jeudi, mars 28, 2024
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Les dessous des révélations d’Ahmadinejad sur la famille de Larijani

Ahmadinejad et Larijani dimanche au Majlis
 Escalade dans les luttes intestines du pouvoir en Iran

CNRI –  L’interpellation et l’éviction du ministre du travail et des affaires sociales du gouvernement d’Ahmadinejad par le Majlis, le 3 février a tourné en une scène d’affrontements insolite entre le président de la république des mollahs et celui du Parlement. En représailles à l’audition de son ministre, Ahmadinejad a diffusé en pleine séance parlementaire une vidéo accusant la famille Larijani de corruption. Ali Larijani est à la tête du pouvoir législatif et son frère Sadegh du judiciaire.

Face à l’offensive d’Ahmadinejad, Ali Larijani a accusé ce dernier de « complot », d’actes « immoraux », et « mafieux ».  Le lendemain, le sinistre Saïd Mortazavi, ex-procureur de Téhéran, a été arrêté à la stupéfaction générale. Il est connu pour avoir tué sous la torture la photographe irano-canadienne Zahra Kazemi en 2003 et ordonné de graves exactions contre des manifestants à la prison Kahrizak en 2009 entrainant la mort de plusieurs d’entre eux sous la torture. Prétextant que Mortazavi est sous le coup d’une enquête, l’appareil judiciaire (à la tête duquel se trouve Sadegh Larijani) s’est opposé à sa nomination, ainsi que le Parlement (Ali Larijani). C’est la raison de la motion de méfiance votée dimanche 3 février par le Majlis voté contre le ministre du Travail qui a depuis quitté ses fonctions. Cet épisode, évoqué comme « le dimanche noir » par les médias du régime, est vécu comme une tragédie politique pour l’ensemble système.

 

Le lien entre l’éviction du ministre d’Ahmadinejad et les révélations sur Fazel Larijani ?

 Le véritable contentieux entre Ali Larijani et Mahmoud Ahmadinejad sur fond d’élection présidentielle est la mainmise sur la présidence de l’Organisation de la Sécurité sociale. Ce conflit  remonte à plus d’un an. Ahmadinejad insistait pour placer son homme, Saïd Mortazavi, à la tête de cette puissante organisation, ce qui lui était obstinément refusé par Larijani et son clan au sein du Parlement et du judiciaire. En fait, il s’agit d’une lutte de pouvoir pour le contrôle de la direction de la « Caisse d’investissement de la sécurité sociale » (CISS), une branche de l’Organisation de la sécurité sociale. Cette caisse est l’une des plus grandes sociétés d’investissement en Iran, un conglomérat de 250 sociétés.

 

Le CISS à la haute main sur une partie des industries pharmaceutique, ciment, pétrole, gaz,  pétrochimie,  la construction et l’immobilier, les nouvelles technologies, le transport, et quelques 1200 holdings. Le CISS compte parmi les principaux actionnaires de la banque REFAH et de la flotte maritime de la République islamique, à qui revient le cinquième des activités de la bourse de Téhéran.

 

Ce que dévoile l’enregistrement présenté par Ahmadinejad, ce sont les propos de Fazel Larijani, le cadet de la famille, qui agit comme intermédiaire pour ses frères auprès de Saïd Mortazavi, à qui il demande en quelque sorte de payer la part de la famille Larijani (d’Ali et de Sadegh) s’il veut qu’on le laisse tranquille.  

 

Qui est Monsieur « Z » ?

 Dans l’enregistrement on entend citer un certain « Monsieur Z », et Larijani demande à Mortazavi que l’opération avec le CISS se fasse par l’entremise de « Monsieur Z ». Nous pouvons confirmer à partir de nos sources que « Monsieur Z » est en réalité Babak Zanjani.

 

Le 23 décembre 2012, le journal officiel de l’Union européenne annonçait l’inscription d’une personne physique et de 18 sociétés iraniennes dans la liste des sanctions de l’UE. Babak Zanjani est cette personne physique, à la tête du complexe SORINET basé à Dubaï, dont les filières participent au transfert de l’argent des exportations pétrolières de l’Iran. On peut lire dans le texte de la récente décision de l’UE contre l’Iran que les activités de Babak Zanjani et des 18 sociétés portaient sur les domaines nucléaires et balistiques.

 

Soulignons que la First Islamic Bank en Malaisie et 65 sociétés sont contrôlées par Babak Zanjani, et tel qu’indiqué dans la décision de l’UE, ce dernier est un « facilitateur clé dans les transactions pétrolières de l’Iran et le transfert de l’argent du pétrole vers l’Iran ».

