Alors que la guerre entre dans sa deuxième semaine, la dictature cléricale iranienne mène une guerre simultanée contre la vérité, étouffant ses citoyens du monde extérieur tout en inondant Internet de messages orchestrés par les fidèles du régime.
Le pays est sous une coupure d’internet quasi totale depuis le 18 juin, ce qui, selon les experts, constitue l’une des coupures numériques les plus importantes depuis les manifestations de novembre 2019. Selon l’organisme de surveillance NetBlocks, la perturbation actuelle dure depuis plus de 48 heures et constitue la plus grave depuis les précédentes manifestations, lorsque le régime avait coupé l’accès à Internet pour réprimer la dissidence de masse.
ملت عزیز ایران!
همه وزارتخانه ها و دستگاه های دولتی مأموریت یافته اند با تمام توان و امکانات پابه پای صبوری و همراهی شما #برای_ایران از هیچ خدمتی دریغ نورزند.
به لطف خدا و به مدد همدلی و انسجام از این روزهای سخت و دشوار عبور خواهیم کرد.— Masoud Pezeshkian (@drpezeshkian) 19 juin 2025
Mais cette fois, la panne a coïncidé avec une forte augmentation de l’activité en ligne coordonnée, depuis l’intérieur de l’Iran.
Sur des plateformes interdites depuis longtemps en Iran, dont X (anciennement Twitter), des milliers d’utilisateurs liés à l’État ont été actifs ces derniers jours, publiant des images de rassemblements, des slogans et des discours du Guide suprême du régime, Ali Khamenei. Ce dernier a déclaré dans une vidéo : « Le régime sioniste a commis une grave erreur et en subira les conséquences.»
Un compte montre une foule organisée par l’État lors de la prière du vendredi à Téhéran, scandant des slogans tandis que les sirènes d’alerte aérienne retentissent au loin. Un autre compte, celui de l’agence de presse Fars, affiliée au CGRI, montre trois jeunes femmes portant des hijabs amples lors d’un rassemblement du régime, scandant « Mort aux traîtres ».
Un autre message d’un utilisateur basé à Téhéran se moque des Israéliens qui cherchent refuge contre les frappes aériennes : « Rampez dans vos bunkers. Nous sommes debout au cœur de Téhéran pour Seyyed Ali.»
این سند جنایات صهیونیستهاست pic.twitter.com/VKBqpxlYOz
— خبرگزاری فارس (@FarsNews_Agency) 20 juin 2025
Alors que les Iraniens luttent contre les pénuries alimentaires, la hausse des prix et un isolement total de l’information, ces utilisateurs privilégiés par l’État opèrent librement. Malgré l’interdiction publique de X par le régime, leur accès est ininterrompu et illimité.
Ce deux poids, deux mesures numérique n’est pas nouveau. Les responsables du régime et leurs alliés utilisent depuis longtemps des plateformes interdites au public pour diffuser leur message à l’étranger, sans subir les mêmes surveillances, limitations de trafic ni sanctions légales. En revanche, les utilisateurs ordinaires surpris en train d’utiliser des VPN s’exposent à des poursuites judiciaires, voire pire.
این فقط یه نماز جمعه و راهپیمایی نبود
این سوخت اصلی موشکهای ایران به قلب اسرائیل بود pic.twitter.com/Xt9T1tghGb— عبـدالمـجید خرقـانی 🇮🇷 (@Abdul_Majid33) 20 juin 2025
Fatemeh Mohajerani, porte-parole du gouvernement, a affirmé que les restrictions d’Internet étaient une réponse aux cyberattaques israéliennes. Cependant, la nature asymétrique du black-out – réduire le public au silence tout en laissant la propagande prospérer – suggère une motivation plus calculée.
Un exemple notable est celui d’un soi-disant entrepreneur qui encourage les Iraniens à l’étranger (dont beaucoup sont coupés de leurs familles et de l’actualité) à utiliser l’application nationale Baleh. Cette plateforme est connue pour fonctionner sur des infrastructures contrôlées par les services de renseignement iraniens. De tels messages illustrent l’étroite coordination de la campagne numérique du régime.
Ces messages visent à montrer que le régime garde le contrôle, même si sa population est confrontée à des frappes aériennes, des coupures de courant et au manque d’accès aux informations de base. Mais les comptes qui se livrent à ce travail ne représentent pas le grand public. Nombre d’entre eux utilisent des pseudonymes anonymes, des avatars standard ou générés par l’IA, et des biographies étrangement identiques, prétendant être « de Téhéran » ou d’autres villes iraniennes. Les experts et les militants des droits numériques en exil estiment que nombre d’entre eux font partie de la soi-disant « cyberarmée » du régime – un vaste réseau de comptes déployé pour simuler le soutien populaire et réprimer la dissidence.
Dans l’écosystème complexe du réseau sécuritaire du régime, une autre tactique est de plus en plus visible : des campagnes de commentaires coordonnées émanant de comptes anonymes se réclamant de la monarchie ou du soutien du fils du Shah d’Iran déchu. Bien qu’ils n’aient pas d’avatar et se déclarent basés en Iran – un pays sous étroite surveillance –, ces utilisateurs attaquent ouvertement des responsables du régime ou des personnalités des médias d’État. Leur objectif n’est pas la dissidence ; il s’agit plutôt de créer une fausse image d’un sentiment royaliste généralisé, de détourner l’attention des véritables forces d’opposition et de fracturer la société civile.
La distinction entre « nous » et « eux » dans la vision du monde du régime est flagrante. Les loyalistes sont protégés, privilégiés et bien nourris, bénéficiant d’un accès numérique ininterrompu, même en temps de guerre. Ils sont le public cible des discours de Khamenei et des participants à ses rassemblements.
Mais pour l’écrasante majorité – ceux qui ne sont pas des initiés du régime –, la vie est synonyme de répression, de privations économiques, de discrimination et, désormais, d’obscurité numérique totale. Ce système est conçu non pas pour gouverner une nation, mais pour préserver une forteresse.
La guerre est peut-être nouvelle. La censure, elle, ne l’est pas.
ماشاالله به این مردم که راهپیمایی تمام شده و همچنان پای کار هستند. pic.twitter.com/pGvx1xtLKX
— علی بهادری جهرمی (@alibahaadori) 20 juin 2025
À Téhéran et dans tout le pays, les cybercafés sont fermés, les boutiques d’applications sont inaccessibles et les données mobiles sont quasiment inexistantes. Les Iraniens exilés déclarent ne pas pouvoir joindre leurs proches. Les diffusions en direct de grèves, d’explosions ou de manifestations sont absentes, non pas parce qu’elles n’ont pas lieu, mais parce que personne ne peut les diffuser.
Il ne s’agit pas seulement d’une fracture numérique, mais d’un apartheid numérique. Un système conçu pour séparer les membres du régime du reste de la société, accordant à un groupe un accès total à l’information, à la sécurité et à la mobilité, tout en enfermant la majorité dans le silence et la peur. Ce faisant, le régime révèle qui il considère réellement comme la principale menace : ni Israël, ni les États-Unis, mais le peuple iranien lui-même.