vendredi, mars 29, 2024
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« A Achraf nous faisons face à l’attente d’un crime annoncé » – Ingrid Betancourt

CNRI – « Ce doit être évident qu’il faut que nous travaillons tous pour que le cas d’Achraf soit connu, que ce soit tellement évident qu’il faut nous unir en solidarité pour sauver les vies des personnes qui vivent à Achraf », s’est exclamé Ingrid Betancourt le 10 aout à Genève.

L’ancienne candidate à l’élection présidentielle de Colombie et ex-otage des FARC s’exprimait dans une conférence internationale où de très nombreuses personnalités et parlementaires suisses et internationaux se sont retrouvés autour de Maryam Radjavi, présidente élue de la Résistance iranienne, pour examiner la responsabilité de l’ONU et du HCR vis-à-vis de la situation du camp d’Achraf en Irak. Achraf abrite 3400 réfugiés membres des Moudjahidine du peuple d’Iran, la principale opposition démocratique à la dictature des mollahs.

Voici les temps forts de l’intervention d’Ingrid Betancourt :

Madame le Président, chers amis, chers frères, chères sœurs,

Il y a deux mois, Elie Wiesel, notre ami et prix Nobel de la paix, disait, en faisant référence au cas d’Achraf, qu’il ne comprenait pas comment le monde continuait à ignorer ce qui se passait à Achraf. Et c’est vrai que depuis qu’il l’a dit, depuis deux mois, c’est une question qui est restée dans ma tête et qui me force à une réflexion.

Avant de vous rejoindre ici, dans cette salle, j’ai été abordée par des journalistes suisses qui m’ont posé une question qui fait écho à l’inquiétude d’Elie Wiesel ; ils m’ont demandé : « Madame Betancourt, pourquoi est-ce que vous vous intéressez au cas d’Achraf, alors qu’il y a tellement d’autres problèmes dans le monde ? ». Eh bien, vous voyez, je crois que c’est une question que nous devons travailler, tous ensemble, pour qu’elle ne soit plus posée ; pour que ce soit tellement évident qu’il faut que nous travaillons tous pour que le cas d’Achraf soit connu, que ce soit tellement évident qu’il faut nous unir en solidarité pour sauver les vies des personnes qui vivent à Achraf que ce soit presque indigne qu’un journaliste ose poser la question qui m’a été posée.

Nous faisons face, aujourd’hui, à un drame assez extraordinaire d’abord parce que c’est l’attente d’un crime annoncé : nous sommes dans une situation dans laquelle celui qui menace de commettre un génocide est un président d’un Etat légalement élu. C’est quelque chose qui est non seulement surprenant, mais d’autant plus surprenant qu’une fois que ce président a menacé de génocide, la réponse des personnes qui, dans le monde, peuvent faire en sorte que ce génocide annoncé ne se produise pas, font semblant de regarder ailleurs, font semblant de ne pas avoir écouté ce que nous savons tous. Et comble de l’horreur, il semblerait que cette information soit restée en huis clos et que les personnes dans la rue, comme vous et moi, qui nous informons à travers la radio, la télévision, n’ayons pas accès à une information aussi dramatique.

Que pour pouvons-nous faire ? Car voyez-vous, il s’agit ici de prévenir. Je suis trop consciente que dans l’histoire récente, nous avons vu perpétrer des génocides qui avaient été annoncés, eux aussi. Je parle, par exemple, du cas du Rwanda. Je me souviens du général Roméo Dallair qui a donné les informations précises au Secrétaire général de l’ONU du moment, en expliquant que le gouvernement du Rwanda préparait un génocide contre la population tutsi qui se trouvait sur son territoire. Personne ne l’a écouté. Tout le monde a fait semblant de ne pas vouloir savoir ce qui se préparait, alors qu’il y avait, par exemple, des achats massifs de machettes parce que le calcul horrible était qu’il revenait moins cher de tuer les Tutsis avec des machettes qu’avec des armes à feu. Tout cela s’est préparé à la face du monde et le monde n’a pas réagi.

