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Quatre mois après l’explosion catastrophique du port de Rajaei à Bandar Abbas, qui a fait plus d’un millier de morts et de blessés, la justice iranienne a enfin publié ses conclusions tant attendues. Cette annonce semble toutefois moins relever d’une tentative de responsabilisation que d’une dissimulation délibérée. La justice a désigné 21 ministères, agences et autorités locales comme responsables de la catastrophe d’avril 2025, tout en omettant totalement le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et les industries de défense affiliées, malgré les preuves de plus en plus nombreuses les liant directement à l’explosion.
Une catastrophe liée au stockage de carburant pour missiles balistiques
Selon les informations obtenues par le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), l’explosion s’est produite dans la section Sina de l’entrepôt de la société Banagostar, où étaient stockés des conteneurs remplis de perchlorate de sodium – un composé utilisé dans le combustible solide pour missiles balistiques. Banagostar est une filiale de Sepehr Energy Holding, elle-même sous le contrôle du ministère de la Défense et liée au programme d’armes stratégiques du CGRI. Sepehr Energy a été sanctionnée par l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du Trésor américain le 29 novembre 2023 pour son rôle dans la fourniture de matériaux pour le développement de missiles par Téhéran.
Malgré cela, ni le rapport judiciaire ni les médias d’État n’ont fait référence au carburant pour missiles, au CGRI ou à Sepehr Energy, mettant plutôt en cause une « mauvaise gestion bureaucratique » et un « manque de surveillance de la sécurité » de la part de diverses agences civiles.
Le pouvoir judiciaire se déresponsabilise
Le 9 septembre, Gholamhossein Mohseni-Ejei, chef du pouvoir judiciaire, a présenté les conclusions officielles : « Plusieurs institutions et individus ont été reconnus responsables de cet incident tragique… leurs dossiers seront réexaminés et justice sera rendue.»
🚨 Exclusive #Thread : Catastrophic explosions at #Iran’s Bandar Abbas Rajaei Port (#BandarAbbasExplosion) on April 26–27 devastated the area.
Eyewitnesses told #en_simayazadi: "the regime censors the truth; the port has turned into a graveyard."pic.twitter.com/OPlphebcUd— SIMAY AZADI TV (@en_simayazadi) 28 avril 2025
Le rapport cite des facteurs tels que « le stockage inadéquat de matières dangereuses », « l’absence de contrôles environnementaux », « la mauvaise coordination interinstitutionnelle » et « l’importance des priorités économiques sur la sécurité ». Parmi les 21 entités citées figuraient le ministère des Routes et du Développement urbain, le ministère de la Santé, le ministère de l’Industrie, des Mines et du Commerce (MIMT), l’Organisation portuaire et maritime, les Douanes, la Banque centrale et plusieurs administrations provinciales.
En rejetant la faute sur l’inefficacité bureaucratique, le pouvoir judiciaire a de fait exonéré le CGRI et le ministère de la Défense, malgré leur contrôle direct sur les opérations de Banagostar et l’expédition de propergols de missiles via le port de Rajaei.
Une dissimulation soutenue par les médias d’État
La couverture médiatique officielle des conclusions de la justice a été uniforme et étroitement coordonnée, témoignant d’une volonté orchestrée de soustraire l’appareil sécuritaire du régime à tout contrôle. Aucun média affilié à l’État n’a reconnu le rôle du stockage de carburant pour missiles, malgré des preuves corroborantes provenant de multiples sources indépendantes.
En désignant les ministères civils comme boucs émissaires tout en dissimulant l’implication de l’armée, Téhéran cherche à maintenir un déni plausible de ses programmes d’armement clandestins et à éviter de révéler la négligence du CGRI.
Colère publique croissante, craintes accrues du régime
L’explosion de Bandar Abbas a dévasté des familles entières, dont beaucoup sont toujours sans réponse quant au sort de leurs proches disparus. Si la justice ne fait état que de 58 morts, des rapports locaux et des sources indépendantes suggèrent que le bilan réel dépasse largement le millier, avec un grand nombre de travailleurs non déclarés – dont beaucoup originaires du Sistan-Baloutchistan – parmi les victimes.
Ce manque de crédibilité grandissant a exacerbé le ressentiment de l’opinion publique. Les responsables craignent qu’un regain d’indignation face au secret gouvernemental, à la corruption et au mépris des normes de sécurité ne déclenche de nouvelles manifestations dans une société déjà instable, confrontée à une inflation galopante, à des pénuries d’énergie et à une défiance généralisée envers les institutions étatiques.
Le refus de Téhéran d’impliquer le CGRI ne reflète pas seulement un protectionnisme interne: il souligne la dépendance du régime à son appareil militaire et sécuritaire pour se maintenir au pouvoir. Dénoncer le CGRI révélerait non seulement son implication dans des activités illégales de missiles balistiques, mais risquerait également de démoraliser les forces mêmes chargées de défendre le système contre d’éventuels soulèvements.

