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Politique Internationale : Entretien avec Maryam Radjavi

 Entretien avec Maryam RADJAVI conduit par la rédaction de Politique Internationale

Politique Internationale – Madame Radjavi, comment jugez-vous Mahmoud Ahmadinejad par rapport aux dirigeants iraniens précédents ? Est-il, à vos yeux, un adversaire plus coriace que son prédécesseur ? 
Maryam Radjavi – Comme tous les présidents iraniens, Ahmadinejad est simplement chargé d'appliquer les directives du « Guide suprême », Ali Khamenei.  

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 Entretien avec Maryam RADJAVI conduit par la rédaction de Politique Internationale

N°120 – été 2008

Politique Internationale – Madame Radjavi, comment jugez-vous Mahmoud Ahmadinejad par rapport aux dirigeants iraniens précédents ? Est-il, à vos yeux, un adversaire plus coriace que son prédécesseur ?
 
Maryam Radjavi – Comme tous les présidents iraniens, Ahmadinejad est simplement chargé d'appliquer les directives du « Guide suprême », Ali Khamenei. 
D'après l'article 110 de la Constitution, le pouvoir est concentré de manière absolue entre les mains du « Guide » religieux. C'est lui qui définit les grandes lignes du régime. En tant que commandant en chef des forces armées, il désigne les chefs militaires, les chefs de la police et des gardiens de la révolution (les Pasdaran), ainsi que la plus haute autorité judiciaire du pays. Il nomme également le directeur de la radio et de la télévision et les mollahs membres du conseil de surveillance. Sacré « chef suprême » de tous les musulmans du monde par cette même Constitution, c'est une sorte de despote digne du Moyen-Âge. 
La seule différence que je vois entre Ahmadinejad et ses prédécesseurs, c'est qu'il est encore beaucoup plus soumis à Khamenei ! C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce dernier s'est arrangé pour qu'il soit élu lors de la mascarade électorale de 2005. Il s'est servi des gardiens de la révolution et des miliciens du Bassidj (1) pour orienter le résultat en sa faveur.
 
P. I. – Comment interprétez-vous son élection ?

 
M. R. – Ahmadinejad symbolise la militarisation du système. Il est issu des rangs des forces spéciales des Pasdaran. Son ascension parachève l'hégémonie de ce corps d'élite sur l'exécutif et sur une large partie de l'économie du pays. Au moins quatorze de ses ministres, un grand nombre de ses vice-présidents et de ses conseillers, ainsi que des ambassadeurs et des gouverneurs viennent, eux aussi, des Pasdaran. 
En 2005, j'avais déclaré que l'arrivée d'Ahmadinejad au pouvoir était une véritable déclaration de guerre contre le peuple iranien et la communauté internationale, et qu'il s'agissait d'une menace pour la paix dans la région. À l'époque, beaucoup ont considéré que cette mise en garde était exagérée. Il aura pourtant fallu peu de temps pour que les ingérences du régime en Irak atteignent les dimensions gigantesques que l'on connaît aujourd'hui. Un an après, en juillet 2006, il provoquait la guerre au Liban et, l'année suivante, la bande de Gaza se séparait des autres territoires palestiniens pour passer sous le contrôle des agents de Téhéran. Au Liban, le régime iranien a dévoilé son caractère agressif par Hezbollah interposé. Sur le nucléaire, inutile de vous rappeler son intransigeance.  
Aux législatives de 2008, Khamenei a achevé ce qu'il avait commencé, en 2005, avec Ahmadinejad. Il a impitoyablement éliminé toutes les bandes rivales, avec la complicité de son président, pour composer un Parlement à sa botte. 
Il ne faut pas perdre de vue que toutes ces manoeuvres traduisent avant tout une faiblesse alarmante des dirigeants iraniens. L'ampleur du mécontentement populaire et la fragilité du régime à l'intérieur comme à l'extérieur le rendent incapable de la moindre souplesse ou du moindre compromis. Le « Guide » l'a rappelé : tout recul conduirait inexorablement à l'effondrement du système. Le boycott des dernières législatives a été catastrophique pour le pouvoir. Selon les chiffres officiels à Téhéran et dans les grandes villes la participation était d'environ 30%. Le chiffre réel est bien moindre. Selon les observations des réseaux de la Résistance, il est de l'ordre de 5 %.
 
