
Le régime clérical au pouvoir en Iran est aux prises avec une profonde crise économique, une catastrophe qui couve lentement et qui est en grande partie le fruit de sa propre mauvaise gestion structurelle, d’une corruption généralisée et de priorités politiques malavisées. Loin d’être uniquement une conséquence des sanctions extérieures – un discours souvent avancé par Téhéran –, la situation difficile que connaît actuellement le peuple iranien découle directement d’une structure économique qui freine le développement et qui affame systématiquement le secteur public pour enrichir une élite politiquement influente.
Objectifs non atteints et corruption structurelle
Des décennies de planification économique n’ont pas porté leurs fruits, révélant un décalage fondamental entre les objectifs affichés par le régime et sa réalité. Comme indiqué en novembre 2025, l’économie iranienne est comparée à un serpent qui « mue, mais dont le venin reste mortel pour le peuple », son caractère fondamentalement hostile à l’État-providence demeurant intact. Depuis le quatrième plan de développement, le régime a constamment visé un taux de croissance économique annuel ambitieux de 8 %. Si ces objectifs avaient été ne serait-ce que partiellement atteints, le PIB de l’Iran dépasserait les 2 000 milliards de dollars, portant le revenu moyen par habitant à environ 24 000 dollars. Or, les chiffres officiels font état d’un PIB d’environ 451 milliards de dollars (aux prix constants de 2015), ce qui correspond à un revenu par habitant d’à peine 5 200 dollars. Cet écart abyssal est la « conséquence directe de la structure hostile à l’État-providence et au développement du régime du Velayat-e Faqih », qui a « anéanti toute possibilité de croissance durable ».
Un obstacle majeur réside dans l’émergence d’une « machine politico-capitaliste ». Le véritable secteur privé représente désormais moins de 15 % de l’économie, le reste étant contrôlé par des institutions quasi-gouvernementales et militaires non responsables devant le pouvoir. Cette structure est perpétuée par une corruption généralisée et légalisée, notamment sur le marché des changes. Alors que le taux de change officiel est fixé à 70 000 tomans pour un dollar américain, le taux du marché libre atteint 130 000 tomans. Cet écart considérable canalise des milliards de dollars de rente annuelle vers les cercles proches du pouvoir, tout en étouffant le secteur productif. De plus, l’économie s’est transformée en un marché d’importations, troquant le pétrole contre des produits chinois de piètre qualité qui nuisent à la production nationale et paralysent de fait les exportations hors pétrole.
Des vies sacrifiées au nom du calcul politique
Les choix financiers du régime privilégient souvent la loyauté politique et les objectifs stratégiques au détriment du bien-être, voire de la vie, de ses citoyens.
Dans une décision qualifiée d’« inhumaine » (novembre 2025), le gouvernement a supprimé le taux de change préférentiel pour l’insuline importée, mettant en danger la vie de millions de diabétiques. Le président du conseil d’administration de la Société iranienne des spécialistes en médecine interne, Iraj Khosravnia, a averti que l’application du prix du marché libre à ce « médicament vital » ferait exploser son coût, le rendant inabordable pour les patients aux revenus actuels. Sachant qu’environ neuf millions de personnes en Iran sont atteintes de diabète, l’arrêt potentiel du traitement à l’insuline pourrait entraîner « un coma ou des complications plus graves, voire une amputation ». Cette décision illustre une priorisation effrayante où la stabilité de la monnaie nationale est préservée au détriment d’un médicament considéré comme vital.
Parallèlement, le gouvernement a annoncé les premières mesures en vue d’une nouvelle vague de hausses des prix des carburants. L’introduction de l’essence premium importée à un prix de base de 65 800 tomans le litre – qui devrait atteindre 75 000 tomans après déduction des coûts de distribution (novembre 2025) – intervient six ans après les violentes manifestations de novembre 2019, déclenchées par une précédente hausse des prix. Les économistes préviennent que toute augmentation du prix des carburants, dans le contexte inflationniste actuel, aura un impact multidimensionnel sur les moyens de subsistance et la production à différents niveaux, affectant de manière disproportionnée les ménages les plus modestes. Le calendrier et la méthode employée témoignent d’une politique davantage soucieuse de gérer une insolvabilité budgétaire inévitable que de prévenir de nouvelles tensions sociales.
Fuite des cerveaux et coût humain du déclin
Le contexte économique et politique a provoqué une fuite massive des cerveaux. Cet exode des élites universitaires est devenu une « crise nationale » (novembre 2025). Gholamreza Zarifian, ancien vice-ministre des Sciences, a récemment révélé que 12 000 professeurs d’université ont quitté le pays ces dix dernières années, dont 60 % au cours des quatre dernières années seulement.
Cette fuite des cerveaux est alimentée par des difficultés financières et la répression politique. Alors qu’en Turquie ou aux Émirats arabes unis, on peut gagner entre 4 000 et 7 000 dollars par mois, un poste équivalent en Iran peine à atteindre 500 dollars. Cet écart salarial contraint les jeunes enseignants à cumuler plusieurs emplois, ce qui entraîne une baisse de la qualité de la recherche et de l’enseignement. Outre les pressions économiques, le climat d’insécurité et les licenciements massifs pour raisons politiques ont étouffé toute dissidence, et les experts estiment le coût annuel de cette crise à 50 milliards de dollars.
Cette tragédie humaine touche les couches les plus profondes de la société. Les politiques de contrôle des naissances du régime, qui restreignent l’accès à la contraception, ont aggravé la crise des avortements clandestins. Au cours du premier semestre de l’année persane en cours, plus de 36 800 avortements ont été enregistrés, dont seulement 636 pratiqués en milieu hospitalier. Selon les experts, jusqu’à 73 % de ces interventions ont lieu à domicile, et 94 % sont pratiquées par des femmes mariées. Confrontées à la précarité, les familles sont contraintes à des choix dangereux. Cette politique, dictée par des décrets idéologiques plutôt que par la réalité économique, a tragiquement piégé les femmes iraniennes dans un cycle de pauvreté et de grossesses non désirées.