Mais les Balkans ! Souvenons-nous des Balkans ! Pas si loin que cela, beaucoup plus près, d’ici en tout cas : un génocide également annoncé avec la présence de l’OTAN sur place. Et c’est vrai que l’OTAN a fait un travail extraordinaire pour récupérer des preuves qui ont permis de mener, devant la Cour pénale internationale, les responsables de ces crimes. Mais ce n’est pas cela que nous voulons : nous ne voulons pas des preuves, nous voulons prévenir, nous ne voulons pas des assassins devant les Cours de justice, nous voulons que le crime ne se fassent pas !

Et c’est pour cela que même si nous avons la conscience tranquille, nous ne pouvons pas dormir en paix. Nous ne pourrons pas dormir en paix tant que nous savons que 3 500 de nos frères et soeurs risquent d’être massacrés tout simplement parce qu’ils ne sont pas de la couleur idéologique ou politique du gouvernement en place. C’est une horreur que nous ne pouvons pas accepter.

Alors, que nous faut-il ? Que devons-nous faire ? Qu’est-ce qui nous manque ? Et bien, si nous regardons ce qui nous manque, nous sommes effrayés aussi de voir qu’il nous manque si peu. Qu’est-ce qui nous manque ? Il nous manque des papiers, des documents, des documents pour pouvoir faire sortir les gens qui, en ce moment, sont kidnappés à Achraf. Je dis « kidnappé » parce que j’ai été kidnappée par des terroristes et je sais faire la différence.

Aujourd’hui, un de ces journalistes me demandaient : « Vous n’êtes pas gênée d’être aux côtés de personnes qui sont dans la liste des terroristes du gouvernement américain ? » J’ai répondu : « Oui, je suis très gênée, je suis très gêné qu’ils soient sur cette liste parce que c’est tellement injuste. »

Quels sont les terroristes dans le monde qui, devant l’armée américaine, font un pacte et rendent leurs armes ? Quels sont les terroristes qui ont besoin de protection de l’ONU pour pouvoir se défendre ? Quel est ce monde absurde dans lequel nous sommes en train de criminaliser les victimes ? Comment pouvons-nous encore penser que les personnes qui sont à Achraf puissent être des terroristes ou assimilés à des terroristes ou inclus dans une liste de terroristes n’importe où dans le monde ? Comment pouvons-nous encore à avoir à expliquer cela ? Comment un journaliste peut-il nous interroger sur le statut d’une organisation qui est victime et qui est menacée de génocide ? Où est l’information ? Pourquoi sommes-nous dans un monde où la meilleure arme contre la justice est le doute ? Ce doute qui est semé de façon insidieuse, comme un poison, pour faire que les gens de bien ne puissent pas s’unir et ne puissent pas lutter ?

Ce doute, rappelez-vous – et je le dis parce que je suis aussi une combattante écologique –, ce doute qui a été répandu trop longtemps sur cette planète pour nous dire que le changement climatique n’était pas prouvé scientifiquement. Je ne sais pas si vous avez besoin de plus de preuves. Le changement climatique, il est partout, il est partout, nous le subissons tous les jours. Nous n’avons pas besoin de preuves scientifiques, nous n’avons pas besoin d’intérêt supérieur à celui de la vérité.

Je trouve que dans le cas du camp d’Achraf, nous sommes devant cette même politique insidieuse du doute ; créer un doute pour limiter la possibilité de nous unir, de vous défendre et de nous défendre. Car finalement, lorsque nous sommes tous ici présents pour Achraf, nous sommes tous ici parce que nous avons aussi souffert, parce que nous savons ce que c’est de ne pas avoir de solidarité, de ne pas avoir de personnes pour nous soutenir. C’est pourquoi nous sommes ici. Nous tous, nous avons vécu cette solitude, nous tous nous nous sommes sentis abandonnés. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous disons : non, nous n’allons pas abandonner Achraf. Non, nous n’allons pas vous oublier. Non, nous n’allons pas subir la pression de ceux qui veulent créer le doute.

Alors, oui, nous devons penser à ceux qui ont des responsabilités plus importantes que les nôtres et qui, eux, peuvent faire parce que c’est sur eux qu’il faut mettre la pression.

