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Crises de l’eau, du carburant et de l’alimentation en Iran : un régime à court d’options

Crises de l'eau, du carburant et de l'alimentation en Iran : un régime à court d'options
Immenses incendies signalés dans les forêts d’Hirkania en Iran, novembre 2025

Le samedi 22 novembre 2025, l’Iran a connu une nouvelle journée de fermetures et de mesures improvisées. La pollution atmosphérique a contraint les écoles et les universités de Téhéran, du Khouzistan, de l’Azerbaïdjan oriental et occidental et de Markazi à fermer leurs portes ou à passer à l’enseignement en ligne. À Qazvin, un haut responsable parlementaire a averti que « si Téhéran a soif, Qazvin a faim » après que la province a perdu une part importante de ses droits d’eau. Dans le même temps, le gouvernement a commencé à distribuer une nouvelle catégorie d’essence importée « super », tandis que les médias d’État confirmaient que près de 438 000 personnes avaient été radiées des listes de bénéficiaires de subventions mensuelles.

Il ne s’agit pas de crises parallèles, mais d’une seule et même histoire politique : un État pris au piège entre l’effondrement financier et l’instabilité sociale, contraint de rationner les produits de première nécessité qu’il ne peut plus fournir et craignant les troubles que toute correction pourrait engendrer.

L’eau, symbole d’un échec de gouvernance

À Qazvin, le 20 novembre, le député Rouhollah Abbaspour, s’adressant directement au président du régime, Massoud Pezeshkian, a exposé sans détour la situation de la province. Avec une réduction de 280 millions de mètres cubes de ses droits d’eau, les ménages ne peuvent même plus satisfaire leurs besoins essentiels. « Le peuple résistera », a-t-il averti.

Abbaspour n’est pas un étranger à la situation. En tant qu’ancien directeur de l’Organisation de la planification et du budget, il a également admis que les prix des produits alimentaires de première nécessité avaient augmenté d’environ 100 % sur un an et que la suppression des 12 milliards de dollars restants d’aides préférentielles en devises étrangères pénaliserait avant tout les plus démunis, car la « deuxième phase » – la compensation – « n’arrivera jamais ». Son avertissement n’était pas un plaidoyer social, mais un signal adressé à ses pairs : supprimer les subventions sans protection sociale est désormais politiquement risqué.

La dégradation de l’environnement renforce ce sentiment d’abandon. Depuis début novembre, des parties des forêts hirkaniennes, près d’Elit dans la région de Chalous, brûlent sans que l’État ne réagisse. Le vice-président a suscité l’indignation générale en qualifiant la zone de simple « prairie », minimisant ainsi la catastrophe. Ce n’est qu’après plusieurs jours de critiques que l’Organisation pour l’environnement a confirmé l’envoi de deux avions bombardiers d’eau turcs, d’un hélicoptère et de renforts. Cet aveu a mis en lumière ce que la population constate déjà : un État incapable – ou peu disposé – à protéger les écosystèmes dont dépendent des millions de personnes.

Carburant, files d’attente et enjeux politiques liés aux prix

La crise du carburant révèle une impasse encore plus profonde. Le système de rationnement à deux niveaux en Iran (60 litres à 1 500 tomans et 100 litres à 3 000 tomans) est devenu intenable. La production nationale est estimée cette année à environ 107 millions de litres par jour, tandis que la consommation a dépassé les 127 millions. Le Parlement lui-même admet désormais qu’il est nécessaire d’importer quotidiennement au moins 20 millions de litres, une dépense qui ampute de plusieurs milliards de dollars un budget déjà déficitaire.

Le 19 novembre, le ministre du Pétrole a reconnu que ces importations pesaient lourdement sur le budget et a confirmé qu’un groupe de travail conjoint économique et sécuritaire travaillait désormais à l’élaboration de la politique des carburants. Selon l’agence Mehr, des experts proches du régime présentent le nouveau troisième tarif de l’essence – appliqué via les cartes de fidélité – comme une première étape vers un « réalisme » progressif des prix, tout en avertissant explicitement que des hausses soudaines pourraient provoquer un choc social. L’implication des services de sécurité dans la conception des subventions témoigne d’une crainte des réactions de la population, et non d’une confiance dans les réformes.

Pour un système hanté par le souvenir de novembre 2019, il s’agit moins d’une innovation politique que d’une tentative de faire discrètement grimper les prix, en espérant éviter toute explosion.

Pénurie et coercition

Face à la montée des pressions économiques, le ton politique se durcit. Les autorités judiciaires et sécuritaires présentent de plus en plus toute protestation contre les prix, les salaires ou les pénuries comme une menace à « l’ordre », promettant d’identifier et de punir les « perturbateurs ». Ces avertissements accompagnent les débats sur les subventions et les carburants avec la même prévisibilité que l’inflation.

Au sein de l’establishment technocratique, la critique se fait tout aussi coercitive. La mise en garde d’Abbaspour contre la suppression des changes préférentiels n’était pas un plaidoyer pour la protection sociale. C’était un rappel que la suppression des subventions sans compensation est un signe de faiblesse. Les données officielles, et même les analyses proches du régime, tendent à minimiser la gravité de la crise, mais même les chiffres édulcorés révèlent un mélange explosif de pénurie et de colère.

Parallèlement, le ministère de la Santé diffuse ses propres messages codés. Le 21 novembre, un haut responsable de la nutrition a déclaré que les aliments de première nécessité étaient devenus « rares et difficiles à obtenir » pour les 5 % les plus pauvres. Et que 35 à 45 % des familles consomment trop peu de produits laitiers et de légumes. Cette situation a été présentée non comme une urgence sanitaire, mais comme un avertissement aux autres ministères : une population affamée est politiquement imprévisible.

La réalité sur le terrain évolue plus vite que le discours officiel. Une inflation alimentaire supérieure à 60 %, conjuguée à la radiation de 438 000 personnes de la liste des bénéficiaires de subventions en un seul mois, a contraint de nombreuses familles à se passer de protéines, de produits laitiers et même de légumineuses. Les représentants des travailleurs affirment que les salaires actuels « ne permettent même pas de couvrir dix jours » de dépenses courantes. Des économistes indépendants, comme Hossein Raghfar, estiment qu’environ 40 % des Iraniens vivent au seuil de l’extrême pauvreté et que des millions d’autres sont directement menacés par la faim.

Ce que le système craint désormais

De l’eau au carburant en passant par l’alimentation, le constat est le même : chaque décision a un coût, et reporter les décisions l’est encore plus. Les ajustements du prix du carburant risquent de raviver les souvenirs de 2019. Les restrictions d’eau radicalisent des régions longtemps considérées comme dociles. La réduction des subventions aggrave la faim au quotidien. Les crises environnementales sapent même les affirmations symboliques de compétence.

La dictature cléricale gouverne désormais par la pénurie et la surveillance. Mais la pénurie érode l’obéissance plus vite que la répression ne peut la rétablir. Le 22 novembre 2025 ne sera pas le point de rupture, mais il en donnera les prémices : un État incapable de satisfaire ses citoyens ou de tolérer leurs réactions.

Dans un tel système, la question n’est pas de savoir si une nouvelle révolte aura lieu, mais quand le prochain choc frappera une société déjà à bout de souffle.