Par William J. Broad et David E. Sanger
The New York Times Parmi toutes les annonces qua faites lIran la semaine dernière à propos de son programme nucléaire, une phrase de son président a provoqué une telle surprise et une telle inquiétude parmi les inspecteurs nucléaires internationaux quils ont lintention de sexpliquer avec Téhéran cette semaine à ce sujet.
Cette déclaration indique que pendant que lIran commence à enrichir de petites quantités duranium, le pays poursuit un programme beaucoup plus sophistiqué visant à produire du combustible atomique qui selon les hauts responsables américains et les inspecteurs pourrait accélérer le processus de développement de larme nucléaire.
LIran maintient invariablement avoir abandonné ses travaux sur la technologie avancée de la centrifuge P-2 il y a trois ans. Les experts occidentaux suspectent depuis longtemps que lIran a un deuxième programme secret, basé sur des éléments acquis sur le marché noir auprès de lingénieur nucléaire pakistanais rebelle Abdul Qadeer Khan, parallèlement à son activité dans son principal site nucléaire à Natanz. Mais ils navaient aucune preuve.
Puis jeudi, le président Mahmoud Ahmadinejad a déclaré que Téhéran « conduisait des recherches à lheure actuelle » sur la centrifugeuse P-2, proclamant quelle quadruplerait les capacités denrichissement de lIran. Les centrifugeuses sont des machines grandes et peu larges qui tournent très rapidement afin denrichir, ou de concentrer, ce composant rare de luranium, luranium 235, pouvant alimenter des réacteurs nucléaires ou des bombes atomiques.
Les déclarations de M. Ahmadinejad, ainsi que celles des autres dirigeants iraniens, sont toujours considérées avec méfiance par les experts nucléaires américains et internationaux car lIran a à plusieurs occasions minimisé limportance de ses activités nucléaires découvertes plus tard et également exagéré ses capacités. Les experts et les responsables du renseignement américain, tirant la leçon de leur expérience en Irak, disent quil nest pas certain que les déclarations de M. Ahmadinejad indiquent une réelle avancée technique pouvant accélérer le programme nucléaire de lIran et quelles ne soient en fait quune rhétorique politique visant à convaincre le monde que rien ne peut arrêter son programme atomique.
Les diplomates européens disent quune délégation de représentants iraniens doit arriver mardi à Vienne, où lAgence Internationale de lEnergie Atomique les poussera à sexpliquer au sujet des nouvelles déclarations sur lenrichissement, ainsi que sur dautres questions concernant le programme de lIran, dont un schéma de bombe découvert dans le pays.
« Cest une machine bien plus efficace », a déclaré un diplomate européen à propos de la centrifugeuse sophistiquée, objet des efforts du Pakistan pour le développement de ses armes nucléaires, découverte en Libye en 2004 lorsque ce pays a abandonné son programme nucléaire. Le diplomate a ajouté que les Iraniens, parmi dautres questions, devaient maintenant dire si M. Ahmadinejad avait raison, et si cétait le cas, sils ont récemment repris le programme abandonné auparavant ou bien si celui-ci se poursuivait en secret depuis des années.
Si lIran est passé au-delà de la recherche et a effectivement commencé à faire fonctionner les machines, cela pourrait forcer les agences de renseignements américaines à réviser leurs estimations sur le temps quil faudrait à lIran pour développer la bombe atomique, événement quils placent actuellement entre 2010 et 2015.
Robert Joseph, sous secrétaire dEtat de ladministration Bush pour le contrôle des armes et la sécurité internationale, connu comme un des faucons de ladministration, a déclaré dans une interview samedi que la déclaration du président Ahmadinejad était « la première fois que jai jamais entendu lIran admettre » avoir fait une avancée importante dans cette technologie de pointe. LIran, M. Joseph a ajouté, « na jamais été transparent sur son programme et désormais son président en parle ».
