
Les dignitaires religieux au pouvoir en Iran ne cessent de s’acharner sur un adversaire : l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI/MEK). Entre les récentes déclarations officielles d’Ali Shamkhani, les attaques des médias proches du CGRI contre le ministère des Affaires étrangères et les vieilles doléances des médias du régime contre la France et l’Europe, un fil conducteur se dessine : les dirigeants de Téhéran continuent de considérer l’OMPI comme une menace centrale, et cette obsession continue de façonner la diplomatie, les luttes intestines et le récit des crises passées, de la guerre Iran-Irak au vol PS752.
Les regrets nucléaires de Shamkhani
Dans une interview publiée le dimanche 12 octobre 2025, Ali Shamkhani, désormais présenté comme le conseiller politique du Guide suprême et ancien ministre de la Défense, a déclaré qu’il aurait souhaité se doter de l’arme nucléaire à la fin des années 1990. Interrogé sur son intention de le faire s’il était de retour à ce poste, il a répondu : « Oui, je le ferais certainement.» Il a qualifié l’ère Khatami d’inhospitalière à de tels projets, ironisant sur le fait que quiconque prônant un « dialogue des civilisations » ne courre pas après la bombe. Ces répliques filmées contrastent mal avec des années de rhétorique officielle niant toute intention militaire ; elles mettent également en lumière la stratégie de double jeux du régime : conciliation à l’étranger, coercition à l’intérieur.
La même interview contient un autre aveu explosif. À propos de la destruction du vol PS752 d’Ukraine International Airlines (8 janvier 2020), Shamkhani déclare : « Je le savais, et le président le savait.» Il raconte avoir appris la nouvelle « dans les trois jours » et avoir immédiatement téléphoné au président Hassan Rohani pour l’informer que « nos propres forces » avaient tiré le missile. Cette version contredit le récit ultérieur de Rohani, en février 2020, lorsqu’il a insisté à la télévision d’État : « La première fois que j’ai été officiellement informé, c’était à 16 h 30 le vendredi » – le 10 janvier 2020 – après quoi il a insisté pour qu’une annonce soit faite.
Cet épisode concorde également avec la déclaration du Secrétariat du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) du 4 février 2020, qui, citant une fuite à la télévision ukrainienne, affirmait que la tour de contrôle et l’Organisation de l’aviation civile étaient immédiatement au courant, et que « par sa chaîne de commandement, Rohani était au courant le jour même », les autorités ayant mené une vaste opération de dissimulation jusqu’à son aveu réticent 72 heures plus tard. Cet épisode demeure un exemple de méfiance publique et un cas d’école sur la façon dont le régime gère la vérité lorsque son appareil de sécurité est impliqué.
Plaies de 1988 : « Aujourd’hui Kermanshah, demain Téhéran »
Shamkhani revient également sur la phase finale de la guerre, rejetant le cliché selon lequel « les Américains ont mis fin à la guerre ». Il évoque plutôt l’élan du champ de bataille contre Téhéran en 1988, faisant écho aux mémoires de Javier Pérez de Cuéllar selon lesquels « en avril 1988, la vague de nos défaites a commencé ». Surtout, Shamkhani souligne l’avancée de l’OMPI « jusqu’aux hauteurs de Mersad », rappelant qu’il était présent et a entendu le chant : « Aujourd’hui Mehran, demain Téhéran ». Le choix de mettre cet épisode au premier plan, plutôt que l’armée irakienne ou la dynamique des superpuissances, souligne à quel point l’offensive de l’OMPI de 1988 continue d’alimenter la perception de la menace au sein du régime.