P. I. – Tablez-vous sur une démocratisation qui viendrait de l'intérieur, par la voie des urnes, ou sur une évolution plus brutale imposée de l'extérieur ? 
 
M. R. – Sous la tutelle des mollahs, les urnes n'ont pas de sens. Les mises en scène électorales de ce régime ne servent qu'à rendre service à ses apologistes étrangers. 
Les candidats aux législatives sont tenus de « se vouer corps et âme au Guide suprême » (code électoral, article 28). On ne laisse pas même aux Iraniens l'illusion de la démocratie. Ces fidèles candidats doivent passer, en effet, par le crible des forces de sécurité, du ministère du Renseignement (le Vevak, la police politique), du comité électoral du ministère de l'Intérieur local puis régional, pour finalement échouer sur l'autel du Conseil de surveillance. 
Tout cela pour un Parlement qui ne dispose d'aucune autorité face aux pouvoirs du Guide : il est placé sous le contrôle d'un Conseil des gardiens dont six membres religieux sont désignés par le Guide en personne. Ce Conseil dispose d'un droit de veto sur toutes les lois.
 
P. I. – Quels changements souhaiteriez-vous voir apporter au système ?
 
M. R. – Dès le début, notre revendication a été d'exiger la tenue d'élections libres et le respect du suffrage universel. Si le régime avait accepté de s'engager sur cette voie, il n'aurait pas été nécessaire de résister. J'ai réclamé, en octobre 2003, la tenue d'un référendum sur la question. Mais la réponse des mollahs a toujours été la même : plus de répression, d'exécutions et de tortures. Le changement démocratique passe, par conséquent, par un changement de régime dont l'artisan doit être le peuple et la Résistance. Une intervention militaire étrangère n'est pas la solution à la question iranienne.
 
P. I. – On dit souvent que, au-delà du durcissement apparent du régime, l'essor de la société civile débouchera nécessairement sur un processus de démocratisation. Partagez-vous cet avis ? 
 
M. R. – C'est une thèse fondamentalement fausse car elle s'appuie sur deux hypothèses fictives :
D'abord, que le durcissement du régime ne serait qu'une « apparence ». Pendant des années, certains experts complaisants, défenseurs de grands intérêts économiques, ont tenté de persuader le monde que la sagesse et le bon sens imposaient de ne pas dépeindre les mollahs au pouvoir comme des monstres. Selon eux, ils se transformeraient un jour en gentils modérés. Or l'expérience objective du peuple iranien et d'autres peuples de la région nous enseigne le contraire. Des pendaisons deux fois plus nombreuses, des exécutions d'adolescents, des arrestations aveugles (2), des humiliations quotidiennes infligées aux femmes et aux jeunes, la torture et le fouet en public, sans oublier l'occupation secrète de l'Irak et l'ingérence en Palestine, au Liban et en Afghanistan : il ne s'agit pas de simples « apparences ».
Deuxièmement, les prétendus progrès de la société civile ne sont qu'une illusion. Pour les Iraniens qui détestent ce régime, tous les moyens de s'opposer aux mollahs sont bons. Mais le pouvoir sait très bien qu'il ne faut pas laisser franchir la ligne blanche qui menacerait son existence. C'est pourquoi lorsque les femmes décident d'affirmer leur volonté de choisir librement leurs vêtements, elles voient s'abattre sur elles une vague d'arrestations et des lynchages en public. Lorsque des étudiants se mettent à organiser des grèves, ils sont arrêtés et torturés. Lorsque les conducteurs de bus poussent un peu trop loin leurs revendications, on coupe la langue de leur porte-parole au sens propre du terme et on les jette en prison avec leurs familles. Lorsqu'un journal ose publier une information « non autorisée », il est tout simplement fermé. Lorsqu'un avocat défend courageusement son client, il ne tarde pas à le rejoindre derrière les barreaux. Et quand des manifestations officielles – y compris des cérémonies religieuses – font peser une menace sur le régime, elles sont frappées d'interdiction.
 
P. I. – La société iranienne ne montre-t-elle pas, pourtant, des signes de vitalité qui tranchent avec la rigidité dogmatique du pouvoir ? 
 
