jeudi, mars 28, 2024
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Iran : Au coin de la rue, la révolution

 Des chars sur la place Azadi, des barricades en plein cœur de Téhéran… Trente ans après la chute du chah, la République islamique qui lui avait succédé est à son tour ébranlée par la révolte grondante.
 
Par Jean Levert
Avec Hossein Isphahani Téhéran

Afrique Asie, juillet août – De Téhéran à Chiraz, de Machhad à Tabriz, le peuple iranien est-il en train de surprendre, une fois de plus, le monde ? C'est bien une révolution qui semble souffler sur la terre d'Iran, que ce jeune commerçant  manifestant à Téhéran  décrit ainsi : "Un mouvement fantastique qui a soudé l'ensemble du peuple". Tout le monde a à l'esprit les scènes de fin de règne du chah.

Morad, un retraité qui a participé activement au mouvement contre la dictature du chah, remarque que les revendications d’aujourd’hui ressemblent étrangement à celles de l’époque : "Mort à la dictature !", "Nous vengerons nos frères martyrs !", en allusion à la centaine de manifestants tuée depuis le début des émeutes. Afsaneh, jeune étudiante de l'université Amir-Kabir de Téhéran, raconte, elle, la férocité de la répression " : « A la fin de la manifestation sur la place Vanak, les forces de l'ordre et les Lebasse Chakhsi (agents en civil de la sinistre Vevak, le ministère des renseignements iraniens, ndlr) se sont rués sur les groupes de gens plus isolés et ont commencé à les frapper cruellement. Ceux qui fuyaient trouvaient refuge dans les maisons dont les habitants avaient exprès laissé la porte entrouverte. Mais les miliciens allaient les chercher à l'intérieur."

Terrible répression

La répression s'est durcie. Le régime a  fait usage d’armes à feu quand la foule a voulu investir un centre du Bassij (la milice islamiste) d'où les tirs étaient partis. Une dizaine de personnes a été tuée par des sentinelles postées sur les toits. Toutes mortellement touchées à la tête. Mohsen a reçu un choc énorme quand il a vu un policier tirer de sang-froid dans la nuque d'un étudiant parlant à un journaliste. A plusieurs reprises à la tombée de la nuit, les miliciens et la police, armés de barres de fer, de couteaux et de colts, ont attaqué sauvagement les dortoirs des universités de Téhéran. Dans la nuit du 16 juin, cinq étudiants ont été ainsi massacrés sur le campus. Les images de Neda, une jeune fille tuée sur le coup d’une balle en pleins poumons, et les sanglots de son père ont fait le tour du monde. Depuis, le peuple appelle « Neda » l’avenue où elle a été assassinée.

La plupart du temps, les autorités refusent de rendre les corps aux familles. Ils interdisent également les funérailles publiques. Souvent pour des raisons sordides. Le 15 juin, dans le quartier Chahran de Téhéran,  un jeune de 18 ans, Mehdi Karami, et plusieurs de ses camarades ont été tués par balles. Mehdi a été touché au cou. Quand la famille a demandé à récupérer le corps emporté par la police, les autorités ont réclamé de l'argent… Le lendemain, alors que la famille endeuillée et de nombreuses personnes étaient rassemblées dans la maison du défunt, les unités anti- émeutes ont lancé des tirs de sommation, des grenades lacrymogènes et arrêté l'assistance. Le quartier est entré en ébullition. Les habitants ont scandé des toits "Allah Akbar", "A bas la dictature !".
 
Les Chancelleries ainsi que l'opinion publique internationale ont été surprises par ces événements. Il est vrai que les "experts" attitrés de l'Iran, les universitaires autorisés à s'exprimer dans les médias, les "spécialistes" qui ont la cote auprès des diplomaties ne voulant écouter que ce qui conforte leurs thèses, ont toujours présenté le pouvoir à Téhéran comme "solide", étant une sorte de "démocratie" avec le dictateur de droit divin, le wali faqih, Ali Khamenei, comme un "arbitre" ! La jeunesse iranienne, elle, est vue  comme peu politisée,  incapable de courage et de vivacité contre le régime.

De bonne ou de mauvaise foi, les experts officiels relaient le message d’un pays qui n’a de république  que le nom. Le guide suprême leur a donné un  camouflet en précisant, lors de la prière du vendredi ayant suivi les premières émeutes, que sa préférence allait à Ahmadinejad. Il a surtout refusé de se plier à la demande d’annulation de l'élection présidentielle malgré les multiples fraudes déclarées. Khamenei a menacé le clan adverse s’il continuait à manifester dans la rue: « Qu’on le veuille ou non, ils seront responsables du sang versé, de la violence et du chaos », a-t-il affirmé. Il ne pouvait être plus clair. Il a pris le soin de préciser : «le déploiement des manifestants dans la rue (…) ouvre la voie à l’infiltration et aux coups des terroristes ».

Du coup, des doutes planent sur l’attentat  contre le mausolée de Khomeiny, au lendemain de ce discours, qui pourrait être une manipulation destinée à préparer le terrain à une tuerie programmée. Il est étrange qu'aucun journaliste n'ait pu pénétrer dans l'enceinte du mausolée après l'attentat.

Le guide a mis sa menace à exécution le jour d’après. Les manifestations sont annoncées dans plusieurs quartiers de Téhéran et en province, c'est l'état de siège. Les affrontements sont très violents. La répression terrible. Cent cinquante manifestants ont trouvé la mort, souvent par balles. Mais une étape est franchie : la foule a bravé l'interdit et le peuple  crié : "Mort à Khamenei !". 

