
Le 9 septembre 2025, le magazine Le Point a publié une interview d’Ammar Maleki, président de l’Institut « Gamman », intitulée « Ce que les Iraniens pensent (vraiment)». Dans cette interview, il a cité les résultats d’un sondage qui, selon lui, reflète les orientations politiques des Iraniens.
À cet égard, les points suivants méritent d’être soulignés :
1- Malgré les nombreuses contradictions dans le sondage en question et dans les déclarations d’Ammar Maleki, ainsi que les nombreuses critiques déjà en persan à son sujet, je vous renvoie à l’étude conjointe des professeurs Hossein Saeidian (Université du Kansas) et Kazem Kazerounian (Université du Connecticut), publiée par le groupe de réflexion « Free Iran Scholars Network.
https://freeiransn.com/the-betrayal-of-truth-gamaan-polling-under-dictatorship-in-iran/
Publié en français sur ce lien :
https://www.fondationfemo.com/la-trahison-de-la-verite-sondage-gamaan-sous-la-dictature-en-iran/
Ce rapport souligne comme un principe évident et rationnel que les sondages exigent la liberté d’expression, la sécurité des répondants et la transparence du processus électoral. Si aucune de ces trois exigences n’est réalisable sous une dictature, de tels sondages sont le fruit d’une mission politique aux objectifs précis et aux motivations malsaines. Les deux professeurs ont conclu dans une autre étude publiée en 2022, au sujet d’un sondage similaire réalisé par Ammar Maleki, que « le principal objectif de tous ces soi-disant sondages est d’instiller l’idée fausse selon laquelle le peuple iranien n’aurait que deux options : l’ancienne dictature ou la dictature cléricale, autrement dit, « le Shah ou les mollahs ». Tant que l’infâme gouvernement clérical perdurera, nous continuerons d’assister à ces soi-disant faux sondages.»
2- L’objectif de ce soi-disant sondage est simple : premièrement, ce régime n’a pas d’alternative démocratique et la seule issue possible est le retour à la dictature du Shah ; deuxièmement, Mme Radjavi et le mouvement à l’échelle nationale qu’elle dirige sont dépourvu de base populaire. Il ne faut donc pas envisager de changer le paradigme en Iran, et de toute façon, le sort du peuple iranien est condamné à supporter une forme de dictature. Ces affirmations constituent implicitement réplique à des milliers de parlementaires et de centaines de personnalités internationales de premier plan, dont l’ancien vice-président américain Mike Pence, qui a notamment déclaré à Achraf 3 en Albanie le 23 juin 2022 : « L’un des plus grands mensonges que le régime au pouvoir ait propagés au monde est qu’il n’existe pas d’alternative au statu quo. Or, il existe une alternative : une alternative parfaitement organisée, préparée, qualifiée et soutenue par la population. L’engagement de vos groupes rebelles en faveur de la démocratie, des droits humains et de la liberté pour tous les citoyens reflète l’image d’un Iran libre et inspirant pour le monde… Le régime de Téhéran veut tromper le monde en lui faisant croire que les manifestants iraniens souhaitent un retour à la dictature du Shah. Mais je tiens à vous assurer que nous ne nous laisserons pas tromper par leurs mensonges. »
3- L’émergence d’Ammar Maleki et de son sondage fabriqué après la manifestation de dizaines de milliers d’Iraniens à Bruxelles en soutien à l’OMPI, qui a suscité une vive colère du régime, est également très significative en termes de timing.
Les médias du ministère du Renseignement et de la Force Qods du régime ont, plusieurs jours avant ces manifestations, diffusé de fausses informations, notamment que l’OMPI elle-même souhaitait faire exploser des bombes lors de ces manifestations et en imputait la responsabilité à la « République islamique ». Le régime cherchait ainsi à effrayer les Iraniens et les dissuader de participer à la manifestation, et de créer une panique sécuritaire qui permettrait aux autorités belges d’imposer des restrictions aux manifestants. Le régime avait auparavant annoncé, dans sa célèbre mis en scène du « Tribunal des 104 », que chaque personne participant aux manifestations des Moudjahidines du peuple à l’étranger serait considérée comme « un ennemi de Dieu » et serait extradée vers l’Iran et jugée. Bien sûr, toutes ces tentatives du régime ont échoué, et l’une des plus belles manifestations d’Iraniens à l’étranger a eu lieu le 6 septembre 2025.