M. R. – Oui, malgré une répression cruelle, la société iranienne montre sa vitalité en organisant des mouvements de protestation à tous les niveaux. Mais les mollahs au pouvoir ne permettent pas à des institutions indépendantes de voir le jour. À la place, ils présentent certaines branches des organes de répression et d'espionnage comme des associations de défense des droits de l'homme ou des ONG. La domination de cette dictature cruelle a détruit l'espace vital de la société civile. 
La Constitution et la législation du régime ont été conçues de manière à protéger le système de toute velléité de réforme. Pas seulement de réformes politiques. Depuis trois décennies, aucun progrès n'a  été enregistré dans aucun domaine, qu'il s'agisse du code vestimentaire obligatoire, des contraintes imposées aux femmes, des châtiments cruels comme les lapidations ou les amputations, des discriminations religieuses ou des violations des droits des minorités. Le moindre changement menacerait la survie du régime dans sa totalité.     
 
P. I. – Croyez-vous à une possible intervention américaine qui viserait à porter un coup d'arrêt au programme nucléaire iranien ? Dans cette hypothèse, faudrait-il, selon vous, que les États-Unis s'impliquent dans le processus de démocratisation comme ils l'ont fait en Irak ? 
 
M. R. – Je vous l'ai dit : nous sommes opposés à toute intervention militaire étrangère. Tout le monde sait bien qu'un nouvel Irak ne mènerait à rien. Encore une fois, c'est le peuple iranien lui-même qui détient les clés de son avenir. 
La vraie question n'est pas de savoir s'il y aura une intervention américaine ou non en Iran. La vraie question est de savoir jusqu'où l'Occident continuera à faire des concessions aux mollahs. Quatre ans et demi de négociations sur le nucléaire avec la troïka européenne, puis avec les six puissances dont les États-Unis, n'ont rien donné… si ce n'est la possibilité, pour Téhéran, de perfectionner tranquillement son programme d'enrichissement de l'uranium. Quant au rapport Baker-Hamilton, favorable à un rapprochement avec l'Iran (3), il n'a fait que renforcer l'illusion d'une négociation possible. L'an dernier, à quatre reprises, les États-Unis ont ouvert un dialogue avec l'Iran à Bagdad : en vain. Le seul résultat de ces négociations, c'est d'offrir au régime le temps dont il a besoin pour intensifier son ingérence en Irak !
Dans cette affaire, les pays occidentaux ont mené la politique de la carotte et du bâton mais en offrant toutes les carottes au fascisme religieux et en réservant le bâton à sa principale opposition, c'est-à-dire à nous !
 
P. I. – Que voulez-vous dire ?
 
M. R. – Le signe le plus important est l'inscription des Moudjahidine du peuple sur les listes des organisations terroristes (4). Cela a été un facteur déterminant dans la longévité de ce régime. Attention à ne pas répéter les erreurs de l'entre-deux-guerres, lorsque les Européens ont négocié avec Hitler pour tenter de l'apaiser. On sait comment cela a fini ! 
Plutôt que d'envisager une intervention militaire, l'Occident, en général, et les États-Unis, en particulier, feraient mieux de suspendre toutes les négociations, imposer des sanctions sévères, retirer l'OMPI des listes des organisations terroristes et nous reconnaître pleinement. Tous ceux qui brandissent la menace d'une attaque américaine au nom de la défense de la paix, sans condamner le régime iranien, soutiennent, en réalité, la politique de complaisance vis-à-vis des mollahs. 
 
P. I. – Vous avez été l'une des premières à attirer l'attention de la communauté internationale sur le risque de nucléarisation de l'Iran (5). Au vu des multiples rapports, souvent contradictoires, on ne sait plus très bien où l'on en est. Pouvez-vous faire le point sur la question ?
 
M. R. – Pour le régime des mollahs, la bombe atomique est une garantie stratégique. Il n'y renoncera jamais. Le 20 février 2008, le CNRI (6) a révélé des détails précis sur les activités clandestines du régime iranien pour se doter de la bombe. Non seulement ces activités n'ont pas cessé, mais elles se sont accélérées, et cela dans trois domaines : l'enrichissement de l'uranium, la fabrication de la bombe et la construction de missiles.
Nous avons rendu publiques des informations sur les centres de commandement et de gestion de la production de l'arme nucléaire, ainsi que sur un site de fabrication de têtes nucléaires.
Les révélations de la Résistance ont retardé l'acquisition de la bombe. Mais si les pays occidentaux continuent à se montrer complaisants envers ce régime, les mollahs auront la bombe beaucoup plus vite qu'on ne l'imagine aujourd'hui. Bien entendu, ils tentent de faire croire, en orchestrant des fuites trompeuses, qu'ils ne parviendront  pas à leurs fins avant de longues années. Il s'agit d'un leurre destiné à endormir la vigilance de la communauté internationale. 
 
