Ces listes sont notre Guantanamo
Par Alain Lallemand
Les listes noires sont utiles mais leur élaboration est injuste. Nouveau « rapport Dick Marty » accablant pour lUnion et lONU.
Le Soir, 24 janvier – En maintenant lorganisation des Moudjahidine du peuple dIran (OMPI) sur la liste européenne des organisations terroristes, les 27 pays de lUnion « bafoue(nt) es principes de lEtat de droit ( ) LOMPI demeure victime dune violation de ses droits fondamentaux », affirme un rapport de lAssemblée du Conseil de lEurope adopté hier par une écrasante majorité.
Et que dire dun cas dun citoyen italien résident en Suisse, reconnu innocent devant les tribunaux dItalie et de Suisse, mais qui ne parvient pas à faire ôter son nom de la liste des terroristes élaborée par le Conseil de sécurité des Nations Unies ? Ni Berne ni Rome ne disposent des pouvoirs requis pour contrer linjustice de New York. Pire : les deux capitales ne peuvent savoir pourquoi lindividu a été placé sur liste noire.
Cest un débat passionnant et citoyen qui sest tenu ce mercredi dans les travées parlementaires du Conseil de lEurope lors du vote quasi unanime de ce rapport sur les Listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de lUnion européenne, préparé par le président de la commission des droits de lhomme, le Suisse Dick Marty le même qui avait exploré les coulisses des vols de la CIA.
M. Marty a expliqué que lélaboration de ces listes navait « rien à voir avec le droit », résultait dune « négociation politique », et quil sagissait dun « système absolument inadmissible », « pervers » (qualificatif utilisé par un tribunal de Londres face à lostracisme dont est frappé le mouvement iranien OMPI). « Le terrorisme, on ne le combat pas avec linjustice. Ces listes noires, cest notre Guantanamo », a déclaré M. Marty. Le vote du rapport par 101 voix pour, 3 contre et 4 abstentions, est révélateur : les rares réprobations venaient de parlementaires britanniques, roumains, polonais.
En termes politiques, le rapport confirme linjustice faite au principal mouvement dopposition iranien, lOMPI, en dépit de jugements favorables rendus en 2006 et 2007 par les tribunaux de Londres et Luxembourg. Pour rappel, lOMPI est un mouvement autrefois armé son dernier fait darme remonte à juin 2001 que la Grande-Bretagne a placé en mars 2001 sur sa liste nationale des organisations prohibées. Londres a ensuite fait pression sur lUnion pour quelle ajoute cette organisation à la liste communautaire.
Depuis lors, les Moudjahidine se battent sur deux fronts Luxembourg et Londres pour obtenir leur radiation de ces listes. Leur argument, récemment confirmé en droit : seule Londres les accable avec un seul et même rapport secret mais vide de preuves, nourri par le régime de Téhéran et diffusé par Londres et Bruxelles. Le jeu de Londres est dautant plus étonnant que, comme le déclarait hier le socialiste britannique Rudi Vis, reconnaître enfin que lOMPI na « rien à voir avec le terrorisme » permettrait aux Moudjahidine de se présenter comme la « principale opposition » aux mollahs, ce qui reviendrait à franchir un grand pas dans linstauration de la démocratie en Iran ».
La première victoire judiciaire de lOMPI remonte à décembre 2006 lorsque la Cour européenne de Justice, à Luxembourg, a estimé que les preuves retenues par lEurope étaient insuffisantes. Bruxelles a riposté en adoptant une « nouvelle règlementation », une astuce qui rend caduc le jugement. La dernière liste européenne des organisations terroristes, publiée en décembre, persiste à considérer lOMPI comme « terroriste ». Mais, selon le rapport que vient de voter ce mercredi le Conseil de lEurope, le nouveau règlement européen souffre des mêmes carences que la législation précédente : « Dans tous les cas, les nouvelles procédures sont aussi défaillantes que les précédentes », note le rapport Marty.
Et lOMPI attaque déjà ces nouvelles procédures, en urgence, devant la Cour européenne. Bruxelles sera dautant plus aisément condamnée que, sur lautre front judiciaire, la victoire de lOMPI est nette. Puisque cest Londres qui a nourri un pseudo-dossier de renseignement contre les Moudjahidine, ceux-ci ont attaqué la liste britannique. Cette liste étant établie sur la base de documents secrets, il fallait en saisir un tribunal administratif spécial la Proscribed Organisations Appeal Commission (POAC) – dont les magistrats disposent des habilitations de sécurité requises pour consulter les documents secrets.
Le 30 novembre dernier, la POAC rendu un jugement qui est une gifle pour Londres : le gouvernement britannique se voit contraint de proposer au parlement le retrait de lOMPI de la liste des organisations prohibées. Arguments : le Home Office a mal interprété la loi, a ignoré des faits importants et, en définitive, a pris à lencontre de lOMPI une décision « perverse ». Cest une bonne nouvelle pour lopposition iranienne. Mais comme le rappelait Dick Marty, il demeure 370 personnes dans le monde (dont un Italo-suisse) dont les avoirs sont bloqués alors quelles ne sont que « soupçonnées » de terrorisme.