Une nouvelle série de documents dévoilés par des dissidents iraniens montre que le régime iranien craint d’être tenu pour responsable par une mission d’enquête mise en place par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies à la suite de la répression violente des manifestations de la fin de l’année 2022. Selon ces dossiers, Téhéran est en mode de gestion de crise pour éviter l’examen international.
Ces dossiers, qui comprennent une lettre de recommandations et de directives émanant d’un ancien haut responsable de la sécurité nationale, révèlent comment le régime théocratique a tenté de dissimuler des crimes contre l’humanité et de tromper la communauté internationale. À la suite du soulèvement national déclenché par le meurtre de Mahsa Amini, une innocente jeune fille kurde, aux mains de la police des mollahs, le régime a mobilisé son vaste appareil de sécurité pour réprimer violemment les manifestants dans les rues, arrêtant des dizaines de milliers d’entre eux et les soumettant à de graves tortures dans ses prisons.
Les documents révèlent également de nombreuses tactiques de tromperie des mollahs, qui profitent notamment de certains mécanismes de l’ONU pour rendre inefficaces les véritables enquêtes. L’auteur du document, Ali Shamkhani, alors secrétaire du Conseil suprême de sécurité, affirme notamment que la Rapporteuse spéciale des Nations unies, Alena Douhan, a été invitée à Téhéran pour saper le travail et l’exposition de Javaid Rehman, Rapporteur spécial sur la situation des Droits de l’Homme en Iran.
Ces écrits montrent aussi clairement à quel point le régime théocratique compte sur la politique de complaisance des gouvernements occidentaux et sur l’adhésion de ses alliés au Conseil des Droits de l’Homme pour concevoir ses tactiques de tromperie en conséquence et éviter d’avoir à rendre des comptes.
Voici l’intégralité de la correspondance susmentionnée et sa traduction :
Numéro : 328473
Date : 8 novembre 2022
Urgence : Immédiat
Très confidentiel
Représentant du Guide suprême et secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale
République islamique d’Iran
Conseil suprême de sécurité nationale
En présence du Guide suprême de la Révolution islamique, l’Ayatollah Khamenei (que son statut élevé soit préservé), et de l’Honorable Monsieur le Président et Président du Conseil suprême de sécurité nationale, le Dr Raïssi
Objet : Mesures proposées pour empêcher la formation d’une mission d’enquête lors de la session extraordinaire du Conseil des Droits de l’Homme [de l’ONU]
Avec mes salutations et mon respect,
Nous vous informons que, compte tenu de la tenue de la session extraordinaire du Conseil des Droits de l’Homme (21-25 novembre) sur les événements récents en Iran, qui risque de déboucher sur la création d’une « Mission d’enquête », les conséquences de la formation d’une telle commission, ainsi que des propositions visant à empêcher sa formation, sont présentées comme suit :
A – La Mission d’information et ses conséquences
La mission d’enquête est un mécanisme qui, jusqu’à présent, n’a été mis en place que pour des pays en proie à des conflits tels que la Libye, le Soudan et la Syrie. Par conséquent, sa création pour une question relative aux Droits de l’Homme en République islamique d’Iran est sans précédent et provocatrice et aura plus de répercussions que la nomination d’un Rapporteur spécial spécifique à un pays (en plus des conséquences politiques, elle aura des conséquences juridiques). La mission générale de cette commission est de tenir les gouvernements pour responsables (des violations flagrantes des Droits de l’Homme, de leurs causes et de leurs facteurs), et son approche a consisté, premièrement, à soumettre confidentiellement les noms des auteurs de violations des Droits de l’Homme à la présidence du Conseil des Droits de l’Homme et, deuxièmement, à recommander au Conseil de sécurité des Nations unies la création d’un tribunal pénal international chargé d’enquêter sur les crimes de ces personnes (même pour les pays non membres du tribunal). Bien que la deuxième approche semble peu probable en l’absence de conflit armé en Iran, l’identification des auteurs de violations des Droits de l’Homme constituerait une base appropriée pour légitimer des sanctions à l’encontre des autorités iraniennes.