P. I. – Quelle est la représentativité de l'OMPI au sein du peuple iranien ? 
 
M. R. – La Résistance iranienne bénéficie d'une large base populaire. Faute de pouvoir se fier au suffrage universel ou aux sondages d'opinion, on peut mesurer l'ampleur de sa popularité en se basant sur d'autres critères.
Le premier de ces critères, c'est l'hystérie générale du régime vis-à-vis de la Résistance. Dans le jargon officiel des mollahs, toute allusion, même lointaine, au mot « Moudjahidine » est taboue ; le prononcer est passible de lourdes sanctions. En 1988, près de 30 000 prisonniers politiques ont été massacrés simplement pour avoir refusé d'utiliser le terme « Monafeqine » (c'est-à-dire « hypocrites », désignation officielle des Moudjahidine) au lieu de « Moudjahidine ». Selon de nombreux diplomates, les autorités de Téhéran ont fait de la répression des Moudjahidine du peuple à l'étranger leur priorité numéro un (7).
En juillet 2003, le quotidien Asia, publié à Téhéran, a été définitivement fermé pour avoir publié une information me concernant illustrée d'une photo diffusée par l'AFP. Le rédacteur en chef, le directeur de la publication ainsi que leurs familles ont été arrêtés. Le rédacteur en chef a passé 200 jours en isolement cellulaire (8).
D'après la loi, les simples sympathisants du mouvement sont passibles de la peine de mort, même s'ils n'ont jamais pris part à une action militaire (9). On pourrait multiplier les exemples. 
Un autre indice, c'est l'étendue de nos réseaux intérieurs. Ce sont eux qui coordonnent les protestations des étudiants, des ouvriers, des enseignants… Au cours des derniers mois, les étudiants ont organisé plusieurs grèves et manifestations dans les universités. Le pouvoir a été pris de panique lorsqu'il les a entendus scander des slogans identiques à ceux de la Résistance (10). En décembre dernier, des membres de la Commission de sécurité du parlement des mollahs ont affirmé que les étudiants arrêtés étaient en contact avec l'opposition.
C'est grâce à ces réseaux que des images des manifestations et des exactions du régime franchissent les frontières. Ce sont eux, aussi, qui financent les activités de la Résistance. Nous n'avons pas d'autres ressources que celles que nous apporte le peuple iranien. 
 
P. I. – Vous évoquiez à l'instant la férocité de la répression. Pouvez-vous nous donner quelques chiffres ?
 
M. R. – En 28 ans de pouvoir, les mollahs ont exécuté 120 000 opposants politiques, dont 90 % appartenaient à la Résistance. Mais les mollahs n'ont pas réussi à nous anéantir. Nous sommes des millions et nous comptons parmi nous les membres des familles et les amis de ces exécutés. Dans ses mémoires, Rafsandjani a reconnu que les Moudjahidine rassemblaient – avant le massacre des prisonniers politiques – quelque 500 000 membres à plein temps ou à temps partiel. C'est du jamais vu dans l'histoire des partis politiques en Iran ! Lors des premières élections législatives, malgré toutes les irrégularités, l'OMPI était arrivée en deuxième position juste après le parti au pouvoir. Si Khomeiny n'avait pas opposé son veto, nous aurions siégé au Parlement.
Mais plus que le nombre de nos martyrs, j'aimerais évoquer ici le soutien que nous prodiguent les Iraniens de la diaspora. Le 30 juin 2007, ils étaient 50 000 à un rassemblement organisé en soutien à la Résistance près de Paris. En juillet 2006, suite à un rassemblement semblable, le New York Times écrivait que notre mouvement « a réussi à attirer le soutien de la classe moyenne iranienne à l'étranger ». La communauté iranienne résidant à l'étranger n'est pas isolée de la société iranienne. Elle représente un échantillon de la classe moyenne urbaine, celle qui a été à l'origine de toutes les évolutions du siècle dernier dans ce pays.
Mais en dépit de toutes ces évidences, le régime de Téhéran et ses défenseurs en Occident s'obstinent à prétendre que la Résistance est dépourvue de base sociale. Alors je pose la question suivante : si le régime est sincère, pourquoi ne se soumet-il pas à des élections libres sous l'égide des Nations unies pour le prouver ?
 
