vendredi, mars 29, 2024
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Irak: Le vice-président Al-Hachemi à Bruxelles: “ le jour où Maliki quittera le pouvoir, les choses vont changer ”

La Libre Belgique – Entretien avec Christophe Lamfalussy Tarek Al-Hachemi reçoit dans sa chambre au seizième étage d’un grand hôtel de Bruxelles. Une fois passé son propre contrôle de sécurité, l’interview démarre sur les chapeaux de roue. En quinze minutes.

 

 

Le président du PE vous a interdit laccès au Parlement alors que vous aviez été invité. Que vouliez-vous dire?

Que l’Irak traverse une période d’extraordinaires difficultés. La capacité de l’Irak à prendre le dessus de cette crise est limitée. C’est pourquoi nous appelons la communauté internationale, et l’Union européenne en particulier, à partager avec nous la responsabilité de changer l’Irak. Ce qui se passe dans mon pays ne va pas se cantonner aux frontières de l’Irak.

 

Que peuvent faire les Européens ? Les Américains ont été là quelques années. Cela a été un désastre.

La communauté internationale ne fait que comptabiliser le nombre de victimes, chaque jour, de la tragédie irakienne.

Et c’est tout ! Les valeurs qui fondent l’Europe ne sont pas confinées au territoire européen. Ils (les Américains, NdlR) sont venus en 2003 pour essayer d’éduquer notre population à la démocratie, au respect des femmes et des droits de l’homme, à veiller à la bonne répartition de nos richesses. Nous avons essayé, mais nous avons échoué. Ce je dis, c’est que vous devez venir soutenir les valeurs que vous avez essayé d’introduire en 2003. Vos gouvernements, ONG, parlements ont la capacité d’aider les Irakiens.

 

Pour vous, le Premier ministre Nouri al-Maliki, qui est chiite, na rien fait de bon ?

Non seulement il n’a rien fait… il fait partie du problème. Al Maliki devrait démissionner. Ensuite, toutes les entités irakiennes devraient s’asseoir autour de la table sous supervision internationale. Cela pourrait être l’Union européenne, la Ligue arabe, les Nations unies. Ils seraient les témoins et les sponsors de cette réunion et veilleraient à ce que les résultats soient garantis. Il faut revoir tout le processus politique de ces dix dernières années et en tirer les leçons pour accoucher d’une vraie démocratie. Aujourd’hui, nous avons un régime de type dictatorial et tyrannique. Al Maliki a pris en otage le processus démocratique. Il contrôle les forces de sécurité, les contrats majeurs du gouvernement, les médias officiels, le système judiciaire. C’est pourquoi Maliki peut prendre pour cible n’importe quel politicien.

 

Comme vous ?

Je ne suis pas un terroriste ! J’ai payé un lourd tribut en 2006 quand mes deux frères et l’une de mes sœurs ont été assassinés. Je n’ai pas appelé à la vengeance. L’enquête n’a rien donné. Je n’ai pas demandé pourquoi. Je suis resté silencieux pour la stabilité de mon pays.

 

Donc il ny a pas selon vous de base factuelle à la notice rouge dInterpol qui vous concerne ?

L’Union européenne sait que mon dossier est motivé sur le plan politique. Ce n’est pas la première fois qu’un pays utilise ce genre de mandat à des fins politiques. Mon cas a été fabriqué.

 

Certains de vos anciens gardes du corps ont pourtant témoigné contre vous

Une centaine de mes gardes du corps ont été arrêtés. Vingt ont été condamnés à mort. Et deux d’entre eux sont morts après avoir été torturés (pour obtenir ces aveux, NdlR).

 

Selon les Nations unies, il y a eu 5 800 victimes civiles depuis le début de lannée. Comment arrêter tout cela ?

La question devrait être adressée au Premier ministre. C’est lui qui contrôle les forces de sécurité. C’est lui qui est le ministre en charge de la Défense, de l’Intérieur, de la Sécurité nationale et chef du Renseignement. Personne ne sait ce qui se passe en Irak sur le plan de la sécurité. Seul lui pourrait répondre de ces mystérieux développements en Irak. Mon pays consacre 25 % de son budget annuel à la sécurité. Nous avons plus d’un million d’individus dans la sécurité et dans l’armée. Et pourtant la situation est catastrophique. L’injustice, la corruption, le mauvais management et la consolidation du pouvoir créent un environnement qui accroît la violence en Irak.

L’injustice est une réaction humaine. Si vous jetez un innocent en prison pour cinq ans, sans mandat d’arrêt, quelle personnalité, quelle colère créez vous ? Trente pour cent de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Elle n’a rien à manger. Du coup, le terrorisme réussit à engager des jeunes pour seulement 100 dollars car il n’y a pas de travail. Le terrorisme et la violence trouvent leur origine en Irak. Et je vous garantis – rappelez-vous en – que le jour

où Maliki quittera le pouvoir, les choses vont changer.

 

Le conflit nest-il pas sectaire, entre chiites et sunnites ?

Oui, bien sûr, la discrimination (que subissent les sunnites, NdlR) en fait partie. Six provinces protestent contre Maliki.

Elles ont introduit quinze demandes selon la Constitution. Al Maliki, depuis décembre, n’a satisfait aucune de ces demandes. Le mois dernier, il y a eu dans un secteur chiite une manifestation contre les hauts salaires des députés. Al Maliki a réagi le jour suivant. A Bagdad, nous assistons à un nettoyage ethnique. L’objectif : faire partir les sunnites et ne garder qu’une seule secte, les chiites.

 

Il y a aussi des attentats contre les chiites !

Je suis d’accord. Mais A lMaliki dit aux chiites du Sud que s’il part, ils seront sacrifiés par les sunnites. Pour prouver cela, il permet aux voitures remplies d’explosifs de passer les check points et de tuer les chiites, pour les provoquer.

 

Ny a-t-il pas un risque que lIrak devienne linstrument des tensions entre les puissances de la région lIran, le Qatar, lArabie saoudite ?

Je ne peux pas parler pour ces pays. Chacun a son propre agenda. Mais ce que je peux dire, c’est que nous avons besoin d’un gouvernement fiable qui protège l’unité de l’Irak et qui établisse de meilleures relations entre sunnites et chiites, entre Arabes, Kurdes et Turcomans, entre chrétiens et musulmans. La seule solution est un état civil et démocratique – pas un Etat religieux lié à l’Iran et aux ayatollahs.

 

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Tarek Al-Hachemi

Secrétaire général du parti islamique irakien jusqu’en mai 2009, cet influent dirigeant sunnite était vice-président de l’Irak depuis 2006.

Juste après le départ des troupes américaines, en décembre 2011, la justice irakienne délivre un mandat d’arrêt contre lui. Il s’échappe vers la Turquie via les territoires à majorité kurde.

En septembre 2012, il est condamné à mort pour avoir prémédité le meurtre d’une avocate et d’un général de l’armée irakienne. Tarek Al-Hachemi a toujours rejeté les accusations parlant d’un dossier “fabriqué” destiné à l’écarter de la scène politique – manœuvre qu’il attribue au Premier ministre en poste, un chiite.

Il a été lauteur en 2007 d’un plan en 25 points, condamnant toute forme d’extrémisme et appelant à un dialogue entre les communautés.