jeudi, mars 28, 2024
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La question d’Achraf égale une question d’honneur pour les États-Unis d’Amérique – Sid Ahmed Ghozali

CNRI – « La seule protection possible pour Achraf, c’est soit Casques bleus, soit les États-Unis d’Amérique qui restent encore responsables moralement et politiquement et légalement de cette situation », a déclaré Sid Ahmed Ghozali le 10 décembre à Paris.

L’ancien premier ministre algérien s’exprimait dans une conférence internationale pour appeler à l’annulation du délai fixé au 31 décembre par le gouvernement irakien pour fermer Achraf, et condamner tout déplacement forcé en Irak de ses habitants, qui ne serait qu’un prélude à leur massacre.

Voici l’intervention de M. Ghozali

Je vais réduire mon propos à deux points. Dire pourquoi ce qui nous préoccupe ici avant tout, à savoir la protection et la sécurité des habitants d’Achraf. Et ce qui nous préoccupe aussi, c’est la paix dans la région et la stabilité. Il n’y aura pas de solution sans, primo, une confiance zéro dans les acteurs que sont le gouvernement Maliki et le gouvernement iranien, et deuxièmement, il n’y aura pas de solution pérenne aussi bien pour la sécurité des membres de la résistance iranienne et notamment de la population d’Achraf, sans une révision déchirante par l’administration américaine de sa vision sur la problématique iranienne.

Alors je vais donc réduire mon propos à ces deux paradigmes en quelque sorte. Mais au préalable, je voudrais dire un mot, à propos de ce qui a été dit par le Général David Philips. Comme vous j’ai entendu tout à l’heure ce Général, nous a dit notamment dans un témoignage bouleversant qu’il aurait aimé que ses filles viennent à Achraf pour voir comment fonctionne la société iranienne telle que la voit la résistance iranienne et pour voir quelle place occupe dans cette société la femme iranienne. Il y a au moins cinq ans, à la suite d’un rapport de Human Right Watch, HRW, qui était un tissu de mensonges sur la résistance, et face à une sorte de conspiration médiatique générale, il a été, à ma connaissance, le seul à avoir réagi il y a cinq ans à ça, et à avoir écrit ouvertement ce que nous l’avons entendu dire tout à l’heure.

Alors, Général David Philips, je vous salue respectueusement et profondément, car la hauteur de votre témoignage, la hauteur morale de votre témoignage, la sincérité et le courage éclairent cette face de la nation américaine que nous aimons. Et grâce à Dieu, vous n’êtes pas le seul.

Le peuple iranien est victime, la première victime d’une image totalement erronée qui a été depuis des décennies répandue sur la réalité de la résistance iranienne et la réalité du régime des mollahs. Et vous n’êtes pas le seul, heureusement, même si vous êtes l’un des pionniers.

 C’est avec honneur que j’ai entendu le sénateur Patrick Kennedy qui porte si bien ce nom et avec tant de brio, et tous les autres intervenants. Car c’est depuis à peu près trois ans, c’est-à-dire à la veille du moment où l’armée américaine s’apprêtait à travers les accords SOFA à transférer les responsabilités d’une manière générale et en particulier la protection d’Achraf au profit de l’armée irakienne, nous avons tous vécu comme une menace au jour le jour, et une menace à multiple facettes, qui chaque jour pesait de plus en plus lourdement, de plus en plus dangereusement, sur la population d’Achraf.

Je passe sur un blocus inhumain, je passe sur toutes les actions de torture psychologique et je ne citerai que les deux tueries dont nous avons vu quelques échantillons de juillet 2009 et avril 2011. Ces menaces sont allées en grandissant, mais grâce à Dieu, la prise de conscience internationale du danger est allée en grandissant aussi.

Et grâce à l’intervention de vastes secteurs de la société civile et de la société politique en Europe et aux États-Unis d’Amérique, la question d’Achraf se présente maintenant de manière totalement différente d’il y a trois mois ou trois ans. Faut-il s’en satisfaire et lâcher prise ? Non. Parce que, quand nous parlons de crime … il s’agit d’éviter un nouveau Srebrenica, ou un crime contre l’humanité à l’échelle de Srebrenica.

Mais le crime contre l’humanité, il a déjà commencé. Il a commencé par exemple en 1988, quand sur la base de deux fatwas, l’imam Khomeiny a créé le concept légal de mohareb, c’est-à-dire d’ennemi de Dieu, et le deuxième fatwa qui déclarait que tout opposant au régime est ennemi de Dieu. Les fatwas valent loi dans ce pays-là. Et sur la base de ces deux lois, il a fait exécuter en moins de trois mois, en 1988, 30.000 résistants iraniens qui avaient été déjà condamnés par la justice iranienne, la même justice, les uns pour trois ans, les autres pour dix ans, les autres pour huit ans, à des peines de prison. Et d’une minute à l’autre, ces peines de prison ont été commuées en peine capitale et exécutées. En fin de compte, il y a eu 120.000 opposants exécutés.

Alors quand on veut alerter l’opinion internationale sur la situation d’Achraf, nous ne sommes pas du tout en train de faire une révélation ou un procès d’intention ou bien de crier au loup, et d’exagérer les choses pour sensibiliser. Non ! Nous ne sommes pas en face d’une évaluation d’un risque. Nous sommes en face d’une condamnation qui a été prononcée par la justice des mollahs, depuis 1988, une condamnation à mort de tout ce qui est opposant au régime des mollahs.

