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Comment le régime iranien a transformé la SAVAK en une machine de répression

Comment le régime iranien a transformé la SAVAK en une machine de répression
Mohammad Mohammadi Reyshahri, l’ancien ministre du Renseignement du régime iranien, assis devant un tableau noir affichant les cibles du ministère

La chute du Shah en 1979 a été largement considérée comme la fin de la SAVAK, la redoutable police secrète iranienne. Cependant, plutôt que de démanteler cette organisation notoire, la dictature cléricale a intégré sa structure et son expertise de base, la transformant en l’un des services de renseignement les plus redoutés au monde. Des sources officielles iraniennes, ainsi que des enquêtes historiques, révèlent que les unités anti-espionnage et de renseignement étranger de la SAVAK ont été réaffectées au service du nouveau régime. Ce rapport examine comment les religieux au pouvoir en Iran ont exploité d’anciens agents de la SAVAK pour créer un État de surveillance qui continue de cibler la dissidence dans le pays et à l’étranger.

L’intégration de la SAVAK par la dictature des mollahs
La télévision d’État iranienne a diffusé un segment révélateur le 2 février 2025, dans lequel Iman Goudarzi, réalisateur de documentaires, a déclaré : « La SAVAK comptait onze divisions ; une seule a été démantelée après la révolution. Les autres sont restées intactes et ont prêté allégeance à l’imam Khomeini avant la chute du Shah. »

Cette affirmation corrobore de multiples sources suggérant que la dictature cléricale n’a pas purgé la SAVAK mais a plutôt réorienté ses unités de renseignement étranger, de contre-espionnage et de surveillance technique.

Dans une interview publiée par Donya-e-Eqtesad le 6 mars 2023, un ancien officier de contre-espionnage de haut rang de la SAVAK a révélé : « Les révolutionnaires nous ont approchés et ont demandé notre expertise. Ils voulaient savoir comment maintenir la sécurité nationale sans s’appuyer sur les renseignements occidentaux. L’unité de contre-espionnage, qui se concentrait autrefois sur les espions soviétiques, a été restructurée pour gérer les « ennemis intérieurs » sous le nouvel ordre. »

De même, dans un rapport de l’ISNA du 13 octobre 2019, les premiers membres du ministère du Renseignement (MOIS) ont admis avoir recruté du personnel de la SAVAK : « Beaucoup d’entre nous savaient que sans un système de renseignement centralisé, la révolution s’effondrerait sous les menaces extérieures. Nous avons donc fait appel à d’anciens agents de la SAVAK, en particulier l’unité anti-espionnage. »

Un ancien responsable du MOIS, Saïd Hajjarian, a déclaré en 2019 : « Nous fonctionnions initialement comme plusieurs unités de renseignement concurrentes. Ce n’est qu’après 1984 que le MOIS est devenu la force dominante, absorbant les meilleurs atouts de la SAVAK. »

Malgré la domination du MOIS, les opérations de renseignement iraniennes restent fragmentées. L’ancien ministre iranien du Renseignement, Mohammad Reyshahri (1993), a noté : « De nombreuses fonctions de renseignement étaient toujours contrôlées par le renseignement du CGRI, ce qui rendait difficile la création d’une stratégie unifiée. »

Cette fragmentation continue de permettre aux différentes factions du régime iranien d’utiliser les services de renseignement pour des purges politiques et des conflits entre factions.

Surveillance intérieure et torture
Les services de renseignement de la dictature cléricale ont conservé et perfectionné les méthodes d’interrogatoire et de torture brutales initialement mises au point par la SAVAK. Cette continuité a été illustrée par des personnalités comme Javad Azadeh, un interrogateur professionnel dont la réputation de cruauté s’étendait à la fois à l’appareil de sécurité du Shah et à celui de la République islamique. Sous l’ère Ahmadinejad, Azadeh a refait surface dans les cercles du renseignement iranien, mettant à profit son expertise pour extorquer des aveux forcés. Comme l’a noté un rapport italien en 2009, ses méthodes ne laissaient aucune place à l’échec : « Les techniques de Javad ne connaissaient aucune limite. Il veillait à ce que les espions, les mollahs et les rebelles cèdent sous ses mains. Aucun tempérament, aussi résistant soit-il, ne pouvait lui résister. »

L’appareil de renseignement du Shah pour traquer les dissidents

La transition de la SAVAK fut une décision calculée aux plus hauts niveaux du régime, y compris par Ruhollah Khomeini lui-même, qui a veillé à ce que les principaux officiers de renseignement soient non seulement épargnés mais réaffectés à des postes critiques au sein du ministère du Renseignement et de la Sécurité (MOIS) et de l’organisation du renseignement du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC).

