Le 10 mai, lors d’un discours télévisé national devant un public présenté comme des travailleurs, à l’occasion de la Semaine du Travail en Iran, le Guide suprême du régime iranien, Ali Khamenei, a vanté les travailleurs comme « l’investissement le plus important dans la production » et a mis en garde contre les « complots ennemis » visant à créer un fossé entre la classe ouvrière et la République islamique.
Mais son silence sur le quatrième cycle de négociations nucléaires en cours à Mascate était aussi cinglant que sa rhétorique, reflétant une stratégie délibérée visant à détourner l’attention des tensions diplomatiques vers des démonstrations symboliques d’unité interne. Cet événement survient quelques jours seulement après que de hauts responsables américains ont appelé au démantèlement des principaux sites d’enrichissement iraniens – une escalade qui met en évidence la pression croissante exercée sur Téhéran. L’évitement de Khamenei révèle une inquiétude quant à l’effondrement du moral et aux possibles luttes intestines au sein du régime concernant le coût et les conséquences politiques de ces négociations.
« Les ennemis des nations, y compris ceux de la République islamique, ont cherché dès le début à séparer les travailleurs de la révolution et à susciter le mécontentement », a déclaré Khamenei, présentant la loyauté des travailleurs comme un rempart contre la subversion étrangère. Il a évoqué « les premières tentatives communistes d’arrêter la production après la révolution » et a affirmé que les travailleurs « ont tenu bon et les ont frappés au visage ».
Tout au long de son discours, Khamenei a mêlé l’éloge du rôle des travailleurs dans l’économie iranienne à un message idéologique visant à renforcer la loyauté envers le régime. Il a qualifié le travail de « pilier fondamental de la vie humaine », affirmant que « sans travailleurs, rien n’avance ». Tout en reconnaissant les problèmes du secteur industriel iranien, il a souligné que les solutions résident dans le système plutôt que dans les critiques externes.
Khamenei a profité du rassemblement pour présenter le défunt président Ebrahim Raïssi comme un sauveur économique, insistant sur le fait que son cabinet avait « relancé huit mille usines fermées ou semi-fermées », prouvant ainsi que « le remède n’est jamais de fermer une usine ; les problèmes doivent être résolus ». Ce chiffre, non corroboré par un quelconque audit public, a permis au Guide suprême de rejeter la responsabilité d’années de licenciements massifs sur des responsables anonymes, tout en ignorant que sa propre campagne de « privatisation » au titre de l’article 44 a transféré des centaines d’usines à des holdings liées au CGRI, dont beaucoup ont fait faillite sous l’effet du démantèlement des actifs et de l’endettement.
Il a ensuite mis en garde les ministres contre la « tentation facile » des importations, déclarant : « Ouvrir la porte aux produits étrangers peut paraître simple, mais cela nuit à la nation et à la communauté ouvrière. » Au lieu de cela, il a appelé à une campagne nationale pour « faire de la consommation de produits iraniens une culture ». Pour ses détracteurs, ce message masquait une réalité plus profonde : les élites sous sanctions importent des voitures de luxe et des matières premières via les ports contrôlés par le CGRI, alors même que les Iraniens ordinaires sont confrontés à des pénuries chroniques.
Le tournant idéologique de Khamenei était tout aussi révélateur. Se citant lui-même, il a opposé la « coopération islamique sur le lieu de travail » à « la philosophie marxiste qui oppose les travailleurs aux patrons », présentant les grèves et les syndicats indépendants comme des concepts étrangers introduits clandestinement par l’ennemi. Les analystes soulignent que qualifier le conflit de classes de « marxiste » donne à l’État une couverture idéologique pour criminaliser l’organisation syndicale, tandis que les « conseils islamiques du travail » gérés par l’État surveillent les ateliers.
Le discours s’est terminé par une diversion habituelle en politique étrangère : des dénonciations d’Israël et de ses « sponsors occidentaux » pour les « crimes commis à Gaza » et un appel à ce que « la question de Palestine ne soit jamais oubliée par les nations musulmanes ». En habillant les difficultés intérieures du drapeau de la résistance régionale, Khamenei a tenté de rediriger la colère des travailleurs vers l’extérieur.
Pourtant, la réalité des rues iraniennes révèle le fossé entre la rhétorique et le vécu. Semaine après semaine, les sidérurgistes d’Ahvaz, les équipes de l’industrie pétrochimique d’Asaluyeh, les retraités de Téhéran et les enseignants de Machhad à Chiraz organisent des rassemblements pour protester contre les salaires impayés, l’effondrement des retraites et l’inflation des prix à la consommation – des manifestations que les forces de sécurité dispersent régulièrement par des arrestations et des gaz lacrymogènes.
Ces groupes divers partagent un même refrain : la pauvreté et les inégalités auxquelles ils sont confrontés sont le produit de politiques menées au plus haut niveau du pouvoir. Alors que Khamenei se pose en protecteur des travailleurs, ce sont sa « privatisation » centrée sur le CGRI, la recherche de rentes par les élites et les monopoles à l’abri des sanctions qui privent les usines de leurs capitaux, drainent les fonds de pension et poussent les travailleurs qualifiés à l’exil. Loin de défendre la classe ouvrière, le Guide suprême préside un système qui fabrique les griefs qui alimentent le cycle incessant de grèves et de manifestations de rue en Iran.