
La décision de l’Argentine de poursuivre le procès par contumace des suspects iraniens et libanais impliqués dans l’attentat de 1994 contre l’AMIA est plus qu’une étape juridique majeure : elle rappelle que, si le monde est obsédé par la stratégie de la corde raide de Téhéran en matière nucléaire, l’appareil terroriste extérieur du régime a souvent été marginalisé, et parfois favorisé, par des échanges de prisonniers et des accords à court terme. Il en résulte une culture d’impunité grandissante pour un régime maintes fois désigné par les services de sécurité occidentaux comme le principal État soutenant le terrorisme. À Buenos Aires, la cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Daniel Rafecas de poursuivre sans détention provisoire, mettant fin à trois décennies d’impasse. Ce message dépasse largement le cadre argentin : les affaires de terrorisme liées à la dictature cléricale et à ses intermédiaires peuvent progresser même lorsque les suspects sont protégés par une couverture politique, des manœuvres juridiques ou des considérations géographiques. La question est désormais de savoir si d’autres juridictions suivront.
Des affaires européennes récentes illustrent l’importance de ce point. La libération par la Belgique d’Asadollah Assadi – condamné pour avoir orchestré un attentat à la bombe en 2018 contre un rassemblement de l’opposition iranienne près de Paris – en échange d’un travailleur humanitaire détenu, et l’échange par la Suède qui a renvoyé Hamid Noury – condamné pour son rôle dans les massacres de 1988 – en Iran en échange de ressortissants suédois, ont montré à Téhéran que les prises d’otages et les complots extraterritoriaux peuvent être marchandés. Ces résultats influencent les calculs risque-récompense au sein d’un État sécuritaire qui associe renseignement, diplomatie et crime organisé pour produire des effets à l’étranger.
Ce qu’il faut savoir sur le réseau iranien de terroristes et d’espions dans l’UE
Les services de sécurité occidentaux sont devenus exceptionnellement explicites quant à la menace. Les autorités britanniques, néerlandaises, allemandes et américaines ont détaillé les opérations iraniennes ciblant des dissidents et des responsables, allant du cyberespionnage et de la surveillance à des assassinats et des enlèvements. Les enquêteurs espagnols enquêtant sur l’assassinat de l’ancien vice-président du Parlement européen, Alejo Vidal-Quadras, ont décrit un réseau criminel international lié à son opposition publique au pouvoir iranien. Il ne s’agit pas d’une série d’incidents isolés ; il s’agit d’un écosystème dans lequel les organes de l’État s’appuient sur des milices mandatées et des criminels de haut rang pour intimider leurs opposants, atteindre des cibles et tester les lignes rouges.
Le dossier nucléaire a monopolisé l’attention, mais l’affaire AMIA met en lumière une réalité parallèle : se concentrer sur les niveaux d’enrichissement tout en occultant la responsabilité du terrorisme extraterritorial fragilise les communautés et affaiblit la dissuasion. La justice argentine affirme en effet que les deux volets – nucléaire et terrorisme – doivent être traités conjointement pour garantir la cohérence de la politique. La doctrine de plus en plus souvent décrite par les enquêteurs est celle du déni externalisé : le régime recourt à des intermédiaires criminels pour masquer les directives de l’État. Si cette doctrine reste impunie, la « prochaine AMIA » n’est pas inévitable, mais elle n’est qu’à un échec sécuritaire près. C’est pourquoi les procédures par contumace sont importantes. Elles offrent un modèle aux juridictions confrontées aux États sanctuaires : faire avancer les dossiers, documenter les chaînes de commandement et démontrer que le temps et la distance ne mettront pas les suspects à l’abri des poursuites.
Il y a également une leçon politique à tirer pour les capitales qui ont eu recours à des accords ponctuels. Traiter les affaires de terrorisme et la diplomatie des otages comme des problèmes distincts a produit un équilibre pervers – condamnations virulentes, échanges discrets – qui favorise la coercition tout en affaiblissant les tribunaux et les enquêteurs qui ont obtenu des condamnations durement gagnées.
Il ne devrait y avoir aucun accord avec le terrorisme, point final. La diplomatie des otages et les complots extraterritoriaux doivent donner lieu à une politique unifiée, sans concessions : pas d’échanges, pas de paiements annexes, pas de relâchement de la pression. Les gouvernements devraient plutôt engager des poursuites avec toute la rigueur nécessaire, étendre la compétence universelle aux affaires et coordonner les sanctions automatiques pour chaque nouvelle détention ou complot : gel des avoirs, interdiction de voyager et poursuites pénales pour les fonctionnaires et leurs intermédiaires.
Les ambassades du régime iranien sont les principaux facilitateurs et la couverture opérationnelle du terrorisme d’État. Le cas d’Assadollah Assadi, troisième conseiller à l’ambassade d’Iran à Vienne, a démontré comment l’attentat à la bombe de 2018 contre le rassemblement du CNRI a été conçu et dirigé depuis l’intérieur du réseau diplomatique. Ces ambassades constituent l’ossature logistique, financière et de renseignement des opérations extraterritoriales, coordonnant les équipes et déplaçant le matériel sous protection diplomatique. Tant que ces bases opérationnelles ne seront pas fermées et que les agents affiliés ne seront pas expulsés et poursuivis, l’appareil terroriste du régime ne s’arrêtera pas.
Les forces de l’ordre devraient démanteler les réseaux qui les soutiennent : sociétés écrans, canaux financiers et autres.
Les gouvernements devraient fermer les ambassades du régime, qui servent de plateformes opérationnelles, et expulser ses « diplomates terroristes ». Parallèlement, les services de renseignement devraient renforcer la protection des communautés ciblées. Le message doit être clair : ceux qui dirigent, financent ou externalisent le terrorisme s’exposent à des mandats d’arrêt, à l’isolement et à de lourdes peines, et non à des négociations.