Lettre ouverte du Professeur de Cara à M. Kenneth Roth
Directeur Exécutif de Human Rights Watch
J’ai lu le rapport de Human Rights Watch, publié le 19 mai, intitulé "AUCUNE SORTIE. Les abus de droits de l’homme à l’intérieur des camps du MKO", traitant de prétendus abus des Moudjahedines du Peuple d’Iran (OMPI) contre ses propres membres en Iraq.
Jean-Yves de Cara,
Professeur renommé de droit international à l’Université de Paris Jean-Yves de Cara, Professeur renommé de droit international à l’Université de Paris
M. Kenneth Roth
Directeur exécutif de Human Rights Watch
New York, USA
Au cours des deux dernières années, j’ai suivi de près les développements concernant la présence de l’OMPI en Irak. J’ai effectué deux visites au camp Ashraf depuis la chute de l’ancien régime irakien, et j’ai été impliqué dans des discussions avec des représentants civils et militaires de l’administration américaine, à Washington et en Irak, à propos du statut juridique des membres de l’OMPI dans le camp Ashraf.
Pour ces raisons, je pense qu’il est approprié de vous écrire en tant qu’avocat, en tant qu’universitaire et en tant que citoyen engagé dans la défense des droits et des libertés fondamentales. Je suis désolé de devoir émettre des réserves sérieuses sur le rapport de HRW en cette matière, d’un point de vue légal et personnel.
En tant qu’avocat, il me semble que les ONG de droits de l’homme sont également sujettes à des principes généraux et à des règles de loi dans leurs procédures. Elles devraient accepter d’appliquer à leurs propres investigations ces règles et principes qu’elles tentent par ailleurs d’imposer aux autorités publiques et aux institutions privées au nom des droits de l’homme et des libertés.
Hélas, il s’avère que de telles normes n’ont pas été appliquées lors de la récente élaboration de ce rapport souffrant de plusieurs échecs procéduraux.
Ce que le rapport a décrit comme la "méthodologie" n’est pas légalement satisfaisant en ce qui concerne la loi des preuves. Premièrement, je suis sûr que vous êtes au courant des diverses législations, des recueils d’instructions, des discussions légales et des décisions juridiques relatifs à l’admissibilité légale et du poids fondé de l’information reçu à travers ces moyens de communication modernes. Par conséquent, je suis étonné qu’une recherche sérieuse puisse être conduite par téléphone et à longue distance. Des conversations téléphoniques peuvent être admises comme évidence, mais sujettes à certaines conditions et dans quelques situations spécifiques seulement. Deuxièmement, les critères pour le choix des interviewés n’apparait pas clairement, alors qu’il y a des centaines d’anciens membres de l’OMPI habitant en Europe et en Amérique qui pourraient fournir des rapports crédibles sur la situation dans les camps de l’OMPI en Irak, et sur l’identité et le caractère de vos témoins. Troisièmement, des abus physiques et psychologiques ne sont pas ici démontrés au moyen de rapports médicaux ou autres. En conclusion, le rapport se fonde sur "des réclamations crédibles" – qui n’ont aucun sens significatif – de témoins, corroboré par le « reste des preuves rassemblées par HRW ». Lorsque l’on considère que douze heures de témoignages ont été rassemblées et que chacun des douze anciens membres de PMOI a été interviewé "plusieurs fois", il est évident qu’il n’y a eu en aucun cas assez de temps pour une enquête complète. Quant au "reste des preuves", on ne peut définir de quoi elles consistent, si bien que vous ne vous référez qu’à trois livres édités par des éditeurs commerciaux et à un rapport d’Amnistie Internationale.
Bien que HRW, avec beaucoup d’autres, ait correctement proclamé que le droit à un procès équitable devrait être assuré à tout le monde, conformément aux normes internationales, votre organisation n’a pas donné à l’OMPI la moindre occasion de répondre a ces allégations sérieuses avant la publication du rapport. Comme un rapport récent de HRW l’a énoncé : les "seules confessions ne devraient jamais servir de base aux convictions" (Aceh à la guerre : Torture, III Traitement et Epreuves injustes, vol. 16, n°11 ©, Septembre 2004).
