vendredi, mars 29, 2024
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L’amoralité et ses limites en tant que doctrine politique

Paulo CasacaPar Paulo Casaca

Alors que nous sommes exactement sur le point de marquer la Journée internationale contre la lapidation – le 11 juillet – et qu’on pourrait s’attendre à ce que mon pays d’origine montrent son opposition à la barbarie des autorités iraniennes, Téhéran a annoncé que Manouchehr Mottaki, principal responsable de la diplomatie iranienne, était en visite dans la péninsule ibérique, en passant par Lisbonne.

Après avoir tenu une conférence à Bruxelles le 2 juin intitulée « L’Europe vue de l’Iran », conférence promue par la Fondation Calouste Gulbenkian [principale institution culturelle au Portugal, NT] (dont je n’avais encore jamais remarqué l’activité culturelle dans cette ville), le responsable de la diplomatie iranienne revient en Europe, une fois de plus sous le parrainage d’institutions portugaises. Tout au long de l’année dernière, la théocratie iranienne a durci considérablement la guerre qu’elle mène contre son propre peuple au moment même où elle poursuit sa politique expansionniste, politique où le renforcement du programme nucléaire accompagne la politique de création, de financement et d’armement d’organisations fanatiques dans la région.

Une grande partie de la communauté internationale – à savoir les États-Unis, l’UE et certains pays du Grand Moyen-Orient – ont réalisé bien plus tard qu’il ne l’aurait fallu l’échec de ses tentatives sans fin de complaisance au fil des dernières décennies.

Dans le meeting du 26 juin organisé à Paris par la Résistance iranienne, plusieurs personnalités politiques occidentales et du Moyen-Orient ont apporté leur soutien ouvert à l’opposition iranienne. Même Bill Clinton – sous la présidence duquel la principale organisation d’opposition iranienne a été classée terroriste à la demande des autorités iraniennes – a salué l’événement.

Mais, en même temps que prend forme dans de vastes régions du monde le soutien à une politique d’endiguement du fanatisme théocratique, dans d’autres domaines, ceux qui, pour une ou plusieurs raisons souhaitent questionner les principes et les règles de l’ordre international, ont vu dans le défi iranien une chance.

Parmi ces derniers, et pour plusieurs raisons, le Brésil a assumé le rôle le plus important. Démocratie, jeune mais respectée, avec une décennie de succès de politique économique et sociale et un respect progressif des droits de l’homme, le Brésil ainsi engagée dans le soutien à l’Iran et, nommément, à son programme nucléaire a surpris la plupart des observateurs.

La position de la direction politique du Brésil semble être dictée par ses ambitions nucléaires – qui, apparemment, ont survécu à la chute de la dictature -, par le souci de voir un prix du pétrole élevé sur le marché mondial, ainsi que par la négligence des valeurs humaines.

Au Portugal, où les gestes de déférence et de coopération avec les autorités iraniennes se sont multipliés ces dernières années – de la part de l’establishment politique et d’autres couches du pouvoir, comme la presse – cette position brésilienne apparaît comme un argument de poids pour justifier, et même renforcer, la politique qui a été suivie.

Cependant si la rationalité de la position du Brésil est discutable mais compréhensible, il est plus difficile de comprendre l’alignement portugais sur la dictature.

Celui qui regarde le Portugal depuis l’extérieur, estime qu’il y a une règle constitutionnelle invisible mais funeste qui rend sacré les pays utilisant le pétrole comme une arme, et criminelle toute critique dirigée contre eux. 

Les avantages réels pour le Portugal dans ses accords d’hydrocarbure avec l’Iran, la Libye ou le Venezuela sont encore à voir. Le prix de la politique de l’immoralité et de l’opportunisme politique sur la crédibilité de notre pays et ses institutions sont, cependant, trop évidents.

Je souhaite qu’au Portugal on prenne conscience que l’absence de scrupules ou de considération pour les droits humains des Iraniens et des victimes de l’expansionnisme théocratique aura des conséquences internes (et il ne pourra jamais en être autrement) en affaiblissant notre démocratie.

La revue théorique (Revue Socialiste) du Parti socialiste français (PSF) du printemps dernier est consacrée à la question de morale (La Morale en Questions). Parmi des textes de grande valeur, elle a publié un article de Vincent Duclert intitulé «Charles Péguy : le socialisme, la morale et la politique » où les effets dévastateurs que la doctrine d’amoralité (déguisé en une critique de la «morale bourgeoise» ou «la morale catholique ») a eu sur le PSF de la fin du XIXe siècle dans l’affaire Alfred Dreyfus.

Je crois que les leçons de cet épisode gardent toute leur importance de nos jours.

* Paolo Casaca est un ancien député européen