniens à l’étranger de revenir dans le giron du régime en leur promettant sécurité et emploi. Il a également déclaré avoir été invité à partager des informations internes sensibles sur Radio Farda, notamment sa structure administrative et l’identité de son personnel. Ces témoignages, largement repris dans les médias persans, indiquent que son refus d’obtempérer a directement conduit à son arrestation.

Peu après avoir décliné ces propositions, Valizadeh a été convoqué dans un bâtiment de Téhéran sous prétexte d’une réunion de routine. Là, il a été arrêté et transféré en prison. Son procès, décrit par son avocat et sa famille comme mené à la hâte, s’est soldé par une peine de dix ans de prison, deux ans d’exil intérieur et des restrictions de déplacement et d’affiliation politique.

Journalisme manipulé par l’État
Le cas de Valizadeh illustre une tendance plus large, documentée depuis longtemps par des groupes de défense des droits humains et des organisations d’opposition comme le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) : la volonté systématique du régime iranien de se constituer une classe médiatique loyale, souvent qualifiée de « journalistes amis ».

Le régime utilise des agents de renseignement, des groupes de façade basés à l’étranger et des correspondants manipulés pour façonner des récits qui favorisent ses intérêts géopolitiques et nationaux. Ces agents se font souvent passer pour des journalistes indépendants ou des observateurs neutres, tout en recevant des instructions – et rémunération – de médias publics iraniens comme Press TV.

Dans un exemple très médiatisé, des documents publiés par le groupe hacktiviste Black Reward et examinés par des chercheurs indépendants ont montré que des contributeurs d’un site d’information américain pro-Kremlin avaient simultanément été rémunérés par la chaîne iranienne Press TV, brouillant ainsi la frontière entre journalisme et propagande.

Ces pratiques trompeuses ne sont pas des incidents isolés, mais s’inscrivent dans une architecture plus vaste orchestrée par l’État. Le régime iranien entretient depuis longtemps un réseau international d’agents et de sympathisants se faisant passer pour des journalistes indépendants, des universitaires ou des chercheurs en droits humains. Ces individus s’intègrent souvent aux écosystèmes médiatiques occidentaux et produisent des articles qui font écho à la propagande du régime tout en masquant leurs affiliations.

Un exemple particulièrement flagrant est celui de Der Spiegel, qui a publié en 2019 un article rédigé par Luisa Hommerich, qui s’appuyait sur des sources du ministère iranien du Renseignement (VEVAK) et de son groupe écran, la Société Nejat. Cet article reprenait des arguments du régime contre l’OMPI, longtemps démentis, et a ensuite été contesté par des défenseurs des droits humains et des chercheurs indépendants pour ses inexactitudes factuelles, son manque d’équilibre et son recours à des récits dirigés par le régime.

Dans un autre cas documenté, le ministère iranien du Renseignement et de la Sécurité (VEVAK) a tenté de recruter un journaliste du site web Daily Beast via l’Association Habilian, un groupe de façade connu du VEVAK.

L’un des aspects les plus insidieux de cette campagne repose sur des tactiques d’usurpation d’identité. Des agents du VEVAK ont contacté des décideurs politiques et des médias occidentaux en se faisant passer pour des victimes ou d’anciens membres désabusés de l’OMPI. L’objectif est de lancer des accusations préconçues et de créer l’illusion d’une critique populaire, une tactique documentée par des rapports du CNRI et corroborée par des analyses cyber-légales réalisées par des entités telles que l’équipe de détection et de réponse de Microsoft.

L’objectif : Contrôler le récit
La manipulation des médias sert plusieurs objectifs stratégiques pour Téhéran. Premièrement, elle permet au régime de saper les groupes d’opposition à l’étranger en les présentant comme marginaux ou dangereux. Deuxièmement, elle facilite l’exportation de la désinformation vers les publics occidentaux, édulcorant ainsi les critiques internationales et empêchant toute pression. Troisièmement, en cooptant des journalistes en Iran et à l’étranger, le régime tente de donner à ses récits une apparence de légitimité.

Les médias d’État iraniens amplifient et traduisent fréquemment le contenu produit par ces journalistes « amicaux », renforçant ainsi leur portée. Les articles publiés en Occident qui critiquent les mouvements d’opposition – surtout lorsqu’ils sont présentés comme des reportages objectifs – sont rapidement recyclés par les plateformes affiliées à l’État iranien, donnant l’impression d’un large consensus.

Le ministère du Renseignement et de la Sécurité (VEVAK) du régime a joué un rôle déterminant dans cette entreprise. L’ancien ministre du Renseignement, Ali Fallahian, a ouvertement admis que de nombreux journalistes iraniens opérant à l’étranger sont en réalité des agents de renseignement. Cet aveu souligne l’infiltration systématique des médias par le régime pour contrôler le discours entourant ses politiques et ses actions.

Mais au-delà de la désinformation tactique, l’objectif stratégique est d’éliminer toute alternative viable au régime clérical, en particulier l’OMPI et le CNRI. L’investissement du régime depuis des décennies dans une guerre narrative contre eux souligne un fait essentiel : aux yeux du régime iranien, l’OMPI et le CNRI ne sont pas seulement un ennemi, ils sont l’alternative.

Coercition ou cooptation
Pour ceux qui résistent, les conséquences peuvent être graves. Les médias persans détaillent comment Valizadeh a été contraint de participer à une interview forcée, préparée par des journalistes-interrogateurs masqués. Il aurait informé sa famille que les autorités ne pourraient peut-être extraire qu’une ou deux phrases de la vidéo obtenue sous la contrainte, à des fins de propagande. Valizadeh a également déclaré avoir été détenu dans le quartier 8 d’Evin, notoirement insalubre, exposé à des risques sanitaires et à l’isolement, sa famille n’ayant pas le droit de lui rendre visite ni d’obtenir des documents juridiques en son nom.

Les analystes suggèrent que le traitement sévère infligé par le régime aux journalistes récalcitrants vise à envoyer un message : l’indépendance n’a pas sa place dans le paysage médiatique iranien. Soit vous rejoignez le système – en tant qu’amplificateur complaisant des discours d’État –, soit vous êtes réduit au silence par l’incarcération et la diffamation.

L’investissement croissant du régime dans l’appareil journalistique « ami », tel que détaillé par des groupes dissidents et corroboré par des cas comme celui de Reza Valizadeh, reflète une stratégie non seulement de répression nationale, mais aussi de manipulation internationale. Les services de renseignement iraniens ne se contentent pas de censurer les voix dissidentes ; ils s’efforcent activement de les remplacer par une classe médiatique soigneusement sélectionnée, dont la loyauté ne repose ni sur la vérité ni sur l’intérêt public, mais sur la survie du régime.