par Jean-Claude Maurice
La culture du zapping a encore frappé : trop occupée à célébrer Michael Jackson, la presse a oublié les manifestations de Téhéran.
Marianne2.fr, 5 juillet – Michael Jackson est mort au treizième jour du soulèvement populaire des Iraniens demandant que la vérité des urnes soit respectée. Aucun lien entre les deux événements. A l’évidence pour la presse française qui, dans le choix des priorités, a choisi son camp. Dimanche, aucun de nos deux quotidiens nationaux n’a consacré une ligne aux manifestations qui, malgré les interdictions et les menaces officielles, continuent à Téhéran. Rien sur l’Iran dans le Parisien dimanche. Six lignes dans le Journal du dimanche, qui indiquent seulement que « Mir Hossein Moussavi résiste encore ». Six lignes, contre huit pages, excellentes par ailleurs, consacrées aux mystères entourant le décès du « king of the pop ». Mais rien sur la résistance intérieure, ni sur l’annonce d’une manifestation des Iraniens de France, le jour même, place du Châtelet, à Paris. Les mollahs peuvent dire merci à « Bambi »…
Puisque personne n’en a parlé, sachez seulement que, au moment où les médias lançaient des éditions spéciales sur la mort de « l’icône planétaire au destin tragique » – ainsi célébrée a minima par Barack Obama –, ce vendredi 26 juin, à 11 heures (heure locale), des habitants du quartier de Jamat-Abad, dans l’ouest de Téhéran, sont descendus dans les rues pour scander « Mort à Khamenei », guide suprême et défenseur du président « élu » Ahmadinejad. Les affrontements avec les forces de l’ordre ont duré jusqu’à 14 heures. Plus d’une dizaine de manifestants ont été arrêtés et emmenés vers une destination inconnue. L’après-midi, parents et amis des morts téhéranais victimes de la répression des milices du régime se sont réunis pacifiquement au cimetière de Behecht-e Zahra pour honorer la mémoire des martyrs. Des centaines de personnes ont allumé des bougies sur la tombe de Neda Agha-Soltan.
Personne n’a pu vérifier l’information du Conseil national de la résistance iranienne selon laquelle le régime empêche les parents d’enterrer les victimes dans la section des familles, « les regroupant dans une zone séparée ». Le lendemain, rebelote. Un grand nombre de Téhéranais, surtout des femmes et des jeunes filles, se sont rassemblés près du parc Laleh pour honorer les victimes des bassidjis. Les forces de l’ordre ont chargé. Cinq manifestants blessés, nombreuses arrestations. Il ne se passe pas de jour où, dans une ville d’Iran, des hommes et surtout des femmes bravent les interdictions au péril de leur liberté. Mais la grande question qui se pose est la suivante : Michael Jackson est-il mort d’une surdose médicamenteuse ?
Je serais bien le dernier à accabler des confrères, d’autant qu’auparavant, le Parisien avec sa Une sur Nada, le JDD avec les reportages de Karen Lajon, voire le Figaro grâce à Delphine Minoui ont bien couvert les débuts de la révolte iranienne. Mais on se console mal en constatant les progrès de la gangrène du nouveau mal du siècle, cette culture du zapping dont Régis Debray a déjà diagnostiqué les méfaits : on ne s’intéresse qu’au visible, à l’immédiat, une image chasse l’autre. Toutes les valeurs qui régissent nos gouvernants et gouvernés – politiques, médias et lecteurs – sont celles du court-circuit généralisé qui, progrès technique aidant, fait de l’information l’otage de la réactivité et de l’immédiateté.
Est-ce trop demander aujourd’hui que l’image de Michael Jackson n’occulte pas celle de Nada l’Iranienne, qui n’a pas inventé le moonwalk ? Est-ce trop demander que, l’émotion passée, on pose de bonnes questions ? Notamment celle-ci : pourquoi la France, « patrie des droits de l’Homme », s’acharne-t-elle à considérer la résistance iranienne qu’elle accueille sur son territoire comme une organisation terroriste, alors que tous les autres pays d’Europe ont, au début de l’année, conclu le contraire ? Pourquoi, plus de six ans après le fiasco de la calamiteuse rafle d’Auvers-sur-Oise menée par le juge Bruguière contre ces résistants, sur l’insistante demande des mollahs (*), aucune décision de justice n’a été rendue, ce qui va conduire, à la suite de la plainte de Me William Bourdon, soutenu par la Ligue des droits de l’homme, à la condamnation de notre pays devant la Cour de justice européenne ?
Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur lors de la descente de police de juin 2003 et… Bernard Kouchner soutenait alors les résistants iraniens. Aujourd’hui, malgré leurs déclarations, ils continuent à donner des gages au régime de Téhéran en se démarquant des autres pays européens concernant les résistants iraniens. Zappons vite. Nada est morte, pleurons « Bambi ».
Jean-Claude Maurice est l'auteur de "Si vous le répétez, je démentirai", Plon.