Je dois confesser à tous nos amis américains ici présents que, en les écoutant, les uns après les autres, j’ai eu cette espèce de battement de cœur accéléré de me dire : Mon Dieu, voilà pourquoi j’aime l’Amérique ! Voilà pourquoi les Etats-Unis sont un pays que nous aimons, parce qu’il produit des personnes dont l’unique arme est la vérité, même si elle est inconfortable et cela même pour leur propre gouvernement. Voilà, c’est la démocratie en laquelle je crois, une démonstration dans laquelle on peut dire ce que l’on pense et on peut le dire pour le bien de la vérité. Et c’est pour cela aussi que nous sommes réunis, pour défendre votre démocratie parce que nous avons tous le droit à vivre libre, oui, effectivement, libre en sécurité et en paix.

Nous parlons des Etats-Unis, mais le thème a été tellement bien exposé par nos amis qu’il suffit tout simplement de dire que je suis sûre que le Président Obama est de notre côté. J’en suis certaine. Je ne peux pas croire qu’avec ses antécédents, son background, le Président Obama puisse être ailleurs qu’avec nous.

Je pense la même chose d’Hilary Clinton. Je crois que, dans son cœur, il y a la place pour la défense d’Achraf. Mais il faut que nous allions chercher ceux qui, dans l’établissement des Etats-Unis, dans la bureaucratie des Etats-Unis, sont en train de bloquer quelque chose d’aussi simple que de dire que ce qui est vrai est vrai et que les Moudjahidine ne sont pas des terroristes.

Et puis nous avons aussi les Nations Unies. Les Nations Unies, c’est très intéressant parce que les Nations Unies ont deux Hauts Commissaires pour faire face exactement au cas d’Achraf. Le Haut Commissaire pour les Droits de l’Homme et le Haut Commissariat pour les Réfugiés. Et ils devraient être ici, je crois, or ils ne sont pas là et je trouve que c’est un vide qui nous pèse à tous parce que nous sommes tous membres des Nations Unies de par notre droit d’êtres humains. Ils nous représentent tous, donc ils devraient être ici, tous les deux. Qui plus est, ils sont à Genève. Ils sont au coin de la rue et il leur serait si facile de venir.

Je sais que le secrétaire de l’ONU, M. Ban-Ki Moon, a exprimé son inquiétude pour le cas d’Achraf et a fait une déclaration dans le sens de faire en sorte qu’il ait des garanties pour que toute solution qui soit prise sur le cas des habitants d’Achraf le soit avec eux, avec leur consentement. C’est très bien, mais moi je trouve que c’est un petit peu… Enfin, on est bien au-delà de cela, je crois, parce que nous savons déjà ce que les réfugiés du camp d’Achraf veulent, ils nous l’ont dit, ils le répètent. Je vais le dire en anglais, au cas où M. Ban-Ki Moon pourrait peut-être nous écouter.

They said that yes, they are ready, they are ready to leave camp Ashraf like the government of Iraq is demanding. Yes they are ready and the only thing they are asking is to give them a place, a safe place where they can live. Because they want to leave Camp Ashraf because they are unarmed, unprotected and they are under the threat of an upcoming massacre. It’s as simple as that. The only thing that we need is the papers. Papers for 3500 people that need to get out of Camp Ashraf. And I am sure that we can all find a way to welcome them in our countries.

Que peut faire chacun de nous ? Eh bien, je pense qu’il faut d’accord compter sur la presse, les journalistes, les personnes qui ont la volonté, la vocation et le devoir d’informer, nous tourner vers eux pour leur demander d’ouvrir les cœurs  de tous ceux qui peuvent avoir accès aux informations au cas d’Achraf. Je pense que les médias sont très importants dans la solution de cas d’Achraf.

Nous sommes tous très importants dans la solution, nous tous par notre constance, par notre volonté, par notre fermeté. Je suis certaine que, parce que nous sommes absolument engagés dans la solution et dans la préservation de la vie des habitants d’Achraf, nous les verrons un jour ici et que nous pourrons les embrasser et leur dire bienvenue à la liberté.