P. I. – De quels autres soutiens bénéficiez-vous ? 
 
M. R. – Des comités parlementaires aux États-Unis, en France et dans la plupart des pays européens, composés des plus éminentes personnalités politiques, ont été constitués pour soutenir la solution que nous proposons. En France, de nombreux élus de droite comme de gauche se sont mobilisés pour témoigner de la justesse de cette voie. Nous les comptons parmi nos amis les plus précieux et nous sommes heureux de voir leur nombre s'accroître chaque jour. La majorité de la Chambre des Représentants du Congrès américain a exprimé son soutien à l'OMPI et au CNRI à quatre reprises (11). Elle a souligné que de « par sa base sociale et ses racines religieuses, ce mouvement représente la seule solution face à l'intégrisme ».
 
P. I. – Croyez-vous vraiment que votre mouvement soit capable d'incarner une alternative démocratique au régime actuel ? Si tel était le cas, seriez-vous prête à assumer personnellement le pouvoir ?
 
M. R. – La Résistance iranienne a traversé trois décennies d'épreuves et a démontré une incroyable capacité de survie. N'est-ce pas la preuve qu'elle représente une alternative démocratique ? 
Notre objectif est clairement de changer le régime actuel et de le remplacer par un pouvoir respectueux de la souveraineté populaire. Dans son programme, le CNRI s'est engagé à organiser des élections libres pour former une Assemblée constituante et législative dans les six mois qui suivront la chute de la République islamique. Alors prendra fin la légitimité issue de la Résistance pour laisser la place à la légitimité issue des urnes.  
Le CNRI a déjà publié son projet pour la période de transition. Y figurent, entre autres :  la séparation de la religion et de l'État ; l'égalité des femmes et des hommes ; l'autonomie du Kurdistan ; l'abolition de la peine de mort… Le CNRI est, en fait, un parlement de plus de 500 membres dont 52 % sont des femmes. Il m'a chargée de garantir le transfert de la souveraineté au peuple et d'éviter qu'une nouvelle fois les aspirations de ma nation soient trahies. 
 
P. I. – À quoi ressemblerait un Iran dirigé par les Moudjahidine du peuple ? L'islam serait-il religion d'État ? 
 
M. R. – Ni les Moudjahidine du peuple ni le CNRI n'ont la moindre intention de prendre les destinées du pays en main. Notre but est d'instaurer une démocratie durable en Iran. Un Iran  qui sera dirigé par les représentants élus de cette nation.
L'Iran dont je rêve est une république pluraliste basée sur le suffrage universel. Une république qui assurera la liberté des partis, des rassemblements, la liberté d'expression et de religion, qui bannira la censure et l'inquisition, et où l'on pourra mettre en oeuvre la Déclaration universelle des droits de l'homme. Un Iran non nucléaire. Un Iran laïque dans lequel aucune religion ne dominera les autres. Un Iran où personne n'aura à subir les conséquences de ses opinions et de ses croyances.
 
P. I. – Est-ce difficile, pour une femme, de diriger un mouvement d'obédience musulmane ?
 
M. R. – Ma réponse est : oui. Et cela est encore plus difficile lorsqu'il s'agit de combattre un régime barbare  et misogyne qui impose sa vision rétrograde à la société.
Mais face à l'intégrisme, il y a un islam authentique, et celui-ci est à la fois démocratique et tolérant. Il ne correspond en rien au modèle des mollahs. En réalité, l'islam croit profondément à l'égalité des femmes et des hommes. C'est précisément parce qu'elle est attachée à un tel islam que l'OMPI a pu se présenter comme un précurseur du mouvement pour l'égalité dans notre pays.
 
P. I. – Longtemps, les Moudjahidine du peuple ont eu du mal à se défaire de l'étiquette de « terroristes » qui leur collait à la peau. Vous l'avez signalé tout à l'heure, l'OMPI figure encore sur les listes des organisations terroristes de l'Union européenne et des États-Unis…
 