Selon l’étude de Darius Rejali sur la torture en Iran réalisée en 1994, l’appareil de renseignement du nouveau régime, souvent appelé SAVAMA, a été créé pour remplacer directement la SAVAK. Rejali cite l’ancien président iranien Abolhasan Bani-Sadr, qui a déclaré que la SAVAMA était « principalement composée d’anciens responsables de la SAVAK » et principalement engagée dans l’espionnage extérieur (Rejali, 1994, p. 131-132). Cependant, ce n’était qu’une partie de l’histoire. Bien que certaines sources aient remis en question son existence formelle, les médias de l’époque ont suggéré que la SAVAMA était profondément impliquée dans des assassinats internationaux, un rapport de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies de 1993 l’accusant explicitement d’avoir orchestré les meurtres de dissidents politiques à l’étranger (APS Diplomat Recorder, 11 juillet 1994).

L’un des premiers et des plus révélateurs exemples de cette continuité a été l’arrestation de Mohammad Reza Saadati, un membre éminent de l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI) en mai 1979. Cette opération, exécutée par d’anciens agents de la SAVAK opérant désormais sous le commandement du régime, a démontré la rapidité avec laquelle le nouveau régime a réutilisé l’expertise de son prédécesseur pour réprimer les opposants idéologiques. Comme le montrent les documents historiques, les agents de contre-espionnage de la SAVAK ont joué un rôle déterminant dans l’organisation de la détention, de l’interrogatoire et de l’élimination des membres de l’OMPI, en utilisant les mêmes tactiques qu’ils avaient précédemment employées contre les groupes marxistes et les dissidents nationalistes sous le Shah.

En 1993, un rapport parlementaire britannique a accusé le régime iranien d’avoir orchestré des assassinats en Europe, aux États-Unis, aux Philippines, au Pakistan, en Inde et en Turquie. Ces opérations reflétaient les tactiques prérévolutionnaires de la SAVAK visant à éliminer les opposants à l’étranger.

Ces dernières années, les services de renseignement iraniens ont été liés à des tentatives d’enlèvement et d’assassinat de dissidents en France, aux Pays-Bas, au Danemark et aux États-Unis (US State Department, 2023).

Les agents formés par la SAVAK ont également joué un rôle clé dans la mise en place du programme transnational d’assassinats du régime, qui ciblait des figures de l’opposition à l’étranger. De nombreuses exécutions extrajudiciaires de dissidents dans les années 1980 et 1990, notamment en Europe et au Moyen-Orient, ont été perpétrées selon des méthodologies perfectionnées par les escadrons d’assassinat de la SAVAK avant 1979. Il s’agissait notamment d’assassinats ciblés, de disparitions forcées et de l’utilisation d’une couverture diplomatique pour exécuter des opérations dans des pays étrangers.

L’héritage de la SAVAK dans l’État du renseignement moderne de l’Iran
Le régime iranien a combiné l’expertise opérationnelle de la SAVAK avec les stratégies de sécurité de l’ère moderne pour construire l’un des réseaux de renseignement les plus impitoyables au monde.

Alors que le Shah s’appuyait sur la formation et l’équipement occidentaux pour faire fonctionner la SAVAK, la dictature cléricale a veillé à ce que ses capacités de renseignement continuent de croître grâce à des alliances avec des régimes autocratiques du monde entier. Dans le même temps, la justification idéologique de la répression est passée de la défense de la monarchie à la défense d’un État fondamentaliste, mais les méthodes restent les mêmes.

Comme l’a si bien dit Saïd Hajjarian : « Nous n’avons pas remplacé la SAVAK. Nous l’avons réorientée. »