
L’économie iranienne ne ralentit pas seulement ; elle est démantelée par décret. Alors que l’isolement international s’accentue après la décision de l’ONU, l’État répond aux signaux du marché par des injonctions administratives : plafonnement des prix, suppression de la monnaie, « unité » forcée et des mesures politiques opportunistes comme la suppression du taux zéro. Il en résulte un cercle vicieux de rareté, de recherche de rente et de défiance du public, qui fragilise les entreprises et les ménages.
Quand les commandes remplacent les prix
Fin septembre 2025, un forum d’affaires (« Les obstacles à l’entreprise dans l’économie iranienne ») a mis en lumière ce que les entreprises subissent depuis des années : le « piège du contrôle des prix ». L’économiste Mousa Ghaninejad a soutenu que cette politique repose sur un malentendu fondamental : « Si les décideurs politiques comprenaient le fonctionnement du marché, ils ne commettraient jamais cette erreur ; et s’ils le comprennent et persistent, c’est de la démagogie.» Il a averti que les diktats de l’État ont même empêché les producteurs de baisser les prix, transformant un outil censé lutter contre l’inflation en un mécanisme destructeur de la production et générateur de rente. Les prix, a-t-il souligné, sont des informations ; lorsque le gouvernement les remplace par des commandes, il perturbe le bon fonctionnement de l’économie.
Du secteur technologique, Hesam Armandehi (fondateur de Divar, une plateforme iranienne de petites annonces en ligne similaire à Craiglist) a décrit comment les start-up ont perdu une décennie à cause de la réglementation sécuritaire : « Alors que le monde laisse les marchés fixer les prix, en Iran, même la publicité en ligne reçoit une directive stipulant que les bénéfices ne doivent pas dépasser 15 %. » Le contraste qu’il a établi était saisissant : leurs homologues des Émirats arabes unis sont devenus des entreprises milliardaires, tandis que les fondateurs iraniens ont transféré leurs capitaux et leurs talents à l’étranger pour échapper à un « État sécuritaire et illogique ».
Ali Mirzakhani, un autre économiste proche de l’État, a élargi le champ d’application de la politique monétaire : « Lorsque l’État supprime le taux de change pour contenir les prix à l’importation, cela impacte la production nationale et déclenche la prochaine poussée d’inflation.» Faisant écho à la théorie monétaire dominante, il a souligné que l’inflation iranienne est fondamentalement monétaire, mais que l’impression monétaire et les contrôles ad hoc se poursuivent, provoquant une stagflation chronique, et non un soulagement.
Des données que le système ne peut expliquer
La situation macroéconomique se détériore, et les responsables proches du pouvoir le disent. Le 4 octobre 2025, Farshad Momeni, expert en politique économique, a qualifié le projet de budget 2026 de « regrettable et honteux », avertissant qu’il aggraverait la pauvreté au lieu de la réduire. Il a déclaré que le nombre de pauvres était passé de moins de 10 millions à plus de 25 millions en une décennie, dont plus de 7 millions en situation de famine grave ou quasi-famine.
La couverture médiatique du commerce et de l’industrie est arrivée à la même conclusion sous un autre angle. Le 21 septembre 2025, le quotidien économique Sanat-Maadan-Tejarat (SMT) écrivait que « tous les moteurs de la croissance » – un environnement commercial sain, une gouvernance économique crédible, l’accès aux technologies et le financement – « ne fonctionnent pas ». Selon lui, l’objectif de croissance de 8 % fixé par le gouvernement est irréalisable sans des réformes structurelles, allant de l’équilibre énergétique à la réforme bancaire et à la réduction des risques politiques. La Chambre de commerce iranienne a ajouté un test de résistance fin août 2025 : dans son scénario pessimiste, le dollar bondit à 165 000 tomans et l’inflation atteint 90 %, avec une croissance négative dans tous les scénarios. Le rationnement de l’électricité se fait déjà sentir : la Chambre a averti que la production d’acier pourrait chuter de 33 % cette année en raison des coupures de courant.
L’isolement engendre la rente et le scandale
Là où les règles remplacent les marchés, la rente remplace la productivité. Le 15 septembre 2025, Majid Nami, conseiller de l’industrie textile, affirmait qu’environ un milliard de dollars de tissus de mauvaise qualité étaient entrés en Iran en deux ans grâce à des devises subventionnées par l’État, pour être ensuite vendus aux taux du marché libre – un pur arbitrage entre les politiques et les poches. La question qu’il posait – qui a capté la rente ? – renvoie à des réseaux politiquement connectés.
