lundi, juin 23, 2025
AccueilActualitésActualités: EconomieL’économie iranienne au bord de l’effondrement

L’économie iranienne au bord de l’effondrement

Ll’économie iranienne au bord de l’effondrement

L’effondrement économique en Iran a atteint une telle ampleur que même les experts proches du régime reconnaissent désormais ouvertement sa gravité dans des publications contrôlées par l’État. Dans un article récent, l’économiste Masoud Nili, proche du régime, et le sociologue Mohammad Fazeli ont abordé la dégradation du fonctionnement de l’État.

Tous deux aboutissent à une conclusion commune : l’Iran est confronté à une profonde crise de gouvernance, non seulement due à une mauvaise gestion, mais aussi à l’incapacité fondamentale du régime à relever les « défis majeurs » croissants auxquels la nation est confrontée.

La chaîne de gouvernance perturbée
L’analyse de Masoud Nili se concentre sur ce qu’il appelle une « crise d’État », une situation marquée par la perturbation de la « chaîne de valeur de la gouvernance ». Il soutient que le dysfonctionnement économique de l’Iran est bien plus profond que ses défis de politique étrangère, tels que l’impasse nucléaire ou les sanctions internationales. Même si ces problèmes étaient résolus, affirme-t-il, les problèmes structurels de l’économie iranienne persisteraient en raison de l’absence de consensus intellectuel et de stratégie économique cohérente.

Un élément clé de l’argumentation de Nili est que les désaccords entre les économistes iraniens, en particulier entre les institutionnalistes et les partisans du libre marché, ont paralysé l’élaboration des politiques. Ces divergences théoriques, affirme-t-il, ont permis aux responsables politiques d’éviter des réformes structurelles drastiques au profit de politiques irréalistes et idéologiques. Il critique les économistes institutionnalistes pour leur idéologie de promotion d’un « monde imaginaire » dans lequel des problèmes complexes comme la corruption, la surconsommation énergétique ou la crise de l’eau peuvent être résolus sans réforme des prix ni rationalisation du marché.

Fort de son expérience de conseiller économique sous la présidence de Hassan Rohani, Nili déplore l’échec de ses efforts pour parvenir à un consensus par le biais de conférences économiques et de feuilles de route de réformes. Il attribue cet échec à l’opacité et au dysfonctionnement de l’appareil décisionnel iranien, le qualifiant de système régi par des « salles fermées » et des institutions opaques. Ce diagnostic révèle un paradoxe fondamental : si les technocrates peuvent proposer des politiques économiques rationnelles et fondées sur la science, la structure politique rend ces propositions irréalisables.

En se concentrant exclusivement sur les différends théoriques, il risque de considérer à tort l’origine de la crise comme intellectuelle plutôt que politique. Par exemple, il interprète les contradictions de la politique économique, comme la promotion de réformes libérales tout en prônant le contrôle des prix, comme des signes de confusion théorique, au lieu de les considérer comme des actions délibérées de groupes d’intérêt qui profitent de l’instabilité et de l’ambiguïté.

L’affaiblissement de l’État
Le sociologue Mohammad Fazeli examine cette même crise sous l’angle des capacités de l’État, qu’il perçoit comme se détériorant sur quatre plans essentiels : les ressources humaines, l’autorité, la capacité financière et le capital social.

Fazeli soutient que l’État a été affaibli par plusieurs tendances de long terme : la nomination de personnel non qualifié par des processus politiques, la baisse relative des salaires dans le secteur public et la marginalisation de professionnels compétents. Ces facteurs, souligne-t-il, ont gravement compromis la capacité du gouvernement à attirer et à retenir les talents.

En matière d’autorité, Fazeli affirme que l’État iranien a été délibérément affaibli par des acteurs politiques cherchant à éviter l’émergence d’une bureaucratie indépendante et professionnelle. Cela a conduit à la prolifération d’institutions parallèles et de conseils quasi gouvernementaux, dont beaucoup ne sont pas tenus de rendre des comptes mais exercent une influence considérable. Il en résulte une structure étatique fragmentée et incohérente, dépourvue d’autonomie et de concentration.

Sur le plan financier, Fazeli souligne une base de revenus en déclin, exacerbée par les sanctions, la corruption et la mauvaise gestion, qui érode encore davantage la capacité de l’État à gouverner efficacement. Sur le plan social, il constate l’érosion de la confiance et le déclin du capital social, les citoyens perdant foi en un État incapable de fournir les services les plus élémentaires.

Deux perspectives, une même réalité
Malgré leurs points de vue divergents, Nili et Fazeli parviennent à une conclusion similaire : l’État iranien ne fonctionne plus comme une institution cohérente et compétente. Nili diagnostique l’inefficacité de l’élaboration des politiques et la paralysie causée par la désunion intellectuelle, tandis que Fazeli cartographie l’érosion structurelle des capacités de l’État. Ensemble, leurs analyses offrent une vision multidimensionnelle de la crise de gouvernance en Iran.

Pourtant, aucun des deux ne parvient à aborder la nature intentionnelle de ce dysfonctionnement. Ils évoquent l’opacité du processus décisionnel et la complexité institutionnelle, mais omettent de nommer les acteurs politiques et les groupes d’intérêt qui ont un intérêt direct au maintien du statu quo. La réalité est que la crise de l’État iranien n’est pas seulement le résultat d’une inefficacité ou d’une confusion idéologique : elle est le produit d’une ingénierie politique délibérée.

Dans ce système, des institutions parallèles, souvent fidèles au Guide suprême du régime, agissent non pas pour compenser les faiblesses de l’État, mais pour le saper et le contrôler lui-même. Ce qui apparaît comme une incohérence bureaucratique est souvent une stratégie de domination, utilisée par des factions proches du Bureau du Guide suprême pour distribuer les ressources et le pouvoir en contournant les structures gouvernementales formelles.

De plus, ces deux analyses sous-estiment les conséquences sociales de ce déclin artificiel.

L’architecture tacite du pouvoir
Nili et Fazeli éclairent des dimensions cruciales de la crise iranienne, de la mauvaise gestion économique à l’érosion institutionnelle. Mais pour bien comprendre l’effondrement de l’État, il faut aller plus loin : examiner la conception délibérée d’un système conçu pour concentrer le pouvoir, museler l’opposition et entraver la capacité de l’État à se réformer.

Toute analyse de la crise de gouvernance iranienne qui ne prend pas en compte le rôle du système du Velayat-e Faqih, ainsi que les réseaux de pouvoir, de clientélisme et de répression qui entourent le Guide suprême, est inévitablement vouée à l’échec. La « mafia soutenant Khamenei », composée d’institutions parallèles, de conglomérats militaro-financiers et de chiens de garde idéologiques, est devenue le véritable architecte du déclin de l’État iranien.

Tant que ces structures resteront intactes et irresponsables, tout espoir de réforme économique ou de renouveau sociopolitique restera illusoire. Le problème ne réside pas seulement dans l’échec de la gouvernance : c’est un système qui fonctionne exactement comme prévu : pour se préserver aux dépens de la nation.