
L’establishment clérical iranien exprime ouvertement sa crainte que la prochaine vague de troubles ne dépasse le simple cadre des manifestations et ne menace la survie même du système. Ces derniers jours, de hauts responsables, les médias proches des Gardiens de la révolution et des personnalités économiques de l’État ont décrit un État en faillite, instable et « en guerre », tandis que les forces de sécurité déploient de nouvelles structures de contrôle au niveau des quartiers, conçues pour gérer les « incidents sociaux » sans soutien extérieur. Le message est clair : le régime ne croit plus en sa capacité à absorber un nouveau choc national.
« Voulez-vous que je mente pour que vous vous sentiez bien ? »
Le 25 octobre 2025, le président du régime, Masoud Pezeshkian, a déclaré aux responsables de l’Azerbaïdjan occidental que l’État était de fait insolvable. Il a affirmé qu’il y avait environ « six millions de milliards de tomans » (environ six quadrillions de tomans) de projets inachevés « et pas d’argent », ajoutant que même si le gouvernement ne lançait aucun nouveau projet et se concentrait uniquement sur les projets en cours, « il nous faudrait encore 15 ans de travail ». Face aux revendications locales, il a demandé : « Voulez-vous que je mente pour que vous vous sentiez bien ? Laissez-moi dire la vérité et vous vous mettrez en colère. »
Pezeshkian a qualifié cette situation de « pire situation de crédit », citant des prévisions budgétaires pétrolières complètement faussées par des prix proches de 51 dollars le baril au lieu des 70 dollars prévus, ce qui représente « un déficit de 10 milliards de dollars ». Il a admis que l’État faisait peser le coût des services de base sur les citoyens – « nous avons construit les écoles avec l’argent du peuple ; nous n’avons pas d’argent » – et a résumé la situation sans détour : « La réalité est que nous sommes en guerre et sous sanctions », tout en refusant de « donner trop de détails » de peur que cela ne soit « exploité ».
Contrôle de quartier, bloc par bloc
Le 23 octobre, le chef de la sécurité provinciale d’Ispahan, Mojtaba Fada, a dévoilé un « centre de commandement de quartier » – un réseau dirigé par les Basij pour gérer les crises localement. Chaque base, a-t-il déclaré, doit tenir un « dossier » sur les habitants, les services et les équipements de son quartier afin que « en temps de crise, comme en cas de guerre ou d’incidents sociaux, elle puisse gérer la situation sans dépendre d’institutions extérieures ». Il a qualifié ce projet de « nécessité stratégique pour l’avenir de l’État » et a averti que « toute voix » semant la division au sein de la société ou de l’État « est un écho de l’ennemi ». Il ne s’agit pas d’une police conventionnelle ; c’est une architecture de contrôle urbain préventif conçue pour faire face aux troubles.
Le même jour, le quotidien pro-gouvernemental Jahan-e Sanʿat a décrit un paysage social « explosif ». Le chômage des jeunes à long terme, a-t-il averti, engendre le « désespoir » et les « troubles sociaux », des conditions qui « peuvent alimenter les émeutes et les troubles sociaux ». La jeune génération, a-t-il écrit, reproche aux systèmes économiques et éducatifs de bloquer son avenir, créant une « profonde fracture pleine de ressentiment entre les générations ». Le journal a qualifié la coexistence de pénuries de main-d’œuvre et de chômage massif des jeunes de « signal d’alarme sérieux pour la sécurité nationale ». Lorsque les médias d’État s’expriment ainsi, cela reflète une évaluation interne selon laquelle la stabilité est menacée.
Politique de la faim et mathématiques de l’effondrement
Les tensions économiques s’intensifient. Le 23 octobre, l’ancien ministre du Travail, Hossein Kamali, a déclaré à l’agence de presse publique Eqtesad News que près de 60 % des retraités de la sécurité sociale vivent sous le seuil de pauvreté, même selon le critère (contesté) du gouvernement, fixé à 6 128 739 tomans par personne – ce qui porterait le seuil de pauvreté pour un ménage de quatre personnes à près de 24 millions de tomans, contre une pension minimale d’environ 12 millions de tomans. Il a critiqué la manipulation des chiffres qui masque la pauvreté au lieu de la résoudre.
La même semaine, Reza Kangari, président du syndicat des grossistes en produits alimentaires, a indiqué que l’arrêt des importations de riz pakistanais avait triplé les prix de gros, les faisant passer à 175 000-185 000 tomans le kilo – un coup dur pour les produits de première nécessité. Le 22 octobre, Khabar Online a résumé les prévisions internationales : une inflation des prix à la consommation supérieure à 40 % cette année et l’année prochaine, et potentiellement de 50 à 60 % en 2026, parallèlement à une croissance négative. Cette combinaison – baisse de la production et accélération de l’inflation – est un facteur classique de mécontentement social.
Parallèlement, le langage inhabituellement direct de Pezeshkian – « nous sommes assis sur du pétrole et du gaz, mais nous avons faim » – a indigné les conservateurs. Le quotidien Javan, proche des Gardiens de la révolution, l’a réprimandé, exhortant le président à cesser de répéter le mot « faim » et à « renforcer la justice distributive » tout en utilisant sa tribune pour projeter « force, confiance en soi et optimisme ». Cette critique révèle la priorité du courant sécuritaire : contrôler le discours, et non les prix. Reconnaître la misère est considéré comme une atteinte à la sécurité.
Se préparer à ce qu’ils anticipent
Dans l’ensemble, les signaux de la semaine montrent un système qui se prépare à un soulèvement qu’il juge plausible. Le président déclare aux élites provinciales que le trésor public est vide et que des décennies de promesses sont irréalisables. Les commandants provinciaux mettent en place des centres Basij autonomes pour réprimer les « incidents sociaux » sans attendre d’ordres. Les médias et les responsables d’État mettent en garde contre des « émeutes » menées par les jeunes. D’anciens hauts fonctionnaires reconnaissent que la plupart des retraités vivent sous le seuil de pauvreté. Et les rapports officiels normalisent désormais des scénarios à moyen terme d’inflation de 50 à 60 % sans croissance pour atténuer les difficultés.
Le régime n’agit pas comme s’il pouvait apaiser la colère publique par des mesures politiques. Il agit comme s’il devait résister à une confrontation – rue par rue, mosquée par mosquée – car le prochain choc pourrait passer de la simple protestation à une menace existentielle pour le régime.

