vendredi, mars 29, 2024
AccueilActualitésActualités: Iran RésistanceIran : Qu'est-ce qui doit prévaloir : la justice ou les intérêts?...

Iran : Qu’est-ce qui doit prévaloir : la justice ou les intérêts? Et qui en paye le prix élevé ?

Par Sid-Ahmed Ghozali, ancien Premier ministre algérien 
 
Asharq Al-Owsat, 27 mars – En tant que citoyen arabe et ancien responsable politique algérien, je m’intéresse à ce qui se passe entre les pays occidentaux en général et les pays européens en particulier d’une part et le monde arabe et musulman d’autre part. Par conséquent, je m’intéresse à ce qui se passe en Iran et je suis avec attention les activités de l’opposition iranienne et des moudjahidine du peuple.

Sans doute, le lecteur arabe sait-il que l’étiquette de terrorisme est un instrument efficace pour imposer des restrictions aux activités d’un mouvement d’opposition. Et c’est le cas de l’opposition iranienne. A cause de l’inscription du nom de l’opposition iranienne dans les listes terroristes des Etats-Unis et de l’Europe, les activités de ce mouvement d’opposition ont été restreintes et il ne peut effectuer ses devoirs politiques, culturels et humains. Depuis un certain temps, je suis l’évolution politique et judiciaire de ce dossier et je voudrais relater ici pour les lecteurs arabes ce que j’ai observé.
    
Le 6 mars dernier, j’ai assisté à Luxembourg à une séance de la Cour Européenne de Justice chargée de statuer sur la plainte déposée par l’organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI) contre l’Union Européenne pour avoir iscrit son nom sur la liste des organisations terroristes. Ce que j’ai observé dans cette audience mérite d’être relaté, pour en tirer des leçons politiques, juridiques et humaines. Car dans cette affaire, un groupe d’opposition d’un pays du tiers monde, se basant sur des principes, a réussi à défier l’Union Européenne en général et la Grande Bretagne en particulier, et déposer plainte contre elles.

J’avais aussi assisté le 6 février 2008 à une autre audience de ce même tribunal. Le tribunal était le même, la plainte était la même, les deux parties du contentieux étaient les mêmes, et ce qui s’est passé lors de ces deux séances est assez semblables. Dix mois après la dernière audience de la Cour sur ce sujet, le tribunal a rendu son arrêt et a affirmé que le nom de l’OMPI devait être retiré de la liste des organisations terroristes de l’Union Européenne. L’arrêt de la Cour a été explicite et étayé, le texte de cet arrêt précisait que cette décision du tribunal était rétroactive et annulait la décision prise par l’Union Européenne dans ce domaine. La dernière partie du jugement ordonnait à l’Union Européenne de payer les quatre cinquièmes des frais de procédures et d’avocats. Ce verdict ne laissait aucun doute que l’Union Européenne retirerait le nom de l’OMPI de la liste noire. Or, nous avons observé avec une grande surprise que l’Union Européenne ne s’est pas conformé à la décision de la Cour et a poursuivi une politique d’atermoiement. L’UE déclarait par exemple que ce verdict ne concernait pas la dernière décision, puisqu’elle avait été prise en mai 2006 (c’est à dire entre la date de la première audience en février 2006 et la date du verdict de décembre 2006); l’UE déclarait par ailleurs que le tribunal n’avait pas étudié le fond de la question concernant « la nature terroriste » de l’OMPI et avait juste étudié les questions procédurales. L’UE ajoutait qu’elle allait corriger ses procédures pour se conformer au jugement.

Par ailleurs, plusieurs centaines d’éminents juristes internationaux, dont des personnalités comme Lord Slynn of Hadley, ancien président de ce tribunal, ont expliqué lors d’un séminaire que l’arrêt de la Cour était une révolution dans le droit européen puisqu’il définissait et corrigeait la procédure d’inscription des organisations et des personnes sur la liste du terrorisme. Ces juristes ont souligné que l’Union Européenne devait se conformer au jugement de la Cour et retirer le nom de l’OMPI de la liste noire. Plus de mille parlementaires de divers pays européens ont publié une déclaration dans laquelle ils apportaient leur soutien à l’arrêt de la Cour et demandaient le retrait du nom de l’OMPI de cette liste. De même, un certain nombre de commissions parlementaires, notamment la commission des Lois du parlement néerlandais, la Commission des Affaires étrangères du parlement italien et la Commission des  Affaires européennes du parlement danois ont officiellement demandé le retrait du nom de l’OMPI de la liste terroriste.