M. R. – La nature politique de cette étiquette ne fait aucun doute. Aux États-Unis, de hauts responsables de la précédente administration ont qualifié cette étiquette de « geste de bonne volonté en direction du nouveau président iranien Mohammad Khatami » (12) et certains y ont vu un élément « de la campagne du gouvernement Clinton pour un rapprochement avec l'Iran » (13). 
En octobre 2004, la troïka européenne écrivait que si Téhéran acceptait les termes du compromis sur le dossier nucléaire, alors elle maintiendrait l'OMPI sur la liste des groupes terroristes (14). Jack Straw, l'ancien ministre britannique des Affaires étrangères, a avoué que l'inscription de l'OMPI avait été faite à la demande du régime iranien (15).
Mais la justice a changé la donne. En Angleterre, 35 parlementaires ont déposé, en février 2006, un recours auprès de la Commission d'appel des organisations proscrites (POAC) (16) pour obtenir le retrait de l'OMPI de la liste des groupes terroristes. Parmi ces parlementaires: Lord Slynn, ancien juge de la Cour européenne de justice et ancien magistrat de la Cour suprême britannique; Lord Waddington, ancien ministre de l'Intérieur; Lord Archer, ancien procureur général ; et Lord Fraser, ancien procureur général d'Écosse. 
Après un examen approfondi du dossier, la POAC a jugé que la décision du ministre de l'Intérieur de maintenir la proscription de l'OMPI était illégale. Elle a donc ordonné au ministre de la retirer de la liste. 
L'affaire ne s'arrête pas là : le ministre de l'Intérieur a fait appel de la décision de la POAC devant la Cour d'appel d'Angleterre. Celle-ci a rendu son verdict le 7 mai dernier en précisant que l'appel du gouvernement n'était pas fondé et que la proscription de l'OMPI devait être annulée, qualifiant même l'attitude du gouvernement de « perverse ». Selon la Cour, il n'existe ni dans les documents publics ni dans les documents confidentiels le moindre élément qui permet de prouver l'implication de l'OMPI dans le terrorisme. Le verdict note que « les Moudjahidine ont participé à des activités militaires contre le régime iranien car c'était le seul recours possible pour s'opposer à la tyrannie et à l'oppression ». Et d'ajouter que « les mérites démocratiques des Moudjahidine leur ont attiré le soutien de parlementaires à travers le monde ».
Le verdict de la Cour d'appel d'Angleterre infirme également la décision du Conseil des ministres de l'Union européenne concernant l'inscription de l'OMPI sur sa  liste des organisations terroristes, parce que celle-ci a été prise, à l'origine, sur la base de la décision britannique.
De même, en décembre 2006, la Cour européenne de justice a rendu un jugement en faveur de l'OMPI (17), mais le Conseil de l'Union européenne a refusé de l'appliquer (18). En tout cas, il est désormais impossible d'ignorer la décision de la justice britannique sans se mettre hors la loi. En clair : après sept ans d'une bataille juridique sans merci, la justice atteste enfin la justesse de la cause de la Résistance iranienne et l'illégitimité de l'action déplorable entreprise contre elle en Europe.
 
P. I. – Sur le plan judiciaire, où en êtes-vous précisément ?
 
M. R. – Depuis des années, le régime iranien avait ourdi un plan pour porter un coup décisif à la Résistance iranienne avec le concours du gouvernement français de l'époque. Deux ans et demi avant le raid du 17 juin 2003 de la police française contre le siège du CNRI à Auvers-sur-Oise, les services de renseignement des mollahs (Vevak) avaient établi un système d'échange d'informations avec certains services français (19). La date de l'assaut ne doit rien au hasard : Bagdad était tombée aux mains des Américains depuis quelques semaines ; c'était le moment idéal pour mettre ce plan à exécution. Certains pensaient que la Résistance iranienne était sur le point de s'effondrer et qu'il était temps de lui porter un coup fatal pour faire plaisir aux mollahs et ouvrir ainsi la voie à la signature de contrats commerciaux avec l'Iran. 
Or sept ans et demi après l'ouverture de l'instruction et cinq ans après les événements du 17 juin, ce dossier est toujours vide. Son maintien ne peut qu'avoir des motivations politiques.
 
