mercredi, décembre 4, 2024
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Ingrid Betancourt : aujourd’hui en Iran ce sont les femmes qui font cette révolution

« Je crois que nous avons un devoir, le devoir d’abord de défendre l’espoir des Iraniens et cet espoir a un nom et a un visage. Nous devons tout faire pour que les portes de nos gouvernements qui ont vu Maryam Radjavi se battre comme une lionne, qu’ils aient le courage de l’accompagner. Et je crois que c’est à nous de pousser ces portes », a déclaré Ingrid Betancourt. Elle participait à une réunion du Comité parlementaire pour un Iran démocratique à l’Assemblée nationale française sur la situation en Iran. Réunis mardi à salle Colbert, des parlementaires et des personnalités engagées pour la cause de la liberté en Iran ont apporté leur soutien précieux au peuple iranien et à sa révolution démocratique pour un Iran libre. Dans son intervention, Ingrid Betancourt a déclaré :

« Ce dossier incarne toutes nos valeurs, tous nos principes. C’est le dossier des vies humaines sacrifiées en Iran par une dictature terroriste théocratique. Et je crois que pour nous tous, démocrates républicains, il s’agit véritablement d’un moment de réflexion sur les autres évidemment, mais sur nous-mêmes.

Et je dois dire qu’en étant ici, je me suis souvenu la première fois que j’étais invité à un colloque similaire pour la défense de la résistance iranienne, c’était quelques mois après ma libération et je suis venu de la main d’un homme que nous admirons tous et qui nous a quitté, Elie Wiesel, c’était un homme extraordinaire. Enfin, je dois dire que chaque fois que je suis dans une réunion de la résistance iranienne je pense souvent à lui. Parce que je me demande si j’aurais continué, si je n’avais pas eu cette autorité morale qui m’avait ouvert l’espace de la mise en contact, de l’amitié avec la résistance iranienne.

Et je le dis parce que après ce colloque dans lequel je suis intervenu et je dois dire que j’étais toute frêle, je sortais de six ans et demi de captivité, j’avais quand même des cicatrices partout, j’ai été inondé, enseveli d’insultes et de critiques. Chaque fois que nous prenons la défense de la résistance iranienne, nous sommes immédiatement pris comme cible personnellement, d’une façon très très violente. Et voilà, ça m’a beaucoup dérangé, je me suis dit que peut être je m’étais trompé et j’ai pris sur moi de lire et d’essayer de savoir où j’étais, pourquoi j’étais là et d’utiliser toutes mes antennes, de tout ce que j’avais compris dans la vie pour voir quelle était la vérité.

Evidemment, terroriste je connaissais, communiste je connaissais, violence je connaissais et j’ai commencé à lire sur cette résistance, à comprendre le mouvement, à comprendre l’histoire. Et peu à peu, j’ai commencé à voir quelque chose de différent, qui faisait écho à mon expérience personnelle, c’est que les critiques qui étaient contre moi, mais qui étaient aussi contre le mouvement, avaient toujours une signature narrative qui m’incommodait parce que je la trouvais terriblement misogyne. En fait, je crois qu’il y a beaucoup de misogynie dans la narrative qui porte les critiques contre ce mouvement.

Et en particulier, je me souviens de m’être arrêtée sur le terme de culte. Il parlait de cette femme que je venais de connaître, Maryam Radjavi, et les critiques disaient que c’était des illuminés, que c’était une secte dont la figure de Maryam Radjavi était la personne qui menait ce bal de gens « totalement naïfs, manipulés, sans informations »…

Et là, j’ai fait un stop parce que j’ai moi-même été victime de ce genre d’attaque ; quand on est femme et qu’on est dans la vie publique, on nous attaque de façon différente. Les attaques pour les hommes et les attaques pour les femmes ne sont jamais les mêmes. Pour les femmes, c’est toujours par rapport à la manipulation. Et je me souviens par exemple lorsque j’ai été libérée, d’avoir confronté durement et je continue à le faire d’ailleurs, parce que c’est toujours sur l’agenda, un mensonge qui était celui que moi, «femme inconsciente et imprudente », « j’avais tout fait pour me faire kidnapper par les FARC » et que c’était donc de ma faute.

Et que lorsque je suis revenue, essayer de parler après six ans et demi, d’un mensonge, d’une narrative qui a été rabâché des années durant, essayer de faire comprendre aux gens que je n’avais aucun intérêt, que je n’étais pas du tout cette personne… c’était très très difficile. Parce qu’il y avait l’image qui avait été mise sur le net, qui avait été médiatisée et essayé de faire résonner les gens d’une autre façon était difficile. Et c’est là où je me suis dit je veux me rapprocher, je veux comprendre qui ils sont.

Et il y a eu la rencontre personnelle avec ces femmes, et ces hommes aussi, mais beaucoup de ces femmes que nous voyons ici avec Maryam Radjavi, qui en fait ont pris le leadership du mouvement et qui sont le visage de ce mouvement. J’ai voulu comprendre qui elles étaient, pourquoi est-ce qu’elles avaient pris ce combat ? Quel était le prix qu’elles avaient payé ? Pourquoi est-ce qu’elles continuaient après des décennies d’opposition loin de chez elles, loin de leur pays natal. Comment se faisait-il qu’elles soient encore capable de combattre ?