B – Paquet proposé pour empêcher la mise en place de la Mission internationale d’enquête
1. Inviter le Rapporteur spécial sur le « droit de réunion pacifique » à se rendre en Iran
Etant donné que, premièrement, le Président du Conseil des Droits de l’Homme a annoncé lors de sa rencontre avec la délégation iranienne à Genève que si le Rapporteur spécial sur les « droits à la liberté de réunion pacifique » ou la « prévention de la violence à l’égard des femmes » était invité à se rendre en Iran, la possibilité d’établir la mission d’enquête pourrait être éliminée (et il a promis de faire des efforts à cet égard),
Deuxièmement, les conséquences de l’invitation et de l’acceptation du « Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique » sont moindres que celles du « Rapporteur spécial sur la violence à l’égard des femmes » (la question des droits des femmes a une base religieuse et ne permet pas la flexibilité dans de nombreux cas). Par conséquent, pour les raisons suivantes, il semble raisonnable d’inviter le « Rapporteur spécial sur les droit à la liberté de réunion pacifique » à se rendre en Iran pour empêcher la mise en place d’une mission d’enquête, après vérification pour voir si les pays qui parrainent la résolution accepteraient ou non un tel remplacement :
● Inviter le « Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique » était 1) une initiative de notre pays, 2) sera considéré comme une interaction positive avec le Conseil des Droits de l’Homme, 3) il est possible de gérer le calendrier du voyage après les émeutes et de le reporter à des dates ultérieures, de gérer l’itinéraire de la visite et même d’accepter certaines des recommandations finales du Rapporteur (telles que l’amendement de certaines lois régulières). Cependant, la nomination d’une Mission d’information est 1) imposante et en période de troubles, 2) le rejet de la demande de voyage de la Mission d’information en Iran sera perçu comme une non-coopération avec le Conseil des Droits de l’Homme, et 3) la Mission d’information recevra toutes ses informations de la part des opposants et leurs avis seront mis en œuvre.
● La mission du « Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique » est initialement limitée à une question, ce qui pourrait l’amener à s’intéresser à d’autres domaines tels que la violence contre les femmes, mais la résolution de la Mission d’information lui confiera très probablement la mission d’examiner toutes les questions relatives aux Droits de l’Homme liées aux événements récents, et certains experts estiment que la possibilité d’étendre le champ d’action de la commission aux exécutions des années 1980… est également envisageable.
● La politique de l’État ne cherche pas à interagir avec Javid Rahman, le Rapporteur spécial [de l’ONU], et vise à rompre complètement les liens avec lui. L’invitation de rapporteurs thématiques, tels que le Rapporteur spécial sur la prévention des sanctions [référence au professeur Alena Douhan, Rapporteur spécial sur l’impact négatif des mesures coercitives unilatérales sur la jouissance des Droits de l’Homme], était également envisagée, et même si les événements récents ne s’étaient pas produits, la possibilité d’inviter d’autres rapporteurs était à l’ordre du jour, l’invitation du « Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique » étant moins prioritaire en raison de ses conséquences moindres.
● Certes, le rapport du « Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique » comportera des éléments négatifs, montrant l’ingérence de gouvernements étrangers et de groupes terroristes dans la transformation de rassemblements pacifiques en incidents pour des activités criminelles et subversives, il peut être transformé en une occasion de dénoncer l’approche hypocrite et criminelle des pays occidentaux et de présenter les réalisations du système. En revanche, la commission d’enquête ne fera état d’aucun point positif dans son rapport.
Une approche progressive :
– Le ministère des Affaires étrangères devrait prendre contact avec des pays européens tels que l’Allemagne et la Pologne afin de déterminer si les auteurs de la résolution accepteraient de s’abstenir de convoquer une session extraordinaire ou de s’abstenir d’établir la mission d’enquête si le « Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique » est invité en Iran ou non.
– Si les sponsors sont d’accord, l’invitation officielle du « Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique » devrait être reportée après la session (à condition qu’aucune mission d’enquête ne soit établie), étant donné que les pays occidentaux pourraient ne pas tenir leurs promesses. Si les pays occidentaux demandent l’invitation du « Rapporteur spécial sur la violence à l’égard des femmes » en plus de l’invitation du « Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique », seule une promesse de considération sera faite.
2. Mesures proposées concernant la commission d’enquête du ministère de l’Intérieur :
Étant donné que la principale excuse pour la création d’une mission d’enquête internationale est l’affirmation qu’il n’existe pas de mission d’enquête nationale indépendante et l’absence de responsabilité pour d’éventuelles violations commises par des autorités lors d’événements récents, la nécessité de créer une commission d’enquête nationale est indéniable. Toutefois, son efficacité pour empêcher la création d’un mécanisme international dépend des mesures suivantes :
• Donner la priorité à la création d’une commission d’enquête sous l’égide de l’adjoint juridique de la présidence, du ministère de la Justice ou du quartier général des Droits de l’Homme Étant donné que le ministère de l’Intérieur devrait être en mesure de répondre plutôt que d’exiger, la commission d’enquête subordonnée ne jouirait pas d’un prestige international. Par conséquent, étant donné le manque de couverture médiatique dans l’opinion publique, il conviendrait d’établir la commission sous l’autorité du quartier général des Droits de l’Homme ou d’autres institutions gouvernementales, telles que l’adjoint juridique du président ou le ministère de la Justice.
