Le 14 janvier, la nouvelle du suicide d’Ebrahim Nabavi, un satiriste iranien bien connu, a fait beaucoup de bruit en Iran. L’histoire a fait le tour des réseaux sociaux et des médias, suscitant des réactions polarisées. Le parcours professionnel de Nabavi, qui s’est d’abord ancré dans les médias contrôlés par le régime avant de passer aux plateformes en langue persane à l’étranger, a laissé un héritage controversé. Les factions révisionnistes au sein du régime, qui se vendent comme des « réformistes », ont critiqué les autorités pour avoir interdit à Nabavi de retourner en Iran. Dans le même temps, de nombreux Iraniens ont souligné son bilan, en particulier ses tentatives d’occulter les atrocités commises par le régime dictatorial, notamment ses appels répétés à oublier le massacre des prisonniers politiques dans les années 1980.
Le récit de Nabavi, ancien prisonnier politique qui prétend avoir subi les mauvais traitements du régime, peut paraître convaincant aux yeux des observateurs internationaux. Pourtant, ce cas, comme d’autres, dévoile une réalité bien plus complexe. La dictature cléricale a exploité de manière pratique et efficace son talon d’Achille : son manque de légitimité. Grâce à des stratégies psychologiques sophistiquées, le régime a transformé même la dissidence en outil de survie.
L’opposition fabriquée
Le régime iranien est passé maître dans l’art d’utiliser la dissidence contrôlée pour se protéger des menaces existentielles. Comme le souligne un rapport du Congrès de 2012, le ministère iranien du Renseignement et de la Sécurité (MOIS) emploie diverses tactiques pour infiltrer l’opposition à l’étranger. Il s’agit notamment de fabriquer des personnages dissidents alors qu’ils sont en réalité des agents du régime. Comme l’explique le rapport, « le MOIS utilise ses anciens membres et/ou des personnes désireuses de coopérer avec le ministère. Ils sont envoyés en prison temporairement et deviennent connus comme des militants opposés à la République islamique. Après un certain temps, personne ne remet en question leurs activités politiques antérieures ; « Être prisonnier politique suffit pour être reconnu comme une figure de l’opposition. »
Cette opposition fabriquée permet au régime de projeter une image de pluralisme tout en sapant la validité des dissidents authentiques, qui bénéficient généralement de la confiance et du respect de la communauté iranienne pour leurs sacrifices. De telles tactiques non seulement affaiblissent le mouvement d’opposition dans son ensemble, mais sèment également une profonde méfiance au sein des communautés en exil, brisant leur unité et rendant plus difficile la construction d’un front uni contre le régime.
Un exemple illustratif est Maziar Ebrahimi, que le régime a autrefois accusé d’espionnage et soumis à la torture. Ebrahimi, désormais basé à l’étranger, raconte ces expériences dans des interviews aux médias, se présentant comme un opposant farouche au régime. Pourtant, ses activités s’étendent au-delà de l’opposition à la République islamique ; Il est un fervent partisan des vestiges de l’ancienne monarchie iranienne, adressant ses critiques non seulement au régime actuel mais aussi aux groupes d’opposition organisés tels que le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) et son principal membre, l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI/MEK).
