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Irak – La cause perdue de la démocratie !

Par Struan Stevenson

Huffington Post.co.uk, 9 février Je viens tout juste de regarder les atroces photographies des six réfugiés et demandeurs d’asile innocents massacrés au camp Liberty, à l’ouest de Bagdad. Déchiquetés et carbonisés par l’explosion pendant qu’ils dormaient, les cinq hommes et une femme étaient des cibles faciles lorsque 35 roquettes et mortiers se sont abattus sur leur campement bondé aux allures de prison à 05h45 le 9 février. Plus de 100 autres résidents du camp ont été grièvement blessés. Il s’agissait d’une attaque meurtrière aussi inévitable qu’elle aurait pu être évitée.

Depuis que les premiers membres de l’opposition iranienne de l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI) ont été forcés de quitter leur foyer dans le camp d’Achraf il y a plus d’un an, avec plusieurs autres parlementaires et avocats représentants de l’Ompi, nous avons mis en garde contre leur vulnérabilité face à une attaque. Le représentant spécial de l’ONU en Irak – Martin Kobler – nous a assuré qu’il n’y avait rien à craindre, que le camp Liberty était un havre de paix. Son patron, le Haut-commissaire de l’ONU Antonio Guterres m’a assuré lors de deux rencontres séparées à Genève que ces personnes seraient interrogées individuellement par l’ONU, obtiendraient le statut de réfugié et seraient ensuite envoyées dans des pays sûrs groupe par groupe.

Me fondant sur de telles assurances, j’ai convaincu les résidents d’Achraf d’aller au camp Liberty, en dépit du fait qu’ils étaient insultés et maltraités, privés de la plupart de leurs biens et entassés dans un campement pollué et délabré de seulement un demi kilomètre carré de taille – 80 fois plus petit qu’Achraf. Néanmoins, nous avons reçu l’assurance que Liberty serait uniquement un foyer à court terme – un Lieu de Transit Temporaire dans le jargon de l’ONU – jusqu’à ce que les États-Unis et l’ONU puissent leur trouver de nouveaux foyers où les envoyer en sécurité. Ayant entassé 3100 personnes dans ce camp, les États-Unis et l’ONU se sont rapidement lavé les mains de toute l’affaire et ont abandonné ces innocents, hommes et femmes, à leur sort.

J’étais censé me rendre à Bagdad le 10 février pour y rencontrer de hauts membres du gouvernement irakien. Une visite au camp Liberty figurait en priorité de mon programme. Le Parlement européen n’a pas autorisé ma visite à la dernière minute en raison de la détérioration de la sécurité. Mais il ne peut pas y avoir de coïncidence avec mon dernier séjour à Bagdad, en avril 2011, lorsqu’un un horrible massacre a eu lieu au camp d’Achraf quelques jours seulement avant mon arrivée, lorsque les forces de sécurité irakiennes ont lancé un assaut armé meurtrier contre le camp, tuant 45 hommes et femmes et en blessant des centaines.

Cet événement est devenu le centre des rencontres houleuses que j’ai eu avec les ministres irakiens. J’ai même fait part des protestations du Parlement européen dans une rencontre personnelle avec le président Talebani. Mais comme on pouvait s’y attendre, le massacre d’Achraf est rapidement devenu le principal argument déployé aussi bien par l’ONU que les États-Unis tandis qui faisaient monter la pression pour fermer Achraf et transférer tous les résidents au camp Liberty. Ils ont capitulé face aux menaces de nouvelle violence et d’autre bain de sang par les Irakiens et de leurs parrains iraniens, et ont finalement signé un accord avec le gouvernement de Nouri al-Maliki, sans consulter les résidents d’Achraf. L’évacuation forcée d’Achraf a alors commencé.

À présent, un an plus tard et la visite que j’avais l’intention de mener à Bagdad il y a seulement quelques jours, est-ce une coïncidence qu’une fois encore un assaut violent contre l’OMPI ait provoqué des morts et des blessés ? Le camp Liberty se trouve au coeur d’un vaste complexe militaire irakien. On ne peut y parvenir sans passer avec succès cinq postes de contrôle militaires. Comment est-il possible que 35 missiles puissent être tirés avec une parfaite exactitude au milieu du camp Liberty sans la connaissance des autorités militaires irakiennes ? Était-ce le moyen du premier ministre irakien de rappeler à l’UE qu’il veut se débarrasser de ces personnes et que l’Occident ferait mieux de les faire transférer rapidement ou bien elles pourraient connaître toutes le même sort sanglant ?

Des théories du complot comme celle-ci ne me surprendraient pas le moins du monde. Il y a une inquiétude montante que l’Irak tombe une fois encore dans le chaos et une guerre civile potentielle, à peine une année après le départ du pays des dernières troupes américaines. Ces dernières semaines, des centaines de milliers d’Irakiens sont descendus dans les rues pour manifester dans six des principales provinces irakiennes, y compris à Bagdad. Ils sont révoltés contre ce qu’ils considèrent comme une dictature émergente menée par le premier ministre Nouri al-Maliki, que beaucoup voient comme une marionnette du régime iranien. Il a indigné l’Occident en autorisant le passage libre d’armes et de militaires de l’Iran à la Syrie via le territoire irakien, encourageant le régime vicieux d’Assad et prolongeant la brutale guerre civile en Syrie.

Le comportement de Maliki est tout à fait déplorable et cette dernière atrocité au camp Liberty demande une réponse immédiate et vigoureuse du nouveau secrétaire d’État américain, John Kerry, et de la Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères Catherine Ashton ainsi que du Haut commissaire de l’ONU pour les réfugiés Antonio Guterres. On doit dire à Maliki de retenir ses meurtriers. Le camp Liberty doit immédiatement recevoir le plein statut de réfugiés par l’ONU afin que ses résidents puissent obtenir le plus haut niveau possible de protection pendant que des arrangements sont faits pour leur retour rapide au camp d’Achraf légèrement plus sûr et leur prompt transfert hors d’Irak dans des pays sûrs.

Les Américains se sont retirés il y a un an, déclarant qu’ils laissaient derrière eux une démocratie en marche. En réalité, ils ont laissé derrière eux une cause perdue. Espérons qu’il ne soit pas trop tard pour que la paix et la stabilité soient instaurées et que les résidents innocents du camp Liberty soient sauvés de ce camp.

Struan Stevenson, eurodéputé
Président de la Délégation du Parlement européen pour les Relations avec l’Irak