
Quotidien de langue arabe Asharq al-Awsat*, Londres, 12 août 2015
La publication d’une déclaration de l’adjoint au Ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif a exaspéré les responsables du régime, bien que les remarques aient plus tard été supprimées. Ces déclarations ont été faites par Abbas Araqchi, le premier négociateur dans les discussions nucléaires avec les P5+1.
M. Mohammad Mohaddessin (Président du comité des affaires étrangères du Conseil National de la Résistance Iranienne – CNRI), un responsable officiel du dossier nucléaire dans l’opposition iranienne, a dit à Asharq al-Awsat que la suppression des déclarations de Araqchi reflétait le schisme qui divise la clique au pouvoir en Iran.
M. Mohaddessin, qui est également Président du comité des affaires étrangères du Conseil National de la Résistance Iranienne dont le siège est à Paris, a révélé le conflit entre les responsables du régime iranien à la suite de cette rencontre privée. Selon lui, Araqchi a organisé cette réunion avec les présidents et directeurs de la radio et de la télévision d’état. Il a ajouté que la réunion avait lieu le premier jour du mois durant lequel Araqchi a reconnu avoir fourni de fausses informations à l’agence nucléaire.
D’après Mohaddessin, le problème a pris une dimension explosive quand les médias d’état iraniens ont publié les remarques sur leurs sites web sans faire attention à ce qu’il n’était pas convenable de publier, entre autres le fait que l’Iran ne prévoit pas d’implémenter tous les articles de la résolution de l’ONU sur l’accord nucléaire conclu avec les puissances mondiales il y a un mois.
Les informations et rapports contenus dans les remarques d’Araqchi publiées ont très vite été supprimés. Tandis qu’aucune déclaration officielle du régime n’a pu être obtenue, M. Mohaddessin a affirmé s’être penché sur les déclarations d’Araqchi « mais ces remarques ont rapidement été retirées des sites suite à une directive du Conseil National de Sécurité du Guide suprême du régime ».
Il a ajouté qu’une partie des déclarations d’Araqchi dans sa rencontre avec les présidents et directeurs des radio et télévision d’état impliquait la question controversée des « détonateurs explosifs » qui avaient été placés par erreur sur les fils de presse des radio et télévision d’état, mais rapidement enlevés.
L’Iran prétend que ces détonateurs sont utilisés pour forer du pétrole et du gaz et non dans un objectif nucléaire militaire.
Dans ses déclarations, le Ministre adjoint iranien des Affaires étrangères et négociateur haut placé a révélé que les pays occidentaux coopéraient avec l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) et avaient fourni beaucoup d’informations à l’agence, « ce qui a empiré les choses. À tel point que les détonateurs à fils explosés (Exploding-bridgewire detonator, EBW) ont été découverts ».
En réponse aux questions de Asharq Al-Awsat, M. Mohaddessin a affirmé que parmi les déclarations disparues d’Araqchi qui ont mis en colère les dirigeants de Téhéran, l’une d’elle affirmait que les hauts responsables du Ministère de la Défense iranien étaient furieux de la fuite qui a révélé les détonateurs à l’AIEA.
Il a affirmé qu’Araqchi avait dit aux présidents et directeurs des radio et télévision d’état que ses « amis au Ministère de la Défense étaient affligés de la fuite d’information à l’AIEA parce que cela empirait les choses ». Mohaddessin a expliqué que ces déclarations d’Araqchi font surface alors que le régime tente constamment d’expliquer que ces détonateurs explosifs ne sont pas militaires ni nucléaires et prétend qu’ils ont pour seul objectif de forer pour chercher du pétrole ou du gaz ».
Au début de ses négociations avec l’Iran, qui ont duré une dizaine d’années, l’AIEA avait demandé des informations sur certains groupes de l’Institut de Physique Appliquée iranien, impliqués dans la recherche sur les détonateurs « EBW ». À cette époque, alors que l’AIEA voulait s’entretenir avec une personne sur ce sujet, Téhéran a répliqué que cette personne n’avait pas été impliquée dans le projet de détonateurs et que la requête pour acheter des détonateurs avait été déposée par « le Ministère du Pétrole dans l’objectif de forer des puits ».
Parmi les informations divulguées par Araqchi lors de sa rencontre avec les journalistes d’état, dont M. Mohaddessin insiste qu’elles ont créé un conflit entre les responsables du régime, figurent les remarques du ministre adjoint sur le fait que le régime n’avait pas l’intention de révéler le site de Fordo à la communauté internationale, mais qu’une fois qu’il a compris que le site avait déjà été dénoncé à l’AIEA, il a été obligé de le déclarer. « Quand nous avons appris que Fordo avait été signalé, nous avons pris l’initiative avant qu’il soit annoncé et il a été ordonné à M. Soltania (Ali Asghar Soltania, le représentant de l’Iran à l’AIEA) d’informer l’AIEA de l’existence de ce site. Il a envoyé une lettre à M. Baradei (Mohammad Baradei, ancien Directeur Général de l’AIEA) pour déclarer ce site. »
Dans les remarques divulguées, Araqchi a constamment souligné que « si nous voulions bâtir le programme nucléaire de notre pays sur ses avantages économiques seulement, ce serait une grande perte. Cela signifie que si nous devions estimer le coût de la matière produite, il serait faramineux ». M. Mohaddessin affirme que dans les remarques divulguées, Araqchi « parle impudemment des intentions du régime de ne pas implémenter la Résolution 2231 du Conseil de Sécurité », qui concerne spécifiquement l’accord nucléaire.
Cette information, selon certaines sources et ce qui figurait sur les sites web iraniens avant la suppression des remarques, démontre l’insistance du régime à poursuivre ses activités et son intervention dans les affaires régionales. M. Mohaddessin, qui a pu prendre connaissance des informations divulguées, a dit qu’Araqchi avait insisté sur le fait que Téhéran « continuerait à soutenir ses alliées et ses amis dans la région pour lutter contre le terrorisme et redoublerait d’effort pour cela, et c’est la position officielle du ministère des affaires étrangères… nous ne pouvons arrêter d’envoyer des armes au Hezbollah. Nous ne pouvons pas les sacrifier à notre programme nucléaire. Ainsi, nous devons continuer notre travail. »
À propos des conséquences du programme nucléaire pour le régime iranien et des questions qui pourraient générer de tels conflits, M. Mohaddessin a fait remarquer que cet accord n’était pas tant une victoire (pour le régime iranien), contrairement à ce que pensent certains, surtout si l’on considère la suppression de beaucoup de lignes rouges, y compris les inspections de sites militaires, ligne rouge tracée par le leader autoproclamé de la révolution Ali Khamenei.
Il a ajouté que l’accord résultant était le produit d’une série de retraites du régime, et d’une transgression des lignes rouges sur lesquelles Khamenei avait publiquement et personnellement insisté. M. Mohaddessin a ajouté que ce n’était pas un hasard si les officiels du régime appelaient cet accord le calice du poison. Il a explicité l’utilisation par le régime de Téhéran de trois principaux instruments pour maintenir son pouvoir dans le pays depuis 1979. Ces trois instruments sont le programme nucléaire, l’exportation du terrorisme dans le monde, et la répression intérieure de l’opposition.
« À mon avis, le régime a été contraint d’abandonner le premier instrument de son règne. Je m’attends par conséquent à une augmentation des conflits internes au sommet du régime, en plus d’une escalade de la répression intérieure et de l’exportation du terrorisme dans les pays voisins », a ajouté M. Mohaddessin.
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