
Le président du régime iranien a publiquement évoqué la possibilité d’évacuer Téhéran en cas de sécheresse prolongée – une mesure extraordinaire qui témoigne de la préparation du gouvernement à une grave crise de l’eau et à l’instabilité qui pourrait en découler. Le 6 novembre 2025, Masoud Pezeshkian a averti que s’il ne pleuvait pas en décembre, l’eau serait rationnée à Téhéran, et que si la sécheresse persistait, « nous n’aurions plus d’eau et devrions évacuer Téhéran ». Cette déclaration intervient alors que des coupures d’eau nocturnes non annoncées se multiplient dans la capitale et que les réservoirs atteignent des niveaux critiques, soulignant comment une urgence technique se transforme rapidement en crise politique.
Les propos de Pezeshkian ont immédiatement suscité des critiques de la part des médias d’État. Javan, affilié aux Gardiens de la révolution, a affirmé que les responsables ne devraient pas évoquer « la sécheresse, le rationnement ni même l’évacuation de Téhéran d’une manière qui sème le désespoir parmi la population », tandis que Kayhan a déclaré que de telles alertes instillaient le « désespoir » et affichaient une « faiblesse ». Fars a préconisé une communication plus « mesurée », avertissant que le fait de souligner la crise sans plan d’action précis risquait d’être exploité par les « médias hostiles ».
Cette réaction illustre le réflexe du régime : reconnaître l’ampleur du risque tout en contenant la réaction du public. Elle met également en lumière les enjeux politiques derrière cet avertissement : les autorités craignent une réaction violente similaire à celle de 2019, lorsqu’une décision politique soudaine avait déclenché des troubles dans tout le pays. La préoccupation actuelle porte moins sur la protection des habitants que sur la gestion de leur réaction face à une éventuelle défaillance des services à l’échelle urbaine.
Qu’est-ce qui a motivé cette alerte ?
Le bilan hydrique se détériore. Selon les autorités régionales de l’eau de Téhéran, le barrage de Mamlou ne contient que 18 millions de mètres cubes d’eau, soit environ 7 % de sa capacité, contre 13 % à la même période l’année dernière ; la situation est encore pire pour le barrage de Latian ; celui de Lar contient 14 millions de mètres cubes ; et le niveau du barrage d’Amirkabir (Karaj) a chuté de manière drastique. Le 2 novembre, Behzad Parsa, directeur de la Compagnie régionale des eaux de Téhéran, a déclaré qu’il ne restait que 14 millions de mètres cubes d’eau dans le barrage de Karaj, soit environ deux semaines d’eau potable pour la capitale.
Cette pénurie est aggravée par une sécheresse historique. Mohsen Ardakani, directeur général de la Compagnie des eaux et de l’assainissement de Téhéran, a déclaré le 7 novembre qu’aucune précipitation n’avait été enregistrée à Téhéran depuis le début de l’année hydrologique – la sixième année de sécheresse consécutive – et que l’année dernière avait été la plus sèche depuis un siècle. Les données nationales recueillies entre fin septembre et le 25 octobre montrent une moyenne de 2,3 millimètres de précipitations, 21 des 31 provinces n’ayant enregistré aucune pluie pendant cette période de 33 jours. La gravité de la situation est visible : une vidéo publiée le 4 novembre montre un nageur iranien marchant sur le lit asséché du réservoir de Karaj.
Les responsables de la recherche parviennent à la même conclusion. Le 7 novembre, Mohammadreza Kavianpour, directeur de l’Institut de recherche sur l’eau, a déclaré qu’il n’y avait pas eu de pluie d’automne à Téhéran et que les prévisions annonçaient une sécheresse jusqu’à la fin de la saison. Il a exhorté les autorités à ne pas « jouer avec le feu » en ce qui concerne les conditions météorologiques, rappelant les 152 millimètres de précipitations de l’année dernière – soit environ 40 % de moins que la moyenne des 57 dernières années – et estimant une baisse d’environ 42 % des apports fluviaux d’une année sur l’autre.
Sur le terrain, Téhéran a mis en place un rationnement de facto. Les habitants de Yusef-Abad signalent des coupures d’eau d’environ 22h30 à 5h00, tandis que ceux de Gheytarieh et d’Ekhtiyariyeh voient leurs robinets se tarir plus tôt, vers 21h00-22h00, jusqu’à l’aube. Même les quartiers équipés de pompes et de réservoirs sur les toits – Niavaran, Jordan, Gisha – se plaignent de réservoirs vides et de dégâts dus aux surpressions. Le site d’information Mizan, lié au pouvoir judiciaire, et le quotidien Haft-e Sobh ont tous deux rapporté que le rationnement avait commencé la nuit – généralement de minuit à 5h00 – malgré les démentis officiels répétés et l’absence d’avis publics préalables. Les experts attribuent cette crise à une « mauvaise gestion généralisée et à un manque de planification adéquate pour l’approvisionnement en eau de la capitale », mettant en garde contre les risques sanitaires et les dommages aux infrastructures si la situation persiste.
Manque de planification et politique de la peur
Même les médias proches du pouvoir reconnaissent le vide politique. Un média favorable au gouvernement constate que le ministère de l’Énergie n’a aucun plan précis pour compenser le déficit des barrages de Téhéran. Parallèlement, les responsables insistent sur les « économies » de 10 à 20 % que les ménages devraient réaliser, au lieu de s’attaquer aux pertes dues à un réseau vieillissant ou de présenter une stratégie crédible en matière d’approvisionnement. Le président lui-même a reconnu le gonflement des effectifs de l’État et l’indiscipline budgétaire : « lorsque le gouvernement est en déficit, il est contraint d’imprimer de la monnaie ; et l’impression de monnaie entraîne l’inflation » – un contexte qui érode les capacités et accroît la sensibilité du public aux nouveaux chocs.
Cette sensibilité est au cœur des discussions sur l’évacuation. Déplacer une métropole d’environ 15 millions d’habitants est, comme l’a déclaré un scientifique de l’environnement, « irréalisable » et « absurde ». Les milieux d’affaires ont également exprimé leurs inquiétudes.