Il est également regrettable que votre rapport ne fasse aucune mention des investigations étendues entreprises par une demi-douzaine d’organismes gouvernementaux des Etats-Unis dans le camp Ashraf lors des deux dernières années. Tout le personnel de l’OMPI dans le camp Ashraf a été interviewé pendant ce processus de 16 mois, des recherches ont été conduites sur les différents lieux du camp, et à la fin des investigations les Etats-Unis ont formellement annoncé que tous les membres de l’OMPI en Irak ont été identifiés en tant que personnes protégées sous la Quatrième Convention de Genève. Les Etats-Unis ont également déclaré que ce passage au crible n’a fourni aucune raison de poursuive en justice quiconque parmi les membres de l’OMPI.
Comme vous le savez certainement, dans une situation aussi tragique que celle en Irak, la Quatrième Convention de Genève certifie que : "les personnes protégées seront en toutes circonstances protégées contre les insultes et la curiosité publique" (article 27-1). Je suis désolé de devoir dire que le rapport de HRW ne semble pas être conforme à cette provision de base de la loi humanitaire et j’ai peur que cela n’ajoute pas au crédit de Human Rights Watch.
Je voudrais ajouter quelques commentaires personnels.
En gardant en esprit mes deux visites au camp Ashraf et mes longues discussions avec un grand nombre de membres de l’OMPI, des fonctionnaires et des avocats militaires américains, ainsi que des citoyens irakiens de différents milieux ethniques et religieux, j’étais étonné de lire dans votre rapport les accusations de douze individus (les récits de huit d’entre eux apparaissant dans le rapport) affirmant que l’OMPI a étourdiment violé les droits de l’homme de ses membres en Irak. Lors de tous mes contacts avec différents membres de l’OMPI à Ashraf, au cours de toutes mes discussions avec les fonctionnaires américains qui ont surveillé étroitement chaque aspect de la vie du camp, et au cours de toutes mes discussions avec les citoyens irakiens qui ont vécu aux abords d’Ashraf et avaient eu affaire avec des membres de l’OMPI pendant des années, je n’ai trouvé aucune évidence qui suggérerait un tel comportement abusif envers des membres de l’OMPI par le mouvement.
Au contraire, j’ai été profondément impressionné par le niveau de sacrifice personnel et l’engagement véritable pour la cause de la liberté dans leur pays que chacun des membres de l’OMPI à qui j’ai parlé a montré.
Tandis que votre rapport donne l’impression au lecteur non informé qu’Ashraf est apparenté à un goulag ou à un camp de concentration où les gens sont retenus contre leur volonté et sévèrement maltraités s’ils souhaitent partir, je n’ai trouvé rien de ne serait-ce que vaguement semblable à ceci. J’ai toutes les raisons de croire que les personnes à Ashraf sont traitées avec décence et dignité. J’ai assisté à des performances de danse folklorique et de chansons persanes traditionnelles par des membres de l’OMPI. L’humeur joviale et la camaraderie qui étaient répandues, le rôle primordial que les femmes jouent dans toutes les positions de leadership et les postes administratifs, et les opportunités pour que la créativité individuelle s’épanouisse, que l’on peut voir dans les nombreuses oeuvres d’art, le théâtre, et la musique, en disent long au sujet de la nature de cette organisation.
Je suis très au fait de la campagne intensive de diabolisation que le régime iranien mène contre l’OMPI. J’ai, comme beaucoup d’autres, été la cible de certains des livres et des articles de propagande qui sont produits, souvent au nom d’anciens membres de l’OMPI, pour critiquer le mouvement. Il est donc essentiel, de mon point de vue, qu’une recherche sur des allégations d’abus des droits de l’homme par l’OMPI soit conduite avec minutie et soin, de peur qu’on ne tombe dans les pièges des services secrets iraniens.
Alors que je lisais le rapport, mes pensées étaient avec les nombreux femmes et hommes d’Ashraf avec qui j’avais personnellement parlé. Chacun d’entre eux avait une histoire tragique de souffrance et de mauvais traitement aux mains des autorités iraniennes et chacun a montré une détermination singulière pour continuer la lutte pour mettre fin au régime théocratique actuel. Je trouve votre rapport très humiliant pour leur sacrifice personnel, collectif et leur honneur, et pour ceci, je crois que vous devez des excuses au mouvement de résistance iranien.
C’est mon ferme point de vue que Human Rights Watch doit procéder à l’acte honorable de retirer ce rapport.
J’attends votre réponse avec intérêt.
Jean-Yves de Cara, Professeur renommé de droit international à l’Université de Paris