Parce que c’est vrai que quand le temps passe, c’est dur de se maintenir. Et c’est là que j’ai compris des choses, comme par exemple le fait que oui, quand on est en face d’organisations terroristes et un État terroriste, il faut s’organiser. On n’a pas le droit de ne pas s’organiser face à l’attaque d’une force terroriste. Et pour la résistance iranienne, s’organiser, c’est aussi avoir une structure hiérarchique nécessaire pour faire face à toute cette instigation, cette désinformation, ces tentatives d’infiltration, ces meurtres.

Et je le dis en connaissance de cause, puisque j’étais effectivement là en juin 2018, le jour où le gouvernement iranien avait envoyé ses diplomates et ces espions pour nous tuer dans un attentat qui devait avoir lieu à Villepinte et qui, s’ils avaient réussi, nous ne serions pas là pour en parler.

Donc pour moi, le rapport que j’ai avec cette résistance, je veux le partager avec vous parce que je sais que nous avons tous été désinformés, ou en tout cas on a tenté de le faire, que c’est dur de prendre parti.

Que moi, de mon côté, je me dis que s’il y a autant d’attaques, c’est parce qu’on est du bon côté et ça me rassure. Quand je vois ce qui se passe aujourd’hui en Iran et que ce sont les femmes qui font cette révolution, que ce sont elles qui sont au-devant de la scène, qui sont en train de se battre contre ces mollahs misogynes, terroristes, criminels, assassins. Et bien je suis très fier d’être ici avec vous, de pouvoir témoigner, de pouvoir vous dire aussi que je connais Maryam Radjavi, que c’est une amie.

J’ai appris à la connaître avec le temps, ça fait beaucoup d’années, plus de dix ans que je vous accompagne, et la relation que j’ai avec Maryam Radjavi est très personnelle, de femmes, nous avons toutes les deux beaucoup souffert. On a pris des engagements. J’ai toujours admiré le fait qu’elle ne s’est jamais rendue, elle continue. Et je me dis qu’un jour j’ai envie de la voir là où elle doit être. C’est à dire en Iran. Je veux qu’elle soit cette figure qui va réussir à remettre dans les mains des Iraniens une véritable démocratie. Je veux que ce soit elle qui fasse la transition.

Et là, je dois aussi partager avec vous mon étonnement, parce que je ne comprends pas comment nos gouvernements qui voient cette organisation, qui depuis 40 ans se battent et dénoncent – ce sont eux qui ont donné l’information aux Nation Unis sur le programme nucléaire du gouvernement des mollahs. C’est eux qui ont donné les informations depuis l’intérieur de ce qui se passe en Iran, qui dénoncent la violation des droits de l’homme, qui dénoncent les pendaisons, les assassinats, les exécutions sommaires.

Nous avons compris qu’il y avait eu un génocide en 1988 grâce à ce mouvement qui nous ont montré les tombes, qui nous ont montré les personnes qui avaient réchappé de ce massacre et qui sont aujourd’hui des témoins très importants pour nous, pour pouvoir nous souvenir de ce qui s’est passé en Iran.

Et bien maintenant qu’il y a cette révolution et que les gouvernements occidentaux sont obligés de se poser la question de la transition, eh bien c’est comme s’ils voulaient ne pas regarder ce qui se passe du côté de ce mouvement. Et dire bah oui, mais il faut unir…Eh attendez ! c’est quand même cette résistance qui a uni depuis des années toutes les oppositions en Iran. Alors je me pose la question de savoir et je le dis avec toute franchise devant vous tous, est ce que nous ne sommes pas, nous aussi dans nos sociétés occidentales, un peu misogynes ? Est-ce que si c’était un homme, on ne le prendrait pas plus au sérieux ? Est ce qu’il faut être un homme pour avoir le droit de confronter la tyrannie et les dictateurs ? Est ce qu’il faut être un homme pour avoir la crédibilité de raconter sa souffrance ? Est ce qu’il faut être un homme pour avoir le droit de faire la transition vers un monde démocratique ?

Et moi je clame le droit des femmes. Aujourd’hui, la femme iranienne est celle qui doit avoir le leadership de cette transition. Et nous avons une femme qui depuis 40 ans organise ce mouvement, que si jamais il n’était pas organisé comme elle l’a organisé, il n’y aurait pas de révolution aujourd’hui, de protestation face aux crimes atroces de Mahsa Amini. Il n’y aurait pas non plus la possibilité, comme aujourd’hui on le débat, que les gardiens de la révolution iranienne, l’organisation soit considérée comme une organisation terroriste. C’est finalement tout ce travail qui porte ce que nous voyons en ce moment. Et tout d’un coup on nous dit ah ben non, oui, mais il faudra qu’on regarde ailleurs. Et je pose le débat parce que je crois que nous connaissons ce qui se passe dans ce mouvement, qui connaissons, qui suivons depuis autant d’années le drame des Iraniens.

Je crois que nous avons un devoir. Le devoir d’abord de défendre l’espoir des Iraniens. Et cet espoir, a un nom et a un visage. Et je crois que nous devons tout faire pour que les portes de nos gouvernements, ici en Europe et aux États-Unis, que tous ces gouvernements qui ont vu Maryam se battre comme une lionne, qu’ils aient le courage de l’accompagner. Et je crois que c’est à nous de pousser ces portes. Et je voulais profiter de ce moment que nous avons tous ensemble pour vous demander de nous unir. Je crois que c’est le moment des femmes. Et nous avons les hommes pour faire que nous tous ensemble, nous puissions finalement donner à l’histoire de l’humanité la possibilité de faire quelque chose de beau et de juste, et de rendre ce à César, ce qui est à César, et à Dieu, ce qui est à Dieu.

Et de nous dire que finalement les mollahs misogynes peuvent être renversé par une femme.