https://youtu.be/JbgCQ4JGgLA?si=lwcQnekdsmaRuaCY
4- Le Conseil national de la Résistance iranienne a tenu sa réunion annuelle les 9 et 10 septembre 2025. Le communiqué final du CNRI, daté du 12 septembre, stipule : « Les membres du CNRI ont qualifié les sondages ridicules et non scientifiques menés par des individus et des institutions douteux pour légitimer la tyrannie d’indices de la déchéance et trahison morale de cercles qui cherchent à fabriquer une base sociale pour des criminels tels que Khamenei, Raïssi et le fils du Shah, qui n’a jamais condamné les crimes de son père et dont le principal conseiller était le célèbre agent de la SAVAK, Parviz Sabeti.»
La déclaration du CNRI a souligné : « Il est devenu évident que ce type de sondages « sur commande » n’a aucun fondement scientifique et se limite à créer une alternative illusoire, en lui attribuant une prétendue « popularité » pour entraver tout projet de remplacement démocratique et révolutionnaire ».
5- Dès le premier jour, le CNRI a souligné que la légitimité en temps d’oppression et de répression n’est issus que de la résistance, et qu’en l’absence d’un référendum libre et supervisé internationalement, toute prétention à une popularité depuis 5 000 kilomètres du sol iranien est absurde. De tels sondages n’ont aucune validité, et seule le degré de résistance est crédible. »
La déclaration annuelle du CNRI à l’occasion du 44e anniversaire de sa création précise : « Du 22 août 2024 à fin 21 août 2025, les Unités de résistance ont maintenu allumés les flambeaux de la résilience, du progrès et du soulèvement dans 31 provinces du pays, avec 2 993 opérations anti-répression réussies et 35 118 pratiques contestataires.
Dans ce bilan, en raison de la répression extrême, du contexte sécuritaire et des patrouilles constantes et « de proximité », les opérations infructueuses, qui représentent un pourcentage significatif, n’ont pas été comptabilisées.
L’impossibilité d’un sondage libre sous une dictature
6-Ce soi-disant sondage étant mené dans un système où les personnes interrogées vivent sous dictature ; il est invalide et constitue une simple fraude. En Iran, la libre expression des opinions politiques peut entraîner l’arrestation, la torture ou l’exécution. La surveillance et le contrôle constants d’Internet sont si intenses que la participation même anonyme à un sondage est extrêmement dangereuse. La dissidence en ligne est poursuivie par la police de FATA (police de l’espace de production et d’échange d’informations du commandement des forces de police). Par conséquent, les gens ne participent pas à ces sondages ou, s’ils le font, s’autocensurent souvent.
Un outil aux mains de la dictature
7-L’objectif de ce sondage est de réhabiliter des personnalités discréditées et induire en erreur l’opinion publique internationale. Dans le sondage publié par Gamaan, les personnalités les plus populaires auprès du peuple iranien seraient Reza Pahlavi, le fils du Shah déchu, et les dirigeants de ce régime. Lors d’un précédent sondage réalisé par le même institut en 2022, Ebrahim Raïssi, membre du comité de la mort ayant participé au massacre des prisonniers politiques en 1988, était présentait comme une figure populaire. Le régime au pouvoir est le seul bénéficiaire d’une telle image, car personne ne souhaite remplacer une dictature par une autre en Iran et cela contribue au maintien du statu quo.
Suppression massive de réponses
8-L’institut Gamman affirme que plus de 77 000 personnes ont été interrogées, mais que seules 20 492 ont été incluses dans l’évaluation finale. La suppression de plus de 73 % des réponses (56 724 personnes) ne semble pas relever d’un filtre scientifique, mais plutôt d’une censure ciblée. Maleki affirme que ce nombre de personnes ayant utilisé le logiciel Psiphon étaient également analphabètes ou ne possédaient pas les qualifications nécessaires ! Or, l’utilisation d’un VPN et l’accès à Internet requièrent un niveau minimum d’alphabétisation et de connaissances. Maleki affirme que le sondage a été réalisé avec le logiciel Psiphon, alors que, selon des informations fiables, une grande partie de la population iranienne n’utilise pas ce VPN. Au-delà de cela, ce type d’outil technique ne peut garantir la sécurité des citoyens, qui considèrent à juste titre que de telles questionnaires pourraient être un piège du ministère du Renseignement.
