Lors de la récente conférence sur les violations des droits de l’homme en Iran à Auvers-sur-Oise, Gilles paruelle, avocat dans le procès de génocidaires rwandais et ancien Bâtonnier du Val d’Oise, a souligné l’urgence de demander des comptes pour les crimes commis par le régime iranien.
Revenant sur son travail au Rwanda après le génocide de 1994, Maître Paruelle a souligné l’importance de l’importance de la justice internationale pour demander des comptes aux auteurs des atrocités. Il a noté que si le tribunal pénal international pour le Rwanda a joué un rôle clé dans la poursuite des responsables du génocide, des obstacles politiques et juridiques ont souvent entravé la justice. Il a établi des parallèles entre l’expérience rwandaise et la situation en Iran, soulignant l’importance de la compétance universelle comme moyen de poursuivre ceux qui commettent des crimes contre l’humanité, quel que soit l’endroit où il se trouvent.
En ce qui concerne l’Iran, Maître Paruelle a exprimé son soutien à l’opposition iranienne et à sa lutte contre l’impunité. Il a plaidé pour la création d’un tribunal international chargé de juger les crimes commis par le régime iranien, reconnaissant les défis liés à la dynamique géopolitique et au droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU.
Maître Gilles Paruelle a conclu en soulignant la nécessité d’un changement politique pour permettre la poursuite des responsables des violations des droits humains, appelant à mettre fin à la culture de l’impunité qui perdure depuis trop longtemps.
Dans son intervention, maître Paruelle a déclaré :
Je salue d’abord le travail de du professeur Rayman (ancien rapporteur spécial de l’ONU pour l’Iran) que j’ai lu. Je me suis interrogé de savoir ce que je pouvais vous dire et peut-être que c’était mon expérience modeste de praticien, d’avocat depuis trente ans auprès du peuple rwandais à la suite du génocide des Tutsis.
Le génocide des Tutsis est quelque chose qui a marqué. Quand on parle de justice internationale, quand on parle de compétences universelles, on ne peut pas ne pas penser au génocide des Tutsis au Rwanda qui, il faut quand même le rappeler, a fait en cent jours du 6 avril 1994 au 4 juillet 1994, un million de morts, soit à peu près dix-mille morts par jour avec des armes qui sont des armes qui sont restées traditionnelles.
Ce étant dit et je ne vous indiquerai pas les raisons pour lesquelles je me suis trouvé fin 1994 au Rwanda quoi qu’il en soit j’y étais et j’ai pu constater la misère de ce qui était un génocide, j’ai pu entendre bien évidemment les témoignages des rares rescapés et je me suis demandé ce que je pouvais faire moi qui étais un simple bâtonnier de province en France.
J’ai pensé que la première des choses était de restructurer la justice, justice qui avait été complètement désolée, détruite, il n’y avait plus rien, il n’y avait pas de magistrats parce qu’ils avaient été tués, il n’y avait plus de tribunaux parce qu’ils avaient été démolis, il n’y avait pas d’avocat parce qu’il n’y en avait pas jusqu’à présent, il n’y avait que des mandataires judiciaires.
Ce que je pouvais faire, c’était faire quelque chose au niveau de la justice, j’ai créé un barreau, je pensais que c’était quelque chose d’important, la défense c’était quelque chose d’important, le droit des victimes c’était quelque chose d’important.
J’ai entendu avec plaisir certain nombre d’intervenants parler du droit des victimes. J’en parlerai tout à l’heure dans le cadre de la compétence universelle telle qu’elle est articulée en France et je pense que c’était véritablement essentiel.
Alors bien évidemment il y a eu le tribunal pénal international et je pensais que le précédent orateur en parlerait alors je me disais de quoi je vais parler mais le tribunal pénal international pendant vingt ans à quatre-vingt-douze personnes autant que puisse m’en souvenir qui ont été mises en accusation bien évidemment des personnes qui étaient les plus responsables, mais pas toutes. Soixante-deux ou soixante-quatre personnes qui ont été condamnées. Voilà pour deux milliards de dollars ce qu’a fait le tribunal pénal international.
Alors concomitamment au Rwanda ont été créés ce qu’on appelle les gagacas (ce prononce gatchatcha), c’est-à-dire des tribunaux qui sont populaires villageois, alors bien évidemment ça ne répond pas aux critères internationaux de la justice, mais en tout état de cause, un million de personnes ont pu être jugées.
La culture de l’impunité s’était terminé. Il fallait impérativement que la plus grande partie des Rwandais qui avaient participé au génocide des Tutsis, puissent passer devant des tribunaux.
Alors, j’ai fait partie des commissions de réformes législatives et bien évidemment en tant qu’avocat, j’étais contre l’établissement de ces gagacas, il n’y avait pas d’avocat, il n’y avait pas de procureur non plus, et je ne pouvais pas cautionner une juridiction où la défense n’était pas représentée.
Force est de constater qu’à la fin des gagacas, le bilan est plutôt positif et en tout état de cause, il n’y a pas eu d’amnistie, contrairement aux massacres précédents 1959, 1963, 1973, 1992, avant même le génocide de 1994.
Alors voilà quelle était la situation, mais mon problème, c’était tous ceux qui n’étaient pas passés devant le tribunal pénal international et ceux qui n’étaient pas passés devant les gagacas, c’est à dire ceux qui avaient suffisamment d’argent pour être partis, pour s’enfuir, dont une grande partie était dans notre pays, la France. Le pouvoir politique en France, avait peut-être quelques raisons de s’inquiéter de la suite des relations avec le Rwanda. Alors le gouvernement rwandais m’a chargé de le représenter pour les procédures d’extradition.