Cette nouvelle déclaration attire de nouveau lattention sur la relation fragile entre lIran et M. Khan, qui a fourni au pays la plupart des techniques denrichissement quil exploite aujourdhui. Si ce quaffirme M. Ahmadinejad est vrai, cela indique probablement que cette relation sest poursuivie plus longtemps et a été bien plus sérieuse que ce quils avaient admis précédemment. M. Khan et son marché noir nucléaire ont fourni à lIran des plans de la machine connue sous le nom de P-1, plus élémentaire que la P-2, machine plus sophistiquée.
Dautres indications montrent que M. Khan aurait pu faire affaire avec lIran il y a six ans. Le président pakistanais Pervez Musharraf a divulgué récemment quil avait renvoyé en 2001 Dr Khan, héro national passant pour avoir développé la bombe du Pakistan, après avoir découvert quil tentait dorganiser un vol secret vers la ville iranienne de Zahedan, connue pour être un centre de contrebande.
Dr Khan a refusé de faire des commentaires sur ce vol, disant quil était important et secret. « Jai dit Mais quest-ce que vous voulez dire ? Vous voulez me cacher quelque chose ? » se souvient M. Musharraf pour une interview avec le New York Times pour un documentaire télévisé Discovery Times « Djihad nucléaire ».
« Ces ce qui ma conduit à avoir de vrais soupçons, a déclaré M. Musharraf, puis nous lavons destitué. »
Lannée dernière, le Pakistan a annoncé que son enquête sur le réseau Khan était close. Mais la crise iranienne a conduit à un nouvel interrogatoire pour le Dr Khan, selon les diplomates européens et des responsables du renseignement américain.
Jusquà maintenant, ses réponses sont vagues, daprès les enquêteurs. LIran pour sa part, na quasiment rien dit au sujet de son programme P-2. LInstitut international pour les études stratégiques, groupes danalyses darmes à Londres, a annoncé dans un rapport lannée dernière que le fait que lIran refuse de fournir plus dinformations sur son programme P-2 avait conduit un grand nombre dexperts à suspecter que ces centrifugeuses sophistiquées constituaient « le cur dun programme denrichissement secret ».
David Albright, président de lInstitut pour la science et la sécurité internationale, groupe de recherche privé à Washington qui surveille le programme iranien, a affirmé que la déclaration de M. Ahmadinejad, quelle soit rhétorique politique ou réalité technique, donnait au monde « une raison supplémentaire denquêter plus en profondeur et de sinquiéter ».
Téhéran affirme que son programme nucléaire est entièrement pacifique et destiné à produire de lénergie nucléaire.
Mais ladministration Bush pense autrement. « Le développement de lénergie nucléaire civile nest pas le domaine de spécialité dA. Q. Khan », a affirmé la secrétaire dEtat Condoleezza Rice dans une interview pour un documentaire. « Pourquoi, si vous naviez quun programme nucléaire civil, mentir sur les activités à Natanz ? » Puis elle a ajouté : « Pourquoi refusent-ils toujours de répondre à certaines questions que lAIEA leur pose ? »
Le mystère P-2 a commencé il y a des années lorsque lIran a dit aux inspecteurs internationaux avoir reçu des plans de centrifugeuses avancées vers 1994 mais ne les avait pas utilisés avant 2002, lorsque le pays a engagé un entrepreneur iranien pour fabriquer ces machines complexes.
La P-2, seconde génération du modèle pakistanais, est la centrifugeuse la plus sophistiquée vendue par le réseau du Dr Khan. Avec ses rotors superpuissants, elle peut tourner plus rapidement et aussi enrichir de luranium plus rapidement.
LIran a nié à plusieurs reprises avoir reçu des centrifugeuses P-2 du Dr Khan, pouvant faciliter la fabrication de modèles similaires. De plus, le pays affirme navoir pas fait de recherche sur la production de ces centrifugeuses avancées entre 1995 et 2002 en raison de changements de direction dans son programme nucléaire et dune pénurie de personnel qualifié.