Par la suite, plusieurs personnalités politiques de pays européens, dont Tony Blair, ancien premier ministre britannique, Angela Merkel, la chancelière allemande, José Manuel Barroso, le président de la commission européenne et Javier Solana, le chef de la diplomatie de l’Union européenne, ainsi que d’autres ministres des Affaires étrangères (de France, de Belgique et des Pays Bas) ont affirmé que les gouvernements européens n’étaient pas prêts à mettre en application cet arrêt de la Cour.
 
J’ai rencontré un grand nombre d’ambassadeurs de pays européens auprès de l’UE à Bruxelles, notamment les ambassadeurs allemand, danois, polonais, tchèque et Lituanien et je leur ai expliqué que refuser d’appliquer cet arrêt signifierait que les gouvernements européens ne respectent pas la loi. Etant donné que l’Union Européenne sans ses fondements juridiques n’existerait pas, les conséquences d’un tel comportement de l’UE seraient graves. Par exemple, l’UE essaye de créer une union avec les pays riverains de la méditerranée, une telle union ne peut qu’être basée sur des principes juridiques. Si l’UE ne respecte pas la loi chez elle, que restera-t-il des fondements sur lesquels cette nouvelle union doit être créée. J’ai notamment rencontré Franco Fratini, le président du Comité de sécurité et de justice au sein de la commission européenne et je lui ai expliqué les conséquences d’un refus de la mise en application de ce jugement. Un grand nombre de personnalités politiques, des membres du Parlement européen et des députés de parlements nationaux de divers pays européens, mais aussi des juristes ont été en contact permanant avec les responsables européens pour apporter des éclaircissements à ce sujet. Malheureusement, nous n’avons pas pu inciter l’UE à se conformer à l’arrêt de la Cour. Par la suite, le conseil des ministres de l’écologie des pays de l’UE, dans une réunion en juillet 2007, a établi une nouvelle liste terroriste qui contenait de nouveau le nom de l’OMPI.

Tout a recommencé à zéro et cela a abouti à l’audience que j’ai évoquée au début de cet article, c’est-à-dire à la séance du 6 mars 2008 de la Cour européenne de justice à Luxembourg.
 
Ce qui s’est passé lors de cette séance prouvait encore une fois que la position des moudjahidine et leurs avocats étaient justes. Et la partie adverse (c’est-à-dire les avocats de l’Union européenne et de l’Angleterre, accompagnés par les représentants du ministère britannique des affaires étrangères, ceux de la Commission européenne et du gouvernement des Pays-Bas) n’ont pu répondre aux questions du juge sur les raisons de la non mise en application du précédent arrêt de la Cour et sur les raisons du maintien du nom de l’OMPI sur la liste terroriste. Ils n’ont pas non plus répondu à la question concernant le verdict rendu par un tribunal spécial en Angleterre qui le 30 novembre 2007 avait souligné la nécessité de retirer le nom de l’OMPI de la liste terroriste en Angleterre. Etant donné que Londres était le gouvernement européen qui avait demandé l’inscription du nom de l’OMPI sur cette liste, le verdict annulant cette décision britannique montrait une fois de plus qu’il n’y avait aucune raison que cette situation perdure au niveau de l’UE.

