
Pendant plus de quarante ans, l’Iran a servi de refuge à des millions d’Afghans fuyant la guerre, la répression et la pauvreté. Ils ont travaillé, étudié et vécu aux côtés des Iraniens, se fondant souvent dans les villes et les industries qu’ils ont contribué à bâtir. Mais cette fragile coexistence est aujourd’hui en train de s’effondrer. Ce qui était au départ une lutte commune est devenu une histoire de persécution, le régime iranien retournant son appareil répressif contre l’un des groupes les plus vulnérables de son territoire.
La dernière vague d’expulsions, intensifiée pendant la récente guerre de 12 jours, révèle son mépris des obligations humanitaires et sa propension à faire des réfugiés des boucs émissaires, dans un contexte de crises internes croissantes et d’isolement mondial. Loin d’être une exception, le traitement des réfugiés afghans reflète le mépris général du régime pour les droits humains, tant sur son territoire qu’à l’étranger.
Expulsions massives sous couvert de « sécurité »
Dans les semaines qui ont suivi le cessez-le-feu avec Israël, le régime iranien a intensifié sa campagne d’expulsions massives. Le ministre de l’Intérieur, Eskandar Momeni, a fièrement annoncé que plus de 400 000 ressortissants afghans sans papiers avaient déjà été « refoulés » au cours du premier semestre, avec le soutien total des forces armées. Les autorités ont déclaré que la fermeture complète des frontières orientales de l’Iran était une priorité absolue, invoquant de vagues « préoccupations sécuritaires » et une infiltration présumée d’« espions israéliens » afghans.
À Téhéran, la répression est sans équivoque. Les postes de contrôle de police se sont multipliés dans les quartiers à majorité afghane, et les transports en commun sont désormais réaffectés au transport des migrants détenus vers les centres d’expulsion. Le gouverneur de la ville s’est même vanté d’avoir quadruplé les arrestations de ressortissants sans papiers.
Si le régime affirme que ces opérations sont menées « dans le respect et la dignité humaine », les témoignages humanitaires dressent un tableau radicalement différent.
Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), plus de 70 % des Afghans rapatriés d’Iran sont expulsés de force, dont beaucoup sont des femmes et des enfants. Arafat Jamal, représentant du HCR en Afghanistan, a alerté sur la saturation des postes frontaliers : « Parfois, jusqu’à cinq bus arrivent simultanément d’Iran, remplis de familles fatiguées, désorientées et affamées. Elles sont choquées par le traitement qu’elles ont subi.»
Les personnes expulsées signalent des abus de la part des gardes-frontières iraniens, la saisie de leurs effets personnels et des séparations familiales forcées. Rien qu’en juin, plus de 230 000 Afghans ont été contraints de franchir le point de passage Dogharun-Islam Qala. L’UNICEF estime que plus de 5 000 enfants afghans ont été séparés de leurs familles lors de ces expulsions.
Nombre de ces réfugiés avaient un statut légal ou des visas valides, mais se sont retrouvés pris dans le piège. Dans un contexte de xénophobie croissante, des accusations d’espionnage et de terrorisme sont désormais lancées avec désinvolture contre les réfugiés, sans preuves. Les médias d’État et les responsables radicaux ont alimenté ce climat, exhortant les Iraniens à signaler les Afghans sans papiers et qualifiant des communautés entières de risques pour la sécurité nationale.
Des invités aux « menaces »
Pendant des décennies, la population afghane iranienne a été présentée par la propagande d’État comme le symbole de la générosité du régime. Dans les écoles, sur les chantiers et sur les marchés, les réfugiés afghans constituaient discrètement l’épine dorsale de la main-d’œuvre iranienne. Leurs enfants étaient assis aux côtés d’enfants iraniens dans les salles de classe.
Mais après des années de mauvaise gestion économique, d’inflation paralysante et de sanctions internationales, le régime considère désormais cette même population comme un handicap – économique, politique et démographique. La rhétorique autrefois tolérante de la « fraternité » a cédé la place à des inquiétudes quant aux « désordres sociaux », aux « déséquilibres démographiques » et aux « menaces culturelles ».
Les autorités affirment désormais que le taux de natalité afghan est dangereusement plus élevé que celui des citoyens iraniens. Les parlementaires parlent de « quartiers occupés par les Afghans » et avertissent que des villes comme Téhéran, Ispahan et Machhad deviennent « méconnaissables ». Les médias populaires, notamment ceux proches du régime, reprennent ce discours, présentant les réfugiés comme des criminels ou des agents étrangers.
Couverture juridique à la répression
Pour légitimer la répression, le régime a créé une « Organisation nationale de l’immigration » afin de centraliser le contrôle des migrants. De nouvelles règles menacent d’amendes les employeurs d’Afghans sans papiers, criminalisent le dépassement de la durée de validité des visas au-delà de six mois et limitent la résidence légale à six catégories restreintes.
Mais derrière cette façade bureaucratique se cache une injustice plus profonde. La plupart des réfugiés afghans en Iran sont de deuxième ou troisième génération, parlent couramment le persan et ont grandi dans la société iranienne, mais se voient toujours refuser la citoyenneté, un emploi légal ou l’accès aux services bancaires.
Beaucoup ont fui le régime taliban pour assurer l’éducation de leurs filles. Aujourd’hui, même ceux qui ont un statut légal risquent l’expulsion, faute de visas.
o non renouvelé. Les enfants venus pour être scolarisés sont renvoyés dans un pays où ils n’ont aucun avenir.
Un modèle d’injustice
Les mauvais traitements infligés par le régime aux réfugiés afghans s’inscrivent dans un schéma plus vaste. Sur son territoire, il emprisonne des manifestants, exécute des dissidents et cible les minorités. À l’étranger, il alimente des guerres par procuration, du Yémen au Liban. Aujourd’hui, il exerce la même cruauté sur des réfugiés qui ne recherchaient que sécurité et dignité.
Désigner les Afghans comme des boucs émissaires sert un objectif cynique : détourner l’attention des propres échecs du régime : effondrement économique, désarroi politique et montée des troubles. En qualifiant les réfugiés d’« espions » ou de « menaces », l’État déguise la répression en défense nationale.
Une crise sans solution
L’ONU estime que plus d’un million d’Afghans ont été expulsés d’Iran et du Pakistan rien qu’en 2025. Le régime iranien continue d’étendre les murs, les systèmes de surveillance et les patrouilles armées le long de sa frontière orientale.
Alors que l’on estime que plus de six millions d’Afghans vivent encore en Iran, la crise ne montre aucun signe d’affaiblissement. Mais l’approche du régime n’est pas celle de la résolution, mais celle de la répression.
Nous assistons non pas à l’effondrement d’une politique, mais à l’effondrement d’un principe moral : l’idée que la dignité humaine transcende les frontières.