Amnesty International appelle les autorités iraniennes à remettre immédiatement en liberté plusieurs centaines de travailleurs de la régie des bus de Téhéran, arrêtés la semaine dernière apparemment dans le but de couper court à une menace de grève. Si certains de ces travailleurs ont été remis en liberté, des centaines dautres seraient toujours détenus, sans avoir été inculpés ni jugés, à la prison dEvin à Téhéran.
Les arrestations ont débuté après un appel à la grève lancé pour le 28 janvier par le comité exécutif du syndicat représentant les travailleurs de la régie des bus de Téhéran et de sa banlieue (Sharekat-e Vahed) à lappui de diverses revendications. Le syndicat exigeait notamment la remise en liberté du dirigeant syndicaliste Mansour Ossanlu, détenu sans avoir été inculpé ni jugé depuis le 22 décembre 2005, louverture de négociations collectives et, au niveau de la régie des bus, une augmentation des salaires.
Selon les informations dont nous disposons, les tracts annonçant la grève avaient été largement diffusés à Téhéran le 24 janvier 2006 et un membre de la direction du syndicat, Hosseini Tabar, aurait été placé en détention pendant environ quatre heures pour en avoir distribué. Le lendemain, six autres membres du comité exécutif du syndicat – Ebrahim Madadi, Mansour Hayat Ghaybi, Seyed Davoud Razavi, Said Torabian, Ali Zad Hossein et Gholamreza Mirzai étaient convoqués dans les bureaux du procureur général de Téhéran. Ils sy sont présentés le 26 janvier et ont été placés en état darrestation après avoir refusé dannuler leur appel à la grève ; ils ont ensuite été transférés à la prison dEvin. Interrogé par lIRNA, lagence de presse officielle, le maire de Téhéran aurait décrit le syndicat comme une organisation illégale et déclaré que les autorités ne permettraient pas que la grève ait lieu. La direction de la régie des bus a menacé de licenciement les travailleurs qui se joindraient au mouvement.
Les autorités ont ensuite procédé à une vague darrestations de syndicalistes le 27 janvier, veille de la grève annoncée, en arrêtant certains sur leur lieu de travail à la relève des équipes et dautres à leur domicile. Parmi les personnes arrêtées se trouvaient les épouses de Mansour Hayat Ghaybi et Seyed Davoud Razavi ainsi quun troisième dirigeant syndicaliste, Yaghub Salimi.
Les forces de sécurité avaient effectué une opération commando au domicile de Yaghub Salimi après quil eut accordé une interview à une radio basée à Berlin, mais il était absent à ce moment-là. Sa femme et leurs enfants avaient été frappés et arrêtés. Mahdiye Salimi, douze ans, a décrit ce quelle avait subi dans une interview accordée plus tard à une radio. Elle a expliqué que trois femmes et cinq enfants avaient été arrêtés en tout, quils avaient été frappés et que sa petite sur de deux ans avait été blessée lorsquon lavait poussée brutalement dans un véhicule des forces de sécurité ; elle a dit aussi que sa mère avait été frappée à la poitrine. Madhiye Salimi a été libérée, ainsi que sa mère et sa jeune sur, lorsque Yaghub Salimi sest rendu aux forces de sécurité. Les femmes et enfants arrêtés en même temps quelles auraient également été remis en liberté.
Des centaines dautres syndicalistes auraient été arrêtés le 28 janvier, jour de la grève ; la plupart se trouveraient à la prison dEvin. Des travailleurs auraient été frappés à coups de matraques, auraient reçu des coups de poings et des coups de pieds, menacés dêtre contraints par la force à reprendre le travail, notamment par des membres de la milice volontaire Basij appelés en renfort, semble-t-il, pour remplacer les grévistes. Les forces de sécurité auraient fait usage de gaz lacrymogène et tiré des coups de feu en lair. Dautres arrestations ont été signalées les 29 et 30 janvier.
Actuellement, seule une trentaine de personnes auraient été remises en liberté sur les cinquante arrêtées, apparemment après avoir accepté de signer sous la contrainte lengagement de ne participer à aucune grève ni action de protestation. Environ 500 personnes seraient encore détenues à la prison dEvin, sans avoir pu consulter davocat ni contacter leur famille. Certaines auraient entamé une grève de la faim le 29 janvier pour protester contre leur détention. Un autre appel à la grève a été lancé pour le 2 février 2006.
Amnesty International craint que les personnes détenues ne le soient quen raison de leurs activités syndicales pacifiques; lorganisation les considère donc comme des prisonniers dopinion qui devraient être remis en liberté immédiatement et sans condition. Le droit de constituer des syndicats et dy adhérer est reconnu en droit international ; il figure notamment dans larticle 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et dans larticle 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). LIran est ةtat partie à ces deux traités.
LIran est également membre de lOrganisation internationale du travail (OIT) dont il est tenu de respecter la réglementation ; la décision du Comité de la liberté syndicale de lOIT de considérer quil nest pas légitime pour un ةtat de restreindre le droit de grève en tant que moyen de défense des intérêts professionnels et économiques des travailleurs en fait partie. Les ةtats ne peuvent restreindre le droit de grève quen cas de situation durgence nationale (et ce, pour une durée limitée) ce qui nest de toute évidence pas le cas à Téhéran. La liberté dassociation et la reconnaissance effective du droit de négociation collective sont au cur de la Déclaration de lOIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail ; celle-ci sapplique à tous les ةtats membres qui ont pour obligation « de respecter, promouvoir et réaliser, de bonne foi et conformément à la Constitution, les principes [de la Déclaration].»
Complément dinformation
Le syndicat des travailleurs de la régie des bus de Téhéran avait été interdit après la révolution islamique de 1979. Il a repris ses activités en 2004 mais nest toujours pas reconnu sur le plan légal. Le 22 décembre 2005, la police a arrêté chez eux douze dirigeants du syndicat ; quatre dentre eux ont été remis en liberté rapidement. Dautres syndicalistes ont été arrêtés le 25 décembre alors quils sapprêtaient à lancer un mouvement de grève des bus dans Téhéran pour demander la libération de leurs collègues. Tous ont été libérés dans les jours qui ont suivi, à lexception de Mansour Ossanlu. Il est toujours détenu. Il na pas été autorisé à consulter un avocat et, daprès certaines sources, il serait inculpé, entre autres, davoir eu des contacts avec des groupes dopposition iraniens à létranger et davoir cherché à fomenter une révolte armée.
Sept syndicalistes, parmi lesquels Mansour Hayat Ghaybi, Ebrahim Madadi, Reza Tarazi, Gholamreza Mirzai, Abbas Najand Kouhi et Ali Zad Hossein auraient été cités à comparaître devant un tribunal révolutionnaire à Téhéran le 1er janvier 2006 pour y répondre de laccusation de troubles à lordre public, mais face aux protestations de militants syndicaux devant le tribunal leur procès a été ajourné.
Le 7 janvier, cinq chauffeurs auraient été arrêtés lors dun nouveau mouvement de grève des travailleurs de la régie des bus mais ils auraient été ensuite libérés. ?