Modalité non valide
9- Selon Maleki, ce sondage a été réalisé en juin 2024 et sa publication et son résumé ont été présentés 15 mois plus tard. Ce retard, expliqué par des arguments injustifiés et absurdes, prive ce sondage de crédibilité et personne ne l’appréciera. Une analyse des données avec un retard de 15 mois n’aurait aucune valeur si elle avait été réalisée dans des pays démocratiques, et encore moins en Iran, où les données elles-mêmes sont dénuées de crédibilité. D’autant plus que 15 mois ont fondamentalement modifié de nombreuses données suite aux événements majeurs survenus dans la région et en Iran. Par conséquent, la publication de ce sondage, alors que le régime est pris dans des impasses nationales et internationales, révèle les objectifs politiques douteux de ses organisateurs.
Allégations irréalistes concernant le fils du Shah
10- Ce soi-disant sondage affirme que Reza Pahlavi, qui n’a aucune organisation en Iran, obtient 31 % des voix simplement grâce à son nom. Cette affirmation est en contradiction flagrante avec les principaux slogans du soulèvement de 2022 : « Mort au tyran, qu’il soit shah ou guide (suprême) ».
Comment est-il possible qu’une personne dont le nom et l’héritage évoque la dictature de son père avec le lot de tyrannie, le souvenir de la SAVAK et de la torture, soit la figure la plus populaire du peuple iranien ?! Pourquoi cette popularité ne se reflète-t-elle pas en Iran et même pas à l’étranger ? et pourquoi cette figure populaire n’a-t-elle jamais réussi à rassembler plus de quelques dizaines, voire quelques centaines de personnes lors de ses rassemblements en exil ?
11- Les avantages des héritiers du Shah pour le régime sont si importants que le journal « Watan Emroz », affilié à Khamenei, écrivait le 1 février 2025 : « Les activités des monarchistes, malgré leur inefficacité, peuvent constituer une opportunité pour la République islamique. Ce courant, déjà en perte de vitesse, se présente comme un rival de la République islamique. Un rival faible est toujours une aubaine pour le régime. Les monarchistes sont faibles pour diverses raisons et ne peuvent jamais être présentés comme un système alternatif… En semant la discorde au sein de l’opposition, les Pahlavi ont rendu à la République islamique un service qu’aucun autre groupe n’a été capable de rendre. L’existence d’un courant faible et déraciné comme le monarchisme peut contribuer à la survie de la République islamique. Tel est le service que la famille royale rend au peuple iranien.»
12- Le Monde écrivait le 5 juillet sous le titre « Le retour opportun de Reza Pahlavi au lendemain des frappes aériennes américaines » : « Reza Pahlavi réapparaît sur nos écrans à chaque fois que le régime iranien semble sur le point de vaciller. Le prince héritier de la dernière dynastie royale de Téhéran, celle des Pahlavi chassé par la révolution de 1979, surfe sur l’onde de choc des bombardements de l’aviation américaines sur les sites nucléaires iraniens, le 21 juin. Bien que pris de court par le cessez-le-feu décrété par Donald Trump, le 24 juin, l’homme, installé aux Etats-Unis, n’a pas renoncé à préparer la suite.
L’OMPI est le principal ennemi des deux dictatures du Shah et des mollahs
13- Le Shah a exécuté les membres de l’OMPI qui contestaient sa dictature, les qualifiant à tort de marxistes islamiques. Les mollahs ont répété à maintes reprises que leur principal ennemi était l’OMPI. Par conséquent, dans un système où tout partisan de l’OMPI ou participant aux manifestations de l’opposition est menacé d’arrestation, de torture et d’exécution en tant que « mohareb » (ennemi de Dieu), toute prétention à des sondages d’opinion crédibles exclut a priori du cycle de sondage, les partisans de l’OMPI et les véritables opposants. Car chacun sait que le régime s’attache avant tout à réprimer ce mouvement. Le régime iranien a exécuté des dizaines de milliers de moudjahidine du peuple dans les années 1980, ce qui, selon le Rapporteur spécial des Nations Unies, constitue un crime contre l’humanité et un génocide.