Il est nécessaire de donner ici davantage de détails sur l’arrêt rendu par le tribunal britannique. A l’issue d’une audience qui a duré plus d’une semaine, ce tribunal a rendu son jugement dans un document de 144 pages qui contenait 362 articles. Avec cette différence que la plainte n’a pas été déposée par l’OMPI, mais par 35 parlementaires britanniques, de la Chambre des Lords et de la Chambre des Communes. Le jugement stipulait que le ministère de l’intérieur devait donnait au parlement britannique un rapport sur les modalités de la mise en application de ce jugement. Le gouvernement britannique a demandé au tribunal de réexaminer ce dossier, mais la Cour a rejeté cette demande. Par la suite, le gouvernement britannique a demandé le renvoi du dossier en appel. La Cour d’appel n’a pas encore rendu son verdict, mais les audiences qui ont eu lieu le 18 et le 20 février dernier et d’autres signes laissent supposer que le verdict sera encore une fois favorable à l’OMPI.

Donc, en ce qui concerne la dimension juridique de cette affaire, les choses sont très claires. Cependant, la grande question reste la suivante: pourquoi l’UE refuse-t-elle de se conformer au jugement de sa propre justice ? Est-ce que l’UE peut poursuivre cette politique, surtout dans le cas où le jugement de la Cour serait encore favorable au moudjahidine?

Je pense que les gouvernements européens ne pourront pas indéfiniment continuer cette politique de l’autruche, d’autant plus que pendant des années les Moudjahidine ont fait preuve de beaucoup de patience, ont suivi cette affaire par des voies légales et plusieurs jugements puissants ont été rendus en leur faveur. Je veux dire qu’au final, le gouvernement britannique et l’UE seront obligés de se conformer aux jugements des tribunaux.

L’Iran va sans doute vers un changement. L’histoire de l’Iran et du peuple iranien mérite que ce jugement ait lieu. Et le seul changement envisageable pour lequel nous devons œuvrer, c’est un changement démocratique réalisé par le peuple iranien. Les seuls qui appellent à ce changement, qui œuvrent pour ce changement et qui sont capables de conduire ce changement, sont les Moudjahidine du peuple et la Résistance iranienne. Tant que l’Occident mettra des obstacles devant les activités de ce mouvement et lui imposera des restrictions, l’Occident empêchera la réalisation de ce changement. Il ne fait aucun doute que le principal obstacle que l’Occident a mis devant les activités de la Résistance iranienne et de l’OMPI, c’est l’inscription du nom de cette organisation sur les listes terroristes américaine et européenne et les tentatives pour empêcher que leur nom soit retiré de ces listes.

Même au cas où l’UE accepterait dans le futur de mettre en application le jugement de la Cour concernant le retrait du nom de l’OMPI de cette liste, qui payera le prix de la non application de ce jugement pendant deux ans ? Le coût de cette politique a été très élevé, non seulement pour les moudjahidine du peuple et la Résistance iranienne, mais aussi pour le peuple iranien. C’est un prix payé non seulement par le peuple iranien, mais aussi par le peuple irakien en particulier et les peuples des pays arabes et les pays du monde en général.

On ne va pas entrer dans les détails de ce que le peuple iranien a subi ces deux dernières années, mais je vais en souligner quelques points, durant les deux dernières années:

– Plusieurs centaines de personnes ont été pendues dans différentes villes iraniennes. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont été arrêtées sous prétexte d’infraction au code vestimentaire ou n’avaient pas respecté les lois en matière des mœurs.

– Chaque année, plus de 8 millions de cas de ce type sont présentés aux tribunaux en Iran. 

– Plus de 105 milliards de dollars de l’argent du peuple iranien ont été dilapidés par le régime en place.

– Plus de 40.000 personnes ont été tuées lors d’accidents de la route et dans ce domaine, l’Iran bat tous les records du monde. L’AFP a déclaré que durant les cinq dernières années, plus de 100.000 personnes ont été tuées sur les routes d’Iran.

– Le régime iranien est avancé dans ses projets de fabrication de l’arme nucléaire. Face à la communauté internationale, ce régime continue à se montrer intransigeant. Lorsque le régime iranien voit que l’occident ne respecte même pas ses propres lois, maintient la principale opposition de ce régime sur la liste terroriste, au lieu d’y inscrire le nom de ce régime, le régime iranien comprend qu’il n y a pas de volonté politique forte pour exercer des pressions sur lui dans le domaine nucléaire. Surtout que le régime se souvient que ce sont les Moudjahidine du peuple qui ont fait les premières révélations sur ses projets nucléaires secrets.