• Faire appel à de véritables universitaires ou associations pour la direction ou la composition du comité et chercher à obtenir une couverture médiatique pour les actions du comité.
• Fournir un rapport sur le traitement des plaintes contre les agents et l’indemnisation des victimes avant la session du Conseil des Droits de l’Homme.
3. Déclaration d’acceptation de la recommandation des États membres du Conseil des Droits de l’Homme de créer une institution nationale des Droits de l’Homme :
Compte tenu de l’engagement pris par la République islamique d’Iran lors de la réunion du Conseil des Droits de l’Homme consacrée à l’EPU en 2010 de créer une institution nationale des Droits de l’Homme, et de la demande subséquente d’autres pays en faveur de sa création, si le Conseil suprême de sécurité nationale donne son accord, la création de l’institution nationale peut être communiquée aux membres de l’Assemblée générale et du Conseil des Droits de l’Homme, en particulier aux pays qui ont recommandé la création de l’institution en Iran. Ceci est important, compte tenu du rôle potentiel que l’institution nationale peut jouer dans l’enquête sur les événements récents.
Cependant, bien qu’elles soient d’accord avec le principe de la création d’une telle organisation, les institutions concernées, telles que le quartier général des Droits de l’Homme, le ministère des Affaires étrangères et le ministère du Renseignement, émettent des réserves quant à ses implications en matière de sécurité et proposent qu’au stade actuel, une personne de confiance, telle qu’un représentant spécial ou un assistant présidentiel dans le domaine des Droits de l’Homme, soit nommée avec les pouvoirs appropriés pour cette tâche, à l’instar du commissaire aux Droits de l’Homme de Russie, qui a été accepté en tant qu’institution nationale au sein des Nations unies.
4. Organiser un procès pour traiter les lacunes ou les fautes des responsables avant la session du Conseil des droits de l’homme
La tenue d’un tribunal pour traiter les plaintes de la population contre les autorités en même temps que le procès des émeutiers, indépendamment de la condamnation ou de l’acquittement des agents gouvernementaux, peut montrer la détermination de l’État à traiter les accusations des autorités et éliminer l’excuse de la création d’une mission d’enquête. Actuellement, une affaire concernant le meurtre d’une personne de moins de 18 ans (avec un fusil à plomb) a été renvoyée à l’organisation judiciaire des forces armées, ce qui peut être accéléré.
5. Interaction intensive au niveau présidentiel avec ses homologues des États membres du Conseil, tels que la Chine, le Brésil et le Venezuela Compte tenu de l’appartenance au Conseil des Droits de l’Homme de pays alignés tels que la Chine, le Brésil et le Venezuela et de l’appartenance de pays asiatiques tels que le Qatar, les Émirats [arabes unis] et la Malaisie, ainsi que de certains pays d’Afrique et d’Amérique latine qui se sont toujours abstenus de voter les résolutions concernant la République islamique d’Iran, il est nécessaire de coopérer avec les pays alignés et influents afin de préparer le terrain pour qu’ils changent leur vote en un vote négatif.
6. Présenter des rapports embarrassants sur les fausses informations fournies par certaines organisations de défense des Droits de l’Homme Certaines personnes âgées de moins de 18 ans qui ont été répertoriées comme des enfants tués lors d’émeutes par Amnesty International et la Commission des droits de l’enfant sont décédées pour des raisons telles que des accidents de voiture, un empoisonnement au gaz, etc.
Ali Shamkhani
Bureau du Président
République islamique d’Iran
Numéro : 41358/M
Date : 11 novembre 2022
Heure : 09:41
Classification : Hautement confidentiel
Urgence : Très urgent
Dr. Amir-Abdollahian
Ministre des Affaires étrangères
Je vous prie d’agréer, monsieur le Ministre, l’expression de mes salutations distinguées,
Vous trouverez ci-joint une copie de la lettre n° 328473 datée du 8 novembre 2022, émanant du secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, concernant les « mesures proposées pour empêcher la formation d’une commission d’enquête lors de la session extraordinaire du Conseil des Droits de l’Homme », afin de prendre les mesures nécessaires.
Je vous prie d’agréer, monsieur le Président, l’expression de mes salutations distinguées,
Gholam Hossein Esmaeili
Ampliation :
● M. Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, pour le suivi de la mise en œuvre des propositions, jusqu’à ce que les résultats soient atteints.
● Dr. Jamsheedi, vice-ministre des affaires politiques, pour information.