Au niveau des ménages, le préjudice ressemble à une autopsie de politique sociale. Le 20 septembre 2025, Asr-e Iran a détaillé une fraude immobilière d’environ 1 000 milliards de tomans à Pardis (Phase 8), près de Téhéran : des centaines de familles – travailleurs, retraités et personnes ayant vendu leur logement existant – ont versé entre 800 millions et 2 milliards de tomans chacune à une entreprise arborant des sceaux officiels, pour finalement ne découvrir ni logement ni titre de propriété. Des arrestations ont suivi, mais les avocats affirment que les biens saisis ne couvriront pas les pertes. Ce cas n’est pas un cas isolé ; il est le symptôme d’un État de droit fragile, d’une approbation officielle à bas prix et d’une culture d’impunité qui prospère sur des marchés opaques et gérés par l’État.
Supprimer les zéros, pas de problèmes
Le 5 octobre 2025, le Parlement a de nouveau approuvé un projet de loi visant à supprimer quatre zéros de la monnaie et à adopter le toman, un projet initialement envisagé.
Dans les années 1990, ce texte a été rédigé en 2019, adopté en 2020 et rejeté par le Conseil des gardiens, qui exige désormais des changements de nomenclature (par exemple, « qeran »). Selon le dernier texte, un nouveau rial équivaut à 10 000 rials actuels (1 000 tomans aujourd’hui). Même s’il est adopté, la banque centrale dispose de deux ans pour se préparer et de trois ans de circulation parallèle pour échanger les billets – coûts d’impression et de logistique s’ajoutant aux frais de gestion des espèces existants.
L’ancien président de la banque centrale, Tahmasb Mazaheri, a averti en décembre 2024 : « Avec la forte inflation actuelle, supprimer quatre zéros ne fonctionnera pas ; il faudrait en supprimer au moins six.» Il a ajouté que sans billets de grande valeur, la valeur des billets s’effondrerait vers le coût d’impression, rappelant qu’une réforme superficielle sans désinflation est une perte d’argent, et non un facteur de confiance. L’histoire le confirme : de l’Argentine et de la Roumanie à la Yougoslavie et au Zimbabwe, la suppression du zéro ne résout que rarement les fondamentaux ; La réinitialisation de la Turquie en 2005 n’a réussi qu’après une désinflation soutenue et une remise en état des institutions.
L’effet multiplicateur du retour à la normale
L’isolement international amplifie chaque faiblesse intérieure. Après le retour à la normale, les baromètres du marché ont basculé : le 2 octobre 2025, le dollar sur le marché libre a franchi la barre des 117 000 tomans, soit plus de 1 000 tomans de plus que la veille ; la pièce d’or Emami a atteint environ 118 millions de tomans. Dans ce contexte, le contrôle des prix et la suppression des changes n’apaisent pas les attentes ; ils signalent une pénurie, incitant à la thésaurisation et à l’arbitrage. Les écarts budgétaires se creusent, et les autorités annoncent des hausses du prix de l’essence pour récupérer des liquidités – une mesure politiquement explosive dans une société déjà sous pression.
La réponse de l’État est familière : insister sur « l’unité », dénoncer les manifestations comme des « plans ennemis » et renforcer les contrôles administratifs. Mais les faits de la semaine démontrent le contraire : plus l’isolement s’accentue, plus l’économie dirigée laisse échapper le pouvoir aux initiés et aux intermédiaires, tandis que les entreprises et les ménages ordinaires absorbent le choc.
La crise iranienne ne se résume pas aux seules sanctions. Elle est un mélange d’isolement et d’interventionnisme : le retour à la normale resserre l’étau ; la politique par décrets brise les mécanismes. Le forum sur le contrôle des prix a identifié le mécanisme ; les données sur la pauvreté et la production quantifient les dégâts ; les scandales liés aux importations et au logement révèlent qui en profite. Supprimer les zéros, plafonner les profits et fixer les taux de change relève de la mise en scène, et non de la stratégie. Sans ancrages crédibles – restriction monétaire, prévisibilité juridique, prix de marché et concurrence réelle – l’économie continuera de transformer la pression extérieure en instabilité interne, avec de moins en moins d’outils pour en gérer les conséquences.