La peur de l’OMPI colore également les conflits factionnels actuels. Le 6 octobre 2025, Bulletin News, média proche du CGRI, a accusé l’équipe économique du ministère des Affaires étrangères (dont le vice-président Hamid Qanbari) d’avoir « provoqué une crise psychologique au cœur du processus décisionnel ». Il les accuse d’utiliser « les mêmes » tactiques d’information que l’OMPI, à savoir la publication de « détails décourageants provenant de l’intérieur du gouvernement ». Un passage se concentre sur la description sombre des effets des sanctions par Qanbari – « les transferts financiers sont impossibles, l’assurance commerciale est interdite et la clé de l’économie iranienne a été jetée » – et qualifie cette franchise d’œuvre d’un « ennemi caché » qui pousse la société au désespoir pour imposer des concessions politiques. Le message est sans équivoque : reconnaissez le coût des sanctions et vous serez peint aux couleurs de l’OMPI.
Un député, Mohammad-Hassan Asafari, en rajoute en fustigeant la législation relative au GAFI (CFT), la qualifiant de « légalisation de la pression » et affirmant qu’« il est aujourd’hui prouvé que les Moudjahidine du peuple sont un courant terroriste », tout en se plaignant que les capitales étrangères refusent de les répertorier. Le réflexe est de sécuriser le débat économique et d’étouffer la divulgation technocratique en le liant à l’OMPI – une fois de plus, en traitant l’organisation comme l’adversaire national suprême du système.
Fixation sur la France et griefs de longue date
Le 8 octobre 2025, les médias étudiants-Basij du régime reviennent sur un grief familier : la France, « premier soutien » de l’OMPI depuis le début des années 1980, associe Paris aux rassemblements parisiens du groupe pendant la guerre et, fait révélateur, se plaint des décisions de justice européennes et des ministres des Affaires étrangères de l’UE (2009) qui ont écarté l’OMPI du terrorisme.
Il recadre même les descentes de police et les arrestations massives du 17 juin 2003 en France comme un simple prélude à une éventuelle « approbation » des libérations – preuve, selon eux, de la duplicité européenne. Cette obsession relève moins de l’histoire juridique que de la politique : pour Téhéran, les décisions judiciaires européennes constituent un coup historique porté au mirage du régime consistant à enchaîner son principal mouvement d’opposition.
Enfin, le 29 septembre 2025, le député Alireza Nabavian a affirmé : « Notre dossier a été porté devant l’AIEA et le Conseil des gouverneurs en 2002 avec l’aide des Moudjahidine du peuple », avant d’affirmer qu’il y a eu « certainement » infiltration. L’importance n’est pas probante ; elle est psychologique. Même si les responsables se vantent de leurs prouesses nucléaires, ils attribuent l’internationalisation du dossier iranien à l’OMPI, plaçant ainsi le groupe au cœur du plus ancien discours de griefs du régime.
Pourquoi c’est important
Pris ensemble, ces documents révèlent un régime hanté par l’OMPI, de sa mémoire de 1988 à sa façon de contrôler le discours sur les sanctions en 2025. Les répliques cinglantes de Shamkhani, « J’aurais aimé que nous l’ayons fait » et « Oui, je le ferais certainement », mettent fin à des années de déni et illustrent sa stratégie bilingue. Sa chronologie PS752 accentue le manque de crédibilité par rapport à l’émission de Rohani du 16 février 2020 et renforce la version du CNRI du 4 février 2020 selon laquelle Téhéran a immédiatement su et a choisi de dissimuler l’affaire.
Par ailleurs, la tentative des médias proches du CGRI de présenter les technocrates du ministère des Affaires étrangères comme proches de l’OMPI illustre le coût politique de la reconnaissance du véritable impact des sanctions – asphyxie des devises, coupures d’assurance, paralysie des échanges commerciaux – et reflète une direction qui se prépare aux troubles en qualifiant la transparence de trahison. Le dossier de plainte de la France et la plainte de Nabavian auprès de l’AIEA ont la même fonction : externaliser la responsabilité et maintenir l’OMPI au cœur de l’univers explicatif du régime.
Il en résulte un portrait d’un système politique toujours marqué par la peur d’une opposition organisée, la démoralisation en son sein et des contradictions chroniques entre ce qu’il dit au monde et ce que ses dirigeants affirment désormais haut et fort.

