Par Alejo Vidal Quadras –
La semaine dernière, le chef de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell, a publié une déclaration sur Twitter concernant ses dernières discussions avec le ministre iranien des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif. Après avoir vaguement évoqué « les événements en Iran et les relations UE-Iran », M. Borrell a mis l’accent sur l’avenir de l’accord nucléaire iranien de 2015, ou plan d’action global conjoint. Le tweet s’ajoute à un certain nombre de communications officielles pour indiquer que les priorités de l’UE restent inchangées, quels que soient les détails des » événements » mentionnés ci-dessus.
L’agence de presse Mehr et d’autres organes de presse affiliés à l’État iranien étaient impatients de rendre compte de la déclaration de M. Borrell et de la présenter comme une preuve que la politique de l’UE reste plus étroitement alignée sur les intérêts de l’Iran que sur ceux des États-Unis.
La focalisation étroite de Borrell sur l’accord nucléaire n’a peut-être pas été une surprise dans le sillage des précédentes conversations avec le ministère iranien des affaires étrangères. Mais ses derniers entretiens avec Zarif étaient inhabituels car ils intervenaient quelques jours seulement après le début d’un procès pour terrorisme à Anvers, où quatre agents iraniens sont accusés de participer à un complot visant à faire exploser une bombe dans un rassemblement international d’expatriés iraniens.
Le verdict dans cette affaire est attendu le 22 janvier et la condamnation semble pratiquement assurée, du moins pour le cerveau présumé du complot terroriste, qui se trouve être aussi un diplomate iranien de haut rang et donc un serviteur de carrière du ministère des affaires étrangères. Cet individu, Assadollah Assadi, a apparemment utilisé son statut diplomatique afin de faire entrer clandestinement les explosifs en Europe sur un vol commercial, où il savait que ses bagages ne seraient pas soumis à une inspection.
Lors de la première audience du procès, le 27 novembre, les procureurs belges se sont empressés de mettre en avant les détails de l’opération qui ont démontré les liens étroits entre son cerveau et les institutions diplomatiques et politiques officielles du régime. Selon leur position officielle, le complot n’a pas été entrepris par Assadi de sa propre initiative, mais a été ordonné et approuvé par Téhéran dans le cadre d’une campagne visant à saper l’opposition organisée au régime théocratique.
Cette opposition organisée a fait d’énormes progrès en Iran au début de 2018, lorsque les habitants de plus de 100 villes ont pris part à un soulèvement national qui a contribué à populariser des slogans anti-gouvernementaux comme « A bas le dictateur ». C’est à la suite de ce soulèvement que le complot terroriste d’Assadi a pris forme, avant d’être déjoué en juin de la même année. Ce n’était pas non plus le seul de ce genre. Un autre complot a également été déjoué en mars par les autorités albanaises, où vivent environ 3 000 membres du principal groupe d’opposition iranien, l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI-MEK).
Ce groupe a été crédité d’avoir organisé et dirigé le soulèvement de janvier 2018. Et il a répété ce rôle en novembre 2019, déclenchant un autre soulèvement national encore plus important que le précédent. Ce dernier mouvement de protestation a provoqué une réaction de panique des autorités du régime, qui ont ouvert le feu sur la foule, tuant environ 1 500 manifestants pacifiques. Ce fait s’ajoute maintenant au complot terroriste de 2018 comme un autre incident choquant qui a reçu peu d’attention de la part de personnes comme Josep Borrell.
En attendant, le contexte de ces crimes suggère que l’UE non seulement abdique sa responsabilité morale, mais néglige également des opportunités extraordinaires d’exercer une pression efficace sur le régime iranien. Alors que l’agitation continue de croître au sein du peuple iranien, Téhéran semble de plus en plus désespérée de reprendre le dessus. Et pour ce faire, il prend des risques extrêmes.
Si le terrorisme d’État iranien n’est certainement pas nouveau, il est généralement canalisé par des mandataires, de sorte que les représentants officiels du gouvernement iranien ont tendance à ne remplir que des rôles de soutien. Mais dans le cas du complot de 2018, le rôle d’Assadi était si concret et si évident qu’il a été le premier diplomate iranien à être officiellement poursuivi pour terrorisme en Europe. La sentence en cours remet donc en question l’hypothèse d’une impunité de grande envergure qui a probablement motivé la décision de Téhéran de lancer le complot.
Bien entendu, ce défi ne sera pas relevé s’il n’est pas soutenu par des changements ultérieurs de la politique européenne. Si Assadi pourrait purger jusqu’à 20 ans de prison, la responsabilité doit également s’étendre à ses supérieurs à Téhéran. Mais toutes les déclarations récentes de Borrell suggèrent que c’est la chose la plus éloignée de l’esprit des dirigeants de l’UE, qui restent concentrés presque exclusivement sur le sauvetage de l’accord nucléaire.
Heureusement, on ne peut pas en dire autant des parlementaires des États membres de l’UE. 240 d’entre eux ont récemment signé une déclaration adressée à Borrell et au ministre britannique des affaires étrangères Dominic Raab dans laquelle ils demandent instamment des politiques qui reflètent spécifiquement une prise de conscience des activités malveillantes de Téhéran, tant dans le pays qu’à l’étranger. Parmi ces recommandations, la plus importante est l’adoption d’une position diplomatique qui subordonne les futures relations entre l’Iran et l’Occident à des engagements vérifiables de la part du premier à mettre fin aux activités terroristes sur le sol européen.
Les mécanismes de soutien de ces engagements pourraient inclure l’extension des sanctions multilatérales et une menace crédible d’isolement diplomatique complet, y compris la fermeture des ambassades iraniennes. Mais avant que de telles politiques ne soient établies par écrit, les puissances occidentales doivent collectivement décider de communiquer réellement leurs exigences, clairement et fermement, au régime iranien.
L’actuel chef de la politique étrangère de l’UE s’est clairement opposé à ce genre d’affirmation, mais il y a encore des raisons d’espérer que son hésitation diminuera à mesure que l’attention internationale se portera sur le complot terroriste de 2018, son contexte et ses implications. On peut certainement s’attendre à ce que les parlementaires en Europe maintiennent la pression sur M. Borrell sur ces questions et renforcent leurs recommandations antérieures par des plans d’action concrets. Leurs efforts devraient mettre l’UE sur la bonne voie pour réagir de manière appropriée au verdict du procès belge contre Assadi.
Cette évolution déterminera dans une large mesure l’avenir des relations entre l’Iran et l’Occident. Et si les tendances actuelles persistent, alors les puissances occidentales devraient anticiper une nouvelle recrudescence des tensions et être prêtes à y répondre avec le type d’unité qui a fait défaut pendant des années et la fermeté qui a fait défaut pendant des décennies.
Alejo Vidal-Quadras, professeur de physique atomique et nucléaire, a été vice-président du Parlement européen de 1999 à 2014. Il est président du International Committee In Search of Justice (ISJ)