vendredi, mars 29, 2024
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L’Iran annule une rencontre de football féminin à Berlin

Le long bras de la  police des moeurs

Par Anne Haeming  ([email protected])

Spiegel On Line, 1 juin – Une célébration du football féminin était prévue ce vendredi où des joueuses iraniennes et allemandes devaient se rencontrer à Berlin. Mais les Iraniennes ont déclaré forfait à la dernière minute – laissant leurs hôtes berlinoises se casser la tête pour savoir pourquoi le match avait pris fin avant même d’avoir commencé.

Le long bras de la  police des moeurs

Par Anne Haeming  ([email protected])

Spiegel On Line, 1 juin – Une célébration du football féminin était prévue ce vendredi où des joueuses iraniennes et allemandes devaient se rencontrer à Berlin. Mais les Iraniennes ont déclaré forfait à la dernière minute – laissant leurs hôtes berlinoises se casser la tête pour savoir pourquoi le match avait pris fin avant même d’avoir commencé.

Voilà deux ans que les femmes de l’équipe de football Aldersimspor de Kreuzberg se préparaient pour ce jour. Mais finalement cela n’a servi à rien. Il s’agissait de jouer un match contre l’équipe féminine nationale iranienne vendredi à Berlin. Cela aurait été une première rencontre d’Iraniennes en occident depuis la révolution islamique de 1979. "Hier à 22h00, un courrier électronique officiel est arrivée de la Fédération iranienne de football," dit Marlene Assmann, une des organisatrices. Le jeu a été annulé, en raison "de problèmes techniques."

"Nous sommes tout à fait déçues", dit Assmann. Cette joueuse de 26 ans joue dans BSV Aldersimspor – une équipe avec des joueuses d’origine turque, allemande, coréenne, grecque et tunisienne et qui se classe au cinquième rang de la ligue de Berlin. Elle savait dès le début que ce n’était pas un match de football ordinaire. Mais elle n’avait pas compris quelles ramifications politiques prendrait cette aventure interculturelle.

Assmann, une étudiante en cinéma et sa soeur jumelle Valérie sont les forces motrices de tout ce projet. Ensemble avec leur autre soeur Corinna et une cousine Friederike, elles ont fondé l’équipe multiculturelle de football du quartier de Kreuzberg de Berlin.

Jeudi, elles ont tenu une conférence de presse au siège de la Fédération de Football de Berlin pour essayer d’expliquer quelque chose qu’elles ne comprennent pas vraiment. Elles  disposent en tout et pour tout de deux mots : " problèmes techniques", pour le reste, ce ne sont que des suppositions.

La répression des femmes en Iran

Une chose est certaine : Elles ne pouvaient pas choisir une plus mauvaise date pour le match de retour – le match aller avait eu lieu à Téhéran l’an dernier. Ces dernières semaines, les représailles contre les femmes en Iran ont augmenté de manière significative. La campagne annuelle de printemps par la police des moeurs est beaucoup plus stricte que les années précédentes, expliquent les exilés iraniens en Allemagne. Au printemps, comme il fait beaucoup plus chaud, la police iranienne est massivement dans la rue pour trouver les femmes qui n’adhèrent pas aux restrictions vestimentaires officielles. "Les manteaux, les foulards et les pantalons raccourcissent  chaque année", constate Reza Sorki, président de l’association culturelle iranienne Dehkoda à Berlin. "Voilà pourquoi cette année, la police de moeurs a mis en place une toute nouvelle unité."

Tout individu attrapé et qui résiste va devoir affronter la force – ce sont les femmes qui sont en général arrêtées. À la fin de la semaine dernière, Maryam Radjavi,  la présidente élue du Conseil national de la Résistance iranienne, le Parlement en exil, a adressé une lettre ouverte à la Ban Ki Moon, le Secrétaire général de l’ONU, pour lui demander de "condamner la vague violente de répression des femmes et des jeunes en Iran." L’arrestation de l’universitaire irano-américaine Haleh Esfandiari à la mi-mai à Téhéran est juste le dernier incident. Les autorités iraniennes répriment depuis des mois le mouvement féministe qui bourgeonne dans le pays, arrêtant des dizaines de militantes des droits des femmes accusées de compromettre « la sécurité nationale ». La montée de la répression a incité le journal allemand Die Zeit, à suggérer que la République islamique avait « déclaré la guerre aux femmes. »

« Nous voulions vraiment prouver quelque chose», dit Marlene Assmann : « qu’il est tout à fait normal pour les femmes de jouer au football ». Il y a seulement quelques jours, elle avait dit que c’était important pour la Fédération de Football iranienne, qu’il y avait un match de retour. « Elles avaient beaucoup plus peur que nous de ne pouvoir honorer leur engagement ». Dès le début le projet a été une sorte de course d’obstacles, les deux rencontres ont dû être reportées plusieurs fois en raison de problèmes de visa. Pour les joueuses, attendre les matches a été aussi exténuant que de s’asseoir dans les vestiaires à la mi-temps. En février 2007, les autorités du football iranien ont finalement donné le feu vert final.