P. I. – Avec le recul, considérez-vous que votre longue amitié avec le régime de Saddam Hussein fut une erreur ?
 
M. R. – C'est au cours de sa longue présence en Irak – vingt-deux ans ! – que l'OMPI a écrit les pages les plus glorieuses de son histoire (20). Pendant tout ce temps, nous avons conservé une indépendance totale et n'avons cessé d'oeuvrer pour mettre un terme aux hostilités entre les deux pays. Le soutien apporté à l'OMPI par 5,2 millions d'Irakiens en juin 2006 et par 3 millions de chiites irakiens en juin 2008 (cinq ans après la chute de l'ancien gouvernement), et l'intensification des efforts de Téhéran pour dévorer l'Irak, montrent bien que nous avons toujours été dans le vrai. 
Aujourd'hui, les milliers de femmes et d'hommes membres de l'OMPI qui vivent à la Cité Achraf en Irak portent les espoirs du peuple iranien. Ces hommes et ces femmes sont les meilleurs alliés du peuple irakien et de ses forces démocratiques, qui ne veulent pas voir leur pays transformé en une dictature religieuse, suppôt des mollahs de Téhéran.
 
P. I. – Après trente ans de régime islamique, l?économie iranienne est mal en point. Quelles mesures faudrait-il adopter pour relancer la machine ? 
 
M. R. – Sous le gouvernement des mollahs, le fossé entre les classes sociales s'est considérablement élargi et le nombre de pauvres a explosé. Le ministre des Affaires sociales du régime a avoué, le 13 août dernier, que 9,2 millions de personnes vivaient en dessous du seuil de pauvreté et que 2 millions vivaient sous le seuil de pauvreté absolue, c'est-à-dire avec un revenu quotidien de un dollar. En réalité, ce sont 80 % des Iraniens qui sont concernés ! L'Organisation de la gestion et de la planification économique (21) a été dissoute et la Banque centrale ne fonctionne plus, c'est-à-dire que les instruments de gestion économique du pays sont en train de s'effondrer. Et cela, malgré les 80 milliards de dollars de recettes pétrolières engrangés l'an dernier et les 100 milliards de dollars prévus pour l'année en cours.
L'Iran est potentiellement un pays très riche. Il possède de multiples atouts : des ressources naturelles abondantes ; des terres fertiles ; et un capital humain de grande qualité. Mais cela ne suffit pas pour remettre l'économie sur les rails… Pour y parvenir, il faut réunir un certain nombre de conditions : obtenir la participation active de toutes les couches de la société ; en finir avec la corruption et le pillage des ressources publiques ; faire revenir les centaines de milliards de capitaux qui ont fui le pays ; mettre en place un système de coopération régionale et internationale ainsi qu'un système juridique digne de ce nom. Aucun de ces objectifs ne sera réalisé tant que ce régime moyenâgeux restera au pouvoir. Il obéit à une logique qui se situe à l'exact opposé de l'efficacité économique. Actuellement, l'ensemble des dépenses consacrées à la défense, à la répression, à l'exportation du terrorisme, à la propagande gouvernementale et aux projets nucléaires dépassent les revenus pétroliers. Les capitaux de ce pays sont en grande partie entre les mains de 250 familles, pour la plupart liées à des dirigeants comme Khamenei et Rafsandjani.
Dans l'Iran de demain nous encouragerons la propriété privée, l'investissement et le retour des capitaux, et nous inciterons les talents qui ont quitté l'Iran à y revenir pour participer à la reconstruction du pays. C'est ainsi que nous éradiquerons la pauvreté et la faim qui font rage aujourd'hui. 
 
P. I. – Quelles sont vos relations personnelles avec l'islam ? Vous définiriez-vous comme une musulmane modérée ?

 
M. R. – Je suis musulmane. L'islam authentique, je vous l'ai dit, est la religion de l'amour, du pardon, de la démocratie, de la tolérance et de la paix. Ce sont des messages que nous partageons avec d'autres grandes religions. Les mollahs au pouvoir à Téhéran ont fait un tort immense à l'islam. Ils l'ont rendu synonyme de massacre, de terreur, de viol et de haine. C'est cela le khomeynisme ! Or le véritable islam est l'antithèse de l'intégrisme. Un gouvernement démocratique fondé sur la séparation de la religion et de l'État est totalement conforme à cette religion…
 
P. I. – Quel est l'homme d'État vivant dont les idées sont les plus proches des vôtres ?
 
M. R. – Il est très difficile de comparer la situation de l'Iran – livré depuis trois décennies à l'intégrisme le plus sauvage – avec celle d'autres pays. Mais, à bien des égards, je respecte beaucoup la personne de Nelson Mandela qui a consacré sa vie à la libération de son peuple et de sa patrie. Une réserve, toutefois : le peuple iranien s'attendait à ce que M. Mandela condamne avec plus de fermeté l'apartheid religieux qui sévit en Iran. Nobody's perfect…

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