Dans maints et maints rapports, lAIEA a remis en question cette explication. Par exemple, en septembre dernier, elle a affirmé que lentrepreneur iranien, qui aurait vu pour la première fois les plans de la P-2 en 2002, avait fait des progrès considérables dans ses recherches « en une période de temps courte », ce qui semble contredire laffirmation de lIran selon laquelle aucune recherche navait été conduite dans le passé.
Selon lIran les recherches nont pas pu aboutir à la production de machines en état de fonctionnement et le travail expérimental sur la P-2 sest achevé en 2003 et sest concentré à la place sur le schéma plus simple de la P-1.
Mais un certain nombre de preuves collectées par lagence internationale et les témoignages de certains membres du réseau Khan ont jeté le doute sur ces affirmations. Pas plus tard que jeudi dernier, lorsque le directeur général de lagence Mohammed ElBaradei sest rendu à Téhéran, il a insisté pour avoir des réponses détaillées lors dune réunion privée, selon les diplomates ayant obtenu des informations sur ce meeting.
Les suspicions sont nées car les inspecteurs savaient que Dr Khan avait fourni à la Libye et à la Corée du Nord ces centrifugeuses P-2 à la fin des années 1990 et ont entendu à plusieurs occasions quil en avait fait autant avec lIran.
B. S. A. Tahir, responsable en chef du réseau Khan, désormais en prison en Malaisie, aurait déclaré que lIran avait reçu beaucoup plus de technologie sur la P-2 quil le prétend et que certaines livraisons ont eu lieu après le soi-disant arrêt des relations entre le Dr Khan et les Iraniens vers 1995.
Sadressant à la presse jeudi à Washington, juste quelques heures après la déclaration de M. Ahmadinejad, des hauts responsables du renseignement ont annoncé que rien pour le moment ne les conduisait à réviser leur estimation selon laquelle il faut toujours 5 à 10 ans à lIran pour développer la bombe.
Kenneth C. Brill, directeur du Centre national de contre prolifération, créé pour suivre les programmes tels que ceux de lIran et de la Corée du Nord, déconseille de prendre les déclarations de Téhéran au pied de la lettre à propos de la production duranium enrichi et de ses projets de production de 54000 centrifugeuses.
« Cela prendra un grand nombre dannées pour en produire autant », a-t-il dit.
Par ailleurs, les rapports des renseignements circulant au sein du gouvernement américain, selon plusieurs hauts responsables désirant rester anonymes en raison du caractère sensible de ces informations, se demandent si la décision du gouvernement iranien de vanter ses progrès fait partie dun effort de dissimulation dune activité plus importante.
Ils suspectent quun programme clandestin, sil existe, se concentre sur la P-2 car elle peut produire de luranium enrichi très rapidement.
Les responsables de lAIEA disent que le mystère des livraisons de P-2 est devenu un des sujets les plus critiques sur lequel des réponses sont nécessaires dans les deux semaines à venir, avant que M. ElBaradei ne transmette son rapport au Conseil de Sécurité des Nations Unies le 28 avril.
Dautres questions pressantes incluent le refus de lIran à sexpliquer au sujet dun document trouvé par les inspecteurs (les Iraniens ont refusé que les inspecteurs sortent ce document du pays) qui indique comment mouler luranium en sphères parfaites, forme révélatrice dune arme primitive. Les inspecteurs pensent que ce document provient également du réseau Khan.
On ne sait pas non plus exactement si le Dr Khan a vendu aux Iraniens un plan de bombe de fabrication chinoise similaire à celui que la Libye a remis aux Etats-Unis lorsque le pays a abandonné son programme darmes. Des questions sur dautres copies de dessins de bombe sont restées sans réponse en Iran et au Pakistan.
« Franchement, je ne sais pas sil a transmis ces plans de bombes à dautres », a affirmé M. Musharraf. Même faisant lobjet dune forme assez libre dassignation à domicile depuis deux ans, dit-il, Dr Khan « a parfois dissimulé les faits ».