Dans son prêche, le guide suprême n'avait pas manqué de rappeler que les quatre candidats autorisés à se présenter étaient bien des hommes du sérail, des fidèles parmi les fidèles du régime : Mahmoud Ahmadinejad est le président sortant, Mir-Hossein Moussavi l’ex-premier ministre de Khomeiny, Mehdi Karoubi l’ancien président du Majlis  et Mohsen Rezaï l’ex-commandant en chef des Gardiens de la révolution. Que les candidats soient passés au peigne fin du conseil de surveillance et aient réussi, sur près de 500 candidats, le si peu démocratique oral de fidélité, n'est pas une nouveauté. Ni les fraudes en Iran surprenantes.

Mais, cette fois-ci, il y avait une innovation : un étrange débat télévisé a été organisé au cours duquel Ahmadinejad a eu l'occasion d’attaquer ses rivaux, et, surtout, de dévoiler ce que tout le monde savait sur l'escroquerie et la corruption du clan Rafsandjani. Accusations de corruption, pillage des richesses, meurtre et terrorisme figuraient  dans le débat. Sauf que Rafsandjani est le numéro deux du régime, président du Conseil suprême de discernement des intérêts de l'état et du conseil des experts qui désignent le guide suprême. De toute évidence, Khamenei a voulu profiter de cette élection pour évincer la faction rivale et poursuivre la ligne extrémiste incarnée par Ahmadinejad. Les prémices d'une purge annoncée dans le sérail du pouvoir. Dans une lettre ouverte à Khamenei, Rafsandjani a appelé à «éteindre l'incendie, dont on voit la fumée ». Il a aussi  rappelé que toutes les accusations remontaient à une époque où le pouvoir était dirigé soit par Khomeiny, soit par Khamenei lui-même.

Le débat a mis du sel dans la campagne, mais a aussi déséquilibré une stabilité fragile. Le peuple a senti la fissure au sommet de l'Etat. Les Iraniens ont commencé à espérer. Ils ont mis à profit la situation pour mettre en avant leurs revendications : la fin de la dictature théocratique, de la répression du mouvement étudiant, l’égalité des sexes, la libération des prisonniers politiques… bref, la liberté. Tout cela dans un climat festif. Pendant dix jours, les gens  n’ont pas eu peur de s'exprimer. Mais tout le monde savait qu'à la fin de la campagne, la fête serait terminée. 

Quant à Khameneï, il avait bien préparé son coup. La veille du scrutin, l'opposition iranienne du Conseil national de la Résistance annonce que, "selon les ordres de Khamenei, le taux de participation devrait être annoncé à plus de 35 millions d’électeurs, soit plus de 75%".

L’Occident trop tiède

Des responsables des ministères de l'Intérieur et du Renseignement, du Corps des Gardiens de la révolution (CGR), de la milice paramilitaire Bassidj et d’autres organes ont reçu l’ordre de bourrer les urnes, de gonfler les chiffres et d’organiser les fraudes. « Khamenei a ordonné de proclamer Ahmadinejad vainqueur dès le premier tour », dit le communiqué, passé inaperçu, du Conseil national de la résistance. C'est exactement ce qui va se produire. Le ministère de l'intérieur annonce très tôt le vainqueur avec 69% des voix et une participation de 85%. Surveillant 25000 bureaux de vote, l'opposition clandestine annonce  moins de 8 millions de participation sur 46 millions d'électeurs.

Toutes les astuces de la fraude ont été utilisées : manque de bulletins de vote dans les bureaux, fermeture anticipée de certains, impossibilité pour des observateurs d'assister au dépouillement, multiplication des urnes mobiles (elles étaient 14.307,  dix fois plus qu’à la dernière  présidentielle). Le tout supervisé par les Gardiens de la révolution.

En réinstallant Ahmadinejad au premier tour, le guide comptait arrêter net l'enthousiasme de la population. La désillusion aura été brutale. La fête s’est transformée en manifestations, puis en émeutes. Très vite, Sadeq Mahsouli, le ministre de l'Intérieur, déclare : « Ceux qui organisent ces rassemblements ne soutiennent aucun des candidats, ils veulent utiliser les rassemblements pour l’intérêt de leur propre groupuscule". Le régime muselle les journalistes, coupe les communications et ralentit l'Internet. Astucieux, les Iraniens ont recours aux portables et aux réseaux comme Twitter pour appeler à la résistance et diffuser des informations sur les affrontements.
 
Après les déclarations du guide voyant la main des "terroristes" partout, et la pression mise sur les journalistes étrangers pour qu’ils quittent le pays, le pouvoir prépare un durcissement.
Des condamnations plutôt timides arrivent de l’Occident. Il est vrai que le bilan désastreux de Georges Bush a joué comme repoussoir. Obama, lui, venait de tendre la main à l'Iran. Mais il s'aperçoit que la main qu'il veut serrer est tâchée de sang.  L'enjeu lié au nucléaire iranien ne doit plus servir d'excuse pour rester silencieux. Pour l’opposition, l'heure n'est plus aux déclarations prudentes. Le régime est chancelant, il faudrait des réactions plus énergiques de la part de la communauté internationale pour stopper le bain de sang. Car le pire est encore à venir.