Donc il faut faire attention, parce que je l’ai entendu quelque part, dans des bouches soi-disant autorisées, c’est un peu un risque de procès d’intention que nous serions en train de faire au gouvernement irakien. Le problème n’est pas avec le gouvernement irakien. Le problème est avec le gouvernement iranien, car le gouvernement Maliki n’est que l’exécutant de la politique du gouvernement iranien, dont la justice a condamné urbi et orbi tous ceux qui s’opposent à son gouvernement, et en particulier les habitants d’Achraf.

Alors quand nous alertons la communauté internationale, ce n’est pas sur un danger potentiel, c’est sur une sûre exécution des gens d’Achraf si la communauté internationale n’assurait pas leur protection. La communauté internationale, pas le gouvernement irakien. Le gouvernement irakien n’est qu’un exécutant. Et le gouvernement irakien, je lui fais zéro confiance, non pas seulement parce qu’il a déjà violé un engagement signé avec les Américains d’assurer leur protection. Et qu’au lieu d’assurer la protection des gens d’Achraf, il a été le premier à les agresser. Donc, c’est un gouvernement qui, s’il dit maintenant, moi je les prends sous ma protection, on ne peut pas les croire. Et si on le croit, on devient complice.

Reagan disait dans le cadre, le président Reagan, quand il discutait avec les Soviétiques pour le problème du désarmement, il avait prononcé cette fameuse formule : Je fais confiance, mais je vérifie. Nous, s’il s’agit de vérifier, il sera trop tard pour vérifier, si les gens sont exécutés, pour le camp d’Achraf. Alors donc zéro confiance, parce que, d’un côté, nous avons une condamnation à mort prononcée depuis 1988 et qui a été exécutée chaque fois que l’occasion s’est présentée. Et deuxièmement, nous avons affaire à un gouvernement qui a lié, son sort à deux dictatures, une dictature religieuse qui est la dictature iranienne, et une dictature voisine à l’ouest, qui est la dictature syrienne, et qui traite cette question avec toutes les obstructions.

Et enfin, les arguments mêmes présentés par le gouvernement Maliki, quand il a fixé sa date du 31 décembre, ce sont des arguments qu’il dément lui-même. Quand il donne pour raison de l’expulsion des gens d’Achraf,  en invoquant la souveraineté du peuple irakien, c’est-à-dire cette présence, c’est une enclave étrangère, c’est une atteinte à ma souveraineté, je décide de vous expulser. Mais où ? S’il avait dit : je vous expulse en Alaska ou ailleurs, il n’y a pas de problème. Il veut les expulser dans un endroit désert, isolé, en Irak, c’est-à-dire toujours sous souveraineté irakienne. Et on voit bien que ce sont simplement des arguments de gens qui sont aux abois, en panique, et qui n’ont absolument aucune valeur juridique.

Et enfin, le deuxième point, je suis très satisfait des progrès considérables qui ont été faits, sur le plan international. Il y a fort peu de chance qu’on puisse réitérer avril 2011. Mais en supposant que ça soit réalisé, qu’on trouve une solution pour assurer la protection, et la seule protection possible, c’est soit Casques bleus, soit les États-Unis d’Amérique qui restent encore responsables moralement et politiquement et légalement de cette situation. Supposons que nous réussissions à avoir un sursis. Il faut que l’administration américaine prenne conscience qu’elle doit revoir la problématique iranienne. Tant que ce régime demeurera, il n’y a pas de solution pérenne à toutes les questions de sécurité, de stabilité et de démocratie, non seulement en Iran, mais même dans tout le monde musulman.

Et notamment, et en particulier, pour ce qui concerne le printemps arabe. Et là, vous comprenez mon réconfort quand je vois depuis trois ans le nombre d’anciens responsables américains, de très haut niveau, de grands juristes, être de plus en plus nombreux à tenir ce discours et à le lier, comme l’ont fait si justement les Congressmen américains en majorité, à une question d’Achraf égale à une question d’honneur pour les États-Unis d’Amérique.

Et enfin, en tant que simple citoyen du monde, je trouve qu’on ne voit pas assez, outre-Atlantique, quelle est la stratégie réelle des mollahs, vis-à-vis d’Achraf comme vis-à-vis de la résistance, la stratégie est de défier les États-Unis d’Amérique sur leur terrain. Et s’ils réussissent à faire ce qu’ils veulent en Irak comme ils le font actuellement, et si, à Dieu ne plaise, ils réussissent à faire un malheur à Achraf, il est clair que le leadership américain mondial sera très fortement atteint, et ça, ce n’est pas souhaitable pour nous en tant que citoyens du monde.

Et enfin, un dernier point. Un de mes prédécesseurs a évoqué le génocide, le crime et le regret demain. Cela m’a reporté à un film que j’ai vu, que certains d’entre vous ont vu, c’est Spielberg, il y a quinze ans, La liste de Schindler où un capitaine d’industrie qui a réussi à sauver des centaines de juifs du camp de la mort en Pologne ou en Allemagne. Et, le moment qui m’a bouleversé, c’était que, quand c’était fini, quand le régime nazi a été mis par terre, ce Schindler qui était … devait d’ailleurs recevoir le titre de Juste par la communauté juive, pleurait et disait : J’aurais pu en sauver plus. J’aurais pu en sauver plus.

Donc dores et déjà, la communauté internationale pleurera demain, parce qu’il y a des gens d’Achraf qui ont été tués, il y a des milliers, des dizaines de milliers qui ont été tués, il y a, maintenant où nous parlons ici en paix tranquillement, il y a des malades, des malades graves, des blessés qui souffrent, il y a toute une population qui souffre de la torture. Et je dis à la communauté internationale : Malheur à toi, demain tu pleureras de toute façon, dans toutes les situations tu pleureras de ne pas avoir sauvé assez de gens d’Achraf.