Des plaintes avaient été déposées par des victimes ici contre les génocidaires ou présumés génocidaires qui s’y trouvaient, qui étaient réfugiés et j’ai ainsi tenté d’extrader les personnes qui étaient responsables dont des ministres, dont des personnes qui étaient des bourgmestres, des gens qui étaient importants et qui avaient réussi à venir en France. Je me suis vu opposer un refus catégorique de la part de la plus haute juridiction française, c’est-à-dire la cour de cassation.
J’arrivais dans les chambres de l’instruction des cours d’appel de province d’avoir des avis positifs pour l’extradition de ces personnes qui avaient participé au génocide de 1994 et la cour de cassation à chaque fois cassait en s’assurant du principe de l’égalité des délits et des peines associés à la non rétroactivité des lois, puisque malheureusement dans le code pénal rwandais, il n’existait pas d’incrimination du crime de génocide, même s’il existait, mais il n’y avait pas de peine incriminant le crime de génocide de telle sorte. La cour de cassation a toujours refusé d’extrader ces personnes sur le principe donc de la légalité des délits et des peines.
Alors ne restait plus qu’une seule chose, la compétence universelle et depuis lors, on poursuit dans le cadre de la compétence universelle, ces présumés génocidaires. Nous avons fait beaucoup moins bien que la Belgique, mais beaucoup mieux que l’Allemagne ou l’Angleterre. Nous en sommes à sept procès. Lorsque les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda se sont améliorées sous la présidence de M. Sarkozy, puis celle de M. Macron, et bien, on a vu les dossiers être enrôlés enfin devant les cours d’assises.
Le premier procès est intervenu lors du vingtième anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda. Alors on a fait plaisir à Kigali, nos relations diplomatiques se sont améliorées et depuis lors, nous avons un certain nombre de procès.
Mais la compétence universelle, n’est pas la même dans tous les pays. Il y a des compétences universelles qui peuvent être absolues, la nôtre est tout à fait relative en France. Il y a quatre freins à cette compétence universelle. Il faut que les personnes demeurent habituellement en France. Il faut que la cour pénale internationale n’ait pas été saisie et ne se soit pas saisie de l’affaire. Il faut qu’il y ait le monopole du parquet pour instruire les affaires, c’est-à-dire que la victime elle-même ne peut pas saisir directement la cour d’assises dans le cadre de la compétence universelle. Et enfin, il faut qu’il y ait une régularité de la législation tant dans notre pays que dans celle du Rwanda.
Donc voilà, c’est pour cela qu’on a très peu de personnes et il faut vous dire qu’il y a un autre frein, je crois qu’il ne faut pas se le cacher. Surtout en France, où l’on pense qu’elle a encore une diplomatie extrêmement importante dans le monde entier, la compétence universelle apparaît pour beaucoup de nos exécutants comme étant un frein à cette diplomatie. La diplomatie c’est le compromis, voir la compromission, l’opportunité pour ne pas dire la complaisance qui est un mot que vous connaissez bien Madame la présidente (Maryam Radjavi) et qui est tellement véridique. Donc la diplomatie ne va pas avec la compétence universelle et souvent le pouvoir exécutif va faire en sorte que certains dossiers soient bloqués. Je ne peux parler que de ce que je connais, nous en avons deux dossiers de personnes extrêmement importantes qui sont terminées depuis 2017, celui d’Agathe Kansiga, la veuve du président Habyarimana ou bien celui de Serubouga qui était à l’état-major, bien ces dossiers ne sont toujours pas résolus et il faut penser peut-être qu’ils ne le seront jamais pour des raisons éminemment politiques. Voilà ce qu’il en est de ce que j’ai vécu dans le cadre de la compétence universelle et de la juridiction internationale pour le Rwanda.
Alors ce qu’il en est de l’Iran, je suis aux côtés de l’opposition iranienne de votre mouvement Madame la Présidente, vous le savez depuis quarante ans, donc je veux dire que vous êtes dans mon cœur et comme j’aimerais qu’il y ait une solution qui puisse être retrouvée à toutes les exactions qui ont été commises. Ce que j’ai fait au Rwanda depuis trente ans, j’aimerais le faire pour vous. Malheureusement c’est difficile, la compétence universelle telle qu’elle est prévue dans nos textes, au moins en France, me semble difficilement applicable.
Malheureusement c’est difficile, la compétence universelle telle qu’elle est prévue dans nos textes, au moins en France, me semble difficilement applicable.
Alors, pourquoi pas un tribunal ad hoc. Mais pour la création d’un tel tribunal, il faut avoir la volonté politique et la volonté politique c’est quelque chose d’important et puis c’est le conseil de sécurité et puis il y a le droit de veto. Est-ce qu’on peut penser aujourd’hui que la Russie accepterait ? Bien sûr que non, les relations avec l’Iran. La Chine et la Russie feront en sorte que ce ne serait pas possible. Bon, il faut être objectif.
Alors j’ai repris les notes que j’avais préparées lors de la réunion de l’année dernière. Je me suis rendu compte Madame la présidente qu’en fait, elles étaient tout à fait applicables aujourd’hui. Alors je pense très franchement, au fond de moi-même, que la solution est simple. C’est celle que nous souhaitons tous. C’est celle que vous accédiez au pouvoir le plus rapidement possible. Parce que, Madame la Présidente, vous pourriez alors vous affranchir de la justice internationale et de la compétence universelle pour traduire chez vous devant vos tribunaux, les criminels qui ont endeuillé la justice en Iran, si longtemps.