L’acharnement du régime contre l’OMPI
14-L’expérience de M. Armin Arefi lors de son voyage en Iran et la manière dont sont traités les agents de renseignement qui ont tenté de le contraindre à rédiger un rapport contre les moudjahidines du peuple sont très révélatrices. M. Arefi a révélé cela dans son interview accordée à « L’Opinion » le 5 février 2019, qui explique clairement l’approche obsessionnelle du régime envers l’OMPI et ses sympathisants.
Le 8 janvier 2024, lors des élections législatives du régime, un expert du régime, Mehdi Nikkhah, a déclaré lors d’une interview à la télévision d’Etat : « Si un élément de l’organisation de l’OMPI, passe à côté de la maison d’un membre, de quatrième degré, de ma famille, je serais privé d’éligibilité. »
Le 9 juillet 2024, lors d’un procès-spectacle commandité pour juger par contumace des Moudjahidine du peuple et 104 membres de la Résistance iranienne pour « rébellion et guerre », accusations passibles de la peine de mort, le président du tribunal a annoncé : « Le tribunal demande au Procureur général et au Ministre des Affaires étrangères que désormais, si des Iraniens à l’étranger manifestent où que ce soit à l’invitation des accusés dans cette affaire, cela signifie qu’ils seront poursuivis devant ce tribunal… Tout soutien apporté à ces accusés, sera considéré par ce tribunal comme un nouveau crime… Par conséquent, le tribunal sera désormais tenu d’engager des poursuites judiciaires contre, toute participation à leurs meetings hors d’Iran. »
Retour à l’autoritarisme
15- Bien que ce soi-disant sondage regorge d’arguments non professionnels et biaisés révélant sa falsification, le plus étrange est peut-être que, selon ce sondage, 43 % des Iraniens souhaitent un dirigeant autoritaire. Autrement dit, après Reza Khan, Mohammad Reza Shah, Khomeiny et Khamenei, le peuple iranien souhaite toujours un tyran autocratique. Cette conclusion, qui ne correspond pas au bon sens, n’est qu’un prétexte pour promouvoir un retour à une monarchie autoritaire et justifier le programme présenté par Reza Pahlavi sous le titre de « Programme de la phase d’urgence », publié fin juillet 2025 et qui, à chaque ligne, promeut le rêve d’instaurer une nouvelle dictature fasciste.
Dans ce programme, le fils du Shah s’arroge à lui seul un pouvoir politique, militaire, judiciaire et parlementaire plus exclusif que le Shah, et nomme également les membres de l’Assemblée législative. Dans ce programme, l’armée, les services de renseignement et les forces de sécurité du régime des mollahs restent en place. Il n’y a pas une seule mention de la « Déclaration universelle des droits de l’homme » et de ses engagements. Au lieu de la SAVAK, le Shah crée la SAVAM et prend lui-même la direction de ce service de renseignement, et instaure la loi martiale dans « 20 villes critiques et dangereuses » pendant la période de transition. Non seulement il ne mentionne pas les droits des nationalités et des minorités iraniennes, mais il brandit contre elles le bâton du séparatisme.
Conclusion
Nous ne sommes pas face à un sondage, mais à une planification politique et sécuritaire précis qui, quelles que soient les intentions et les origines de ses auteurs, sert le fascisme religieux qui gouverne l’Iran et s’oppose à la volonté de la grande majorité du peuple iranien et à la lutte de la jeunesse rebelle et insurgée pour renverser ce régime et instaurer une république démocratique et pluraliste fondée sur la séparation de la religion et de l’État.
C’est un devoir consciencieux, moral et professionnel des intellectuels, des journalistes et des chercheurs impartiaux et indépendants de dénoncer ces plans néfastes et d’empêcher que les moyens des démocraties européennes soient indirectement mis au service du fascisme religieux.