Le rôle des réformistes dans la stratégie du régime
Les soi-disant « réformistes » au sein du régime, ceux qui se positionnent comme des critiques tout en soutenant les structures fondamentales du système, jouent un rôle central dans cette stratégie. L’édition du 19 janvier de Shargh, un journal à tendance réformiste, a involontairement mis en lumière l’approche sélective du régime à l’égard de la dissidence. Dans un article critiquant l’incohérence du système judiciaire, Shargh a fait remarquer : « L’histoire d’Ebrahim Nabavi soulève une question importante : quelle est la nature du processus décisionnel dans la République islamique, et comment peut-il être analysé ? Un autre exemple est celui de Maziar Ebrahimi, qui a d’abord été accusé d’espionnage par une agence de sécurité, puis jugé innocent par une autre. La République islamique, dans un geste tout à fait progressiste et juste, lui a même versé une compensation financière. »
En présentant de tels cas comme la preuve de la prétendue capacité du régime à se réformer, Shargh et d’autres médias similaires cherchent à présenter la République islamique comme un système capable de s’autocorriger. Pourtant, cette présentation masque la dépendance systémique du régime à la répression et à la manipulation. Comme l’a reconnu par inadvertance Shargh, « certains militants écologistes sont accusés d’espionnage et libérés après cinq ans de prison. Mais comment quelqu’un peut-il être un espion et ne purger que cinq ans de prison ? […] Les deux poids deux mesures appliqués à des personnalités comme Mehdi Nasiri et Mostafa Tajzadeh sont de la même nature : clémence pour l’un et dureté pour l’autre. »
Le cas de Mehdi Nasiri illustre l’approche révisionniste des soi-disant réformistes. Ancien rédacteur en chef du journal d’État Kayhan, Nasiri s’est fait connaître comme un critique virulent du guide suprême Ali Khamenei. Il donne des interviews à des médias en langue persane et voyage à l’étranger pour plaider en faveur d’alliances entre les réformistes et des personnalités en exil comme Reza Pahlavi. À son retour en Iran, Nasiri n’a subi aucune répercussion, ce qui amène les observateurs à conclure que le régime tolère la dissidence lorsque cela sert ses intérêts. En créant l’illusion d’une critique interne, des personnalités comme Nasiri renforcent le discours du régime selon lequel il autorise la libre expression.
En 2019, Hashem Khastar, un dirigeant éminent d’un syndicat d’enseignants en Iran et toujours emprisonné, a révélé dans une lettre sortie clandestinement de prison comment des agents des services de renseignement iraniens avaient fait pression sur lui lors d’un interrogatoire pour qu’il dénonce l’OMPI. Ils lui ont également demandé s’il était prêt à collaborer avec Reza Pahlavi et à participer à des activités contre le régime clérical.
Un test décisif subtil mais crucial
La stratégie de survie du régime clérical repose sur sa capacité à manipuler les perceptions de l’opposition, tant au niveau national qu’international. Au fil des décennies, confronté à une résistance généralisée de la population iranienne, le régime a adopté des méthodes de plus en plus sophistiquées pour maintenir son emprise sur le pouvoir. Sa tactique la plus insidieuse a été de brouiller la frontière entre une véritable dissidence et une opposition contrôlée, semant ainsi la méfiance même parmi ceux qui s’opposent au régime.
Pour la communauté internationale, faire la distinction entre ces deux catégories est difficile mais essentiel. Une mesure pratique et nuancée consiste à évaluer les attitudes envers le CNRI et l’OMPI. Ces groupes, en tant qu’opposants les plus organisés et les plus intransigeants du régime, servent de délimitation claire. La ligne rouge du régime – le point à partir duquel ses soi-disant dissidents et réformistes révèlent leur véritable alignement – est toute association avec ces organisations.
L’utilisation calculée par le régime iranien de dissidents fabriqués n’est pas seulement un outil de survie – c’est une arme de tromperie qui s’étend bien au-delà de ses frontières. En infiltrant des nations étrangères avec des agents et des individus compromis, Téhéran a brouillé la frontière entre une véritable opposition et des récits fabriqués, laissant les décideurs politiques incapables de distinguer les faits de la fiction. Ces agents ne se contentent pas de désinformer ; ils manipulent l’opinion publique et sèment la confusion, empêchant les dirigeants mondiaux de saisir les véritables réalités en Iran. Le résultat ? Les dirigeants iraniens sont constamment pris au dépourvu par des soulèvements, des manifestations et des changements dans la société iranienne qu’ils ne parviennent pas à prévoir.
Cette stratégie délibérée est plus qu’un jeu de pouvoir national : c’est une menace directe pour la stabilité mondiale. Les dirigeants doivent reconnaître que tolérer une telle infiltration met en péril la sécurité et les intérêts de leur propre pays. Le prix de l’inaction est élevé : la trahison continue de la lutte du peuple iranien pour sa liberté et l’érosion de la détermination internationale à l’égard d’un régime qui prospère sur la tromperie. Pour lutter contre cela, il faut non seulement prendre conscience de cette situation, mais aussi s’engager résolument à dénoncer et à neutraliser ces récits fabriqués avant qu’ils ne causent davantage de dommages.