Toute l’aventure a commencé en février 2005. Assmann était au Festival du cinéma de Berlin – elle faisait passer un court métrage, "La manière, c’est le Jeu", de son équipe multiculturelle. Le directeur iranien Ayat Najafi était aussi à Berlin, montrant un  court métrage sur le football féminin iranien. Ces deux cinéastes très différents ont élaboré un plan pour rassembler les deux équipes et faire un documentaire du projet. Ils l’ont intitulé "Le football sous couvert" – ils voulait l’éditer en septembre. Mais maintenant, il manquera au film le passage sur les Iraniennes à Berlin.

La première rencontre a eu lieu le 28 avril 2006 et c’était le vrai premier match que les Iraniennes avaient jamais joué contre d’autres footballeuses et devant des supporters. Les joueuses – une équipe en rouge et l’autre en blanc – ont toutes joué avec des foulards conçus pour le sport. Seules les femmes ont été autorisées dans le stade et elles se sont toutes époumonées à force de crier – le score a été 2-2. Normalement les joueuses ne sont autorisées à s’entraîner que dans des gymnases — et sans public. Et les nombreuses tifosies en Iran sont interdites de stade. (En 2006, le président Ahmadinejad avait déclaré que les femmes pourraient assister à des matches dans des sections spéciales, mais il a été rapidement rappelé à l’ordre par le guide suprême du pays l’ayatollah Ali Khamenei.)

Les exilées iraniennes projetaient une manifestation 

"Cette annulation ne me surprend pas", dit Nasrine Wassiri. La militante des droits des femmes a fui son pays, l’Iran, il y a 23 ans et travaille maintenant comme journaliste indépendante pour Multikulti, la station Radio de Berlin.  Elle pense que "le problème technique" est juste une excuse. "L’Iran a peur que l’opposition utilise le jeu pour protester contre le gouvernement iranien." Et elle a raison, les Iraniennes en exil avaient annoncé une manifestation avant la rencontre de vendredi, pour attirer l’attention sur la situation des femmes en Iran. Un groupe de 50 personnes avait déjà annoncé qu’il manifesterait, dit Silke Gülker, la porte-parole de l’équipe de Kreuzberg. "Mais elles n’avaient  pas l’intention d’interrompre le jeu," dit Wassiri. "Les femmes voulaient entrer dans le stade après pour encourager les Iraniennes."

Sorki, de l’association culturelle Dehkoda, dit qu’il avait fait part de ses craintes aux organisateurs berlinois la semaine dernière. "Beaucoup se sont élevés en Iran contre ce jeu. C’était une épine dans flanc du gouvernement iranien." Mais Wassiri pense que la manifestation était juste une des raisons. "Les joueuses berlinoises voulaient jouer sans foulard, en short et les hommes devaient être autorisés dans le stade. Elles n’ont pas vraiment pesé ce que cela signifiait." Sorki dit que c’était "absolument ok," car il s’agit de "règles allemandes".  Et la porte-parole Silke Gülker explique que ces conditions avaient toutes été communiquées aux Iraniens. "Les Iraniens le savaient dès le départ et, après tout, il était clair où on allait jouer."

Ensuite il y a eu le problème des drapeaux : quel drapeau iranien allait être autorisé dans le stade? Le drapeau officiel de la République islamique porte le mot "Allah" sur une bande blanche au centre. "Il y a aussi des drapeaux avec Iran écrit dessus, ou rien, ou même certains avec une colombe de la paix", explique Assmann. Même la colombe aurait pu être interprétée comme un affront par l’ambassade iranienne. Il y avait tellement de pression sur les jeunes Berlinoises, que ces dernières semaines, elles ont eu l’impression de marcher sur les oeufs.

Maintenant tout a mal tourné avant même d’avoir commencé. Et elles ne savent pas pourquoi. Elles savent seulement ce que l’ambassade iranienne leur dit et ce qu’elles ont entendu des joueuses iraniennes qui leur ont envoyé des emails disant que la rencontre n’était reportée que d’une semaine. Puis le vice-président de la Fédération iranienne de Football a dit que ce serait de quatre à six semaines, tandis que l’ambassade a parlé de deux ou trois. "La ligne est: c’est reporté, pas annulé," dit Assmann. "Nous sommes sures d’une chose : ça ne se passera pas la semaine prochaine."