 

Notons par ailleurs qu’un certain Seyed Hassan Kazemi, un ami commun à Saïd Mortazavi et Babak Zanjani, agit comme agent de liaison entre ces deux personnages. (Seyed Hassan Kazemi avait été impliqué dans les meurtres en série des intellectuelles dans les années 90 et compte parmi les chefs des agents en civil qui a joué un rôle actif dans la répression des manifestants dans le soulèvement de 2009.) A la tête d’un réseau mafieux, ce dernier est impliqué dans de nombreuses malversations. Rien qu’à la petite banque KECHAVARZ, il souffre d’un arriéré de 22 milliards de tomans, en plus de dizaines de milliards qu’il doit à d’autres banques. Seyed Hassan Kazemi agit comme le PDG des sociétés métallurgiques Doniayeh Félez, Parsian Félez Alborz, Loheh Féchordeh Pars.

 

En résumé, l’objectif des propos de Fazel Larijani à Mortazavi c’est de lui signifier que s’il veut avoir la paix, il lui faut payer la part d’Ali et de Sadegh Larijani, et qu’il doit le faire à travers les affaires qu’il a avec Babak Zanjani ! Pour sa part, la bande d’Ahmadinejad cherche à s’approprier le contrôle de ces ressources colossales pour en priver la bande mafieuse des Larijani. Rappelons toutefois que ce rebondissement politico-mafieux ne constitue qu’une infime partie des centaines de dossiers criminels et de corruption qui pullule dans l’Iran des mollahs.

 

Lors de la séance en question, le mollah Hosseinian qui a défendu le ministre du travail d’Ahmadinejad, a souligné les services importants que Saïd Mortazavi a rendus au Guide suprême. Lors de la séance, Ali Laridjani qui répondait à Ahmadinejad a confirmé les propos du mollah Hosseinian. Il faut donc comprendre que le conflit en question n’a rien à voir avec ce qui s’est passé à la prison de Kahrizak ni aucun rapport avec l’assassinat de la photo-journaliste irano-canadienne Zahra Kazemi que Mortazavi a assassiné en personne. Le différent ne porte en aucun cas sur une question d’éthique ou d’une quelconque défense des droits de l’homme ou de la justice. 

 

Ali Khameneï, le grand perdant de cette confrontation

 La question la plus grave qui fait de cette journée « le dimanche noir » est ailleurs. En effet le véritable perdant de cette affaire est le Guide suprême en personne, Ali Khameneï, dont la chute vertigineuse de l’influence au sein du régime saute aux yeux du public. Aujourd’hui non seulement dans les milieux internes mais également dans les médias ou les sites internet on l’interpelle : « N’avez vous pas dit que celui, particulièrement parmi les chefs des pouvoirs, qui déballe en public ses différends est un ‘traitre’ ? Alors Pourquoi ne chatiez vous pas les traitres qui sont à la tête de deux pouvoirs ».

 En effet cet épisode arrive à un moment ou confronté à des crises multiples, le régime se sent menacé dans son existence même à l’approche d’une présidentielle qui pourrait être bien mouvementée. (Voir à ce propos le communiqué publié au lendemain de cet incident).

 

Les réactions au sein du pouvoir iranien :

 Les réactions sont de plus en plus nombreuses au sein du régime toute tendance confondue ; en voici quelques exemples :

 – Dans les milieux religieux de Qom, l’altercation au Majlis entre Ahmadinejad et Laridjani a suscité de nombreux commentaires. Il est courant d’entendre : « Si dans le passé les propos d’Ali Khamenei étaient respectés pendant au moins trois mois, maintenant ils ne durent guère plus d’une heure. »

 – Deux ayatollahs qui enseignent dans les séminaires de la ville sainte de Qom ont déclaré lors de leurs cours que cette situation va porter des coups sérieux au système du guide suprême.

 – L’ayatollah Djavadi Amoli a déclaré en privé quand deux des pouvoirs se mettent à s’entredéchirer cela démontre que Khamenei n’a plus la compétence de gérer le pays.

 – Un représentant du Guide suprême dans une instance culturelle a déclaré : cette affaire est destructrice pour le Guide. A Qom tout le monde disait que malgré les appels du Guide et ses conseils, ni le gouvernement ne l’a écouté, ni le Majlis.

 – Le mollah Mojtaba Zolnour, représentant du guide suprême au sein du corps des Pasdarans a déclaré : « les chefs des deux forces ont fouetté l’honneur du régime islamique à la session du Majlis et se sont entredéchirés. Ils ont fait de la peine au Guide. Les amis du régime islamique ont failli avoir un infarctus et les médias étrangers ont eu de quoi se nourrir à la veille de la présidentielle.  

 – Le mollah Abdollah Haji Sadeghi suppléant du guide suprême au sein des Gardiens de la révolution : « Saisir ce qui vient de se passer dimanche au Majlis est très difficile. On ne pouvait mieux désobéir au Guide (…) Les chefs des pouvoirs que l’on attendait de voir s’efforcer plus que quiconque à appliquer les dispositions du guide, devraient être remerciés d’avoir respecté autant l’unité lors de la séance d’interpellation du ministre du travail au Parlement ! »