
En l’espace d’une semaine, le régime iranien a pris trois mesures qui ressemblent davantage à une stratégie de gestion de crise qu’à une action de gouvernance : il a reconnu que la majorité des ménages nomades consomment désormais de l’eau livrée par camion-citerne ; il a instauré un troisième tarif, plus élevé, pour l’essence, en plus des deux tarifs subventionnés ; et il a exhorté les procureurs à traiter les opposants internes comme des ennemis à « identifier, réprimer et punir ».
À la veille du sixième anniversaire des manifestations contre la hausse des prix du carburant en 2019, le message est clair : le même cocktail de pénurie et de coercition qui avait embrasé les rues se reproduit dans un pays plus aride, plus pauvre et plus en colère qu’à l’époque. Ce qui a changé, ce n’est pas le scénario, mais le terreau : des réservoirs vides derrière les camions-citernes, une population déjà en manque de produits de première nécessité suite à la hausse des prix du carburant, et, derrière les fanfaronnades du parquet, un gouvernement qui sait qu’il ne peut rationner et persuader simultanément.
La pénurie devient politique
La crise de l’eau en Iran n’est plus un choc ; c’est un système. Selon les chiffres officiels, l’eau potable destinée aux communautés nomades est acheminée par 351 camions-citernes mobiles, transportant environ 7 millions de m³ par an – et probablement 8 millions de m³ d’ici la fin de l’année – tandis que la sécheresse a réduit les récoltes de fourrage à 1,7 million de tonnes, affectant directement les moyens de subsistance des éleveurs. Au Sistan-et-Baloutchistan, plus de 700 000 personnes, réparties dans plus de 3 000 villages, n’ont pas accès à l’eau courante et dépendent de sources insalubres, un symbole flagrant de négligence structurelle.
Dans les villes, un rationnement « discret » s’est insidieusement installé. Un ancien ministre de l’Agriculture a accusé des responsables d’avoir eu connaissance des pénuries depuis des mois, mais d’avoir incité le président à prendre des décisions drastiques de dernière minute. Ce discours de crise est politiquement commode : agir tard, puis présenter un choix binaire entre perturbation et discipline. Mais il confirme aussi ce que la population ressent déjà : la pénurie est gérée, non résolue.
Cette gestion est politique. Lorsque l’État décide qui recevra un camion-citerne, quel district subira des coupures d’eau nocturnes, ou où un nouveau pipeline « doit » passer, il s’assure également le consentement de la population. Mais la légitimité est difficile à acquérir avec des réservoirs en plastique et du ruban de police.
La flamme se rallume : le prix de l’essence
La porte-parole du gouvernement Pezeshkian a confirmé la mise en place d’un système de tarification du carburant à trois niveaux : deux tarifs subventionnés sont maintenus, tandis qu’un tarif plus élevé est introduit pour les véhicules de luxe, les zones franches et, surtout, les cartes de station-service. Un député de haut rang indique que la proposition du gouvernement fixe le prix de ce troisième tarif entre 5 000 et 6 000 tomans le litre, les deux premiers tarifs restant à 1 500 et 3 000 tomans.
Même présentée comme « ciblée », cette mesure reproduit les conditions politiques de novembre 2019 : un calendrier opaque, un discours technocratique et une forte augmentation du prix à la pompe. Les systèmes à plusieurs niveaux engendrent également des pratiques d’arbitrage et du ressentiment : les automobilistes qui possèdent la mauvaise carte, le mauvais véhicule ou les mauvaises relations paient plus cher, font la queue plus longtemps et se sentent doublement lésés.
Pour une société déjà fragilisée par l’inflation alimentaire et l’érosion des salaires, la hausse des prix marginaux du carburant n’est pas une simple dépense ; c’est le signal que les trajets domicile-travail, les visites à la clinique ou les livraisons de marchandises de demain sont devenus plus risqués. En 2019, ce signal a suffi.
Prévention par le parquet
Le message du chef du pouvoir judiciaire aux procureurs est sans équivoque : traitez les « sèmes de discorde » et ceux qui « mettent en péril les moyens de subsistance » comme des agents de l’ennemi et soyez fiers de les réprimer et de les punir. Il ne s’agit pas d’une simple rhétorique ; c’est une instruction préventive. Conjuguée à des visites très médiatisées auprès de hauts dignitaires religieux et à des appels à « l’unité nationale », cette stratégie définit le plan de sécurité pour les semaines à venir : présenter la dissidence comme du sabotage, instrumentaliser les griefs économiques pour lutter contre la subversion et maintenir le calme dans les rues en instaurant un climat de peur.
Or, les publics concernés se recoupent. Les enseignants sous-payés de Kermanshah, les ouvriers du pétrole d’Asaluyeh, les infirmières de Mashhad, les villageois baloutches qui transportent l’eau et les quartiers d’Ahvaz encore marqués par la mort d’Ahmad Baledi ne sont pas des « agitateurs extérieurs ». Les traiter comme tels risque de fusionner des plaies distinctes en un seul corps politique.
Au bord du précipice
Les anniversaires sont importants dans le calendrier des manifestations en Iran. Le souvenir de novembre reste vivace. L’année 2019 n’est pas un concept abstrait ; c’est un modèle : des changements soudains dans les prix des carburants, une montée en flèche de la violence routière, une réponse sécuritaire qui hante encore les familles. Réintroduire une hausse brutale des prix – aussi « ciblée » soit-elle – dans un contexte de rationnement de l’eau et de menaces de poursuites judiciaires, c’est politiquement jeter de l’huile sur le feu.
Le dilemme de Téhéran est le même qu’à l’époque, mais en plus aigu. Céder du terrain, c’est donner l’image d’une faiblesse qui alimente les revendications. S’entêter, c’est légitimer le mécontentement et élargir le cercle des personnes lésées. Le compromis privilégié par le système – la concession assortie de la coercition – risque de ne plus amortir le choc, car la population perçoit désormais la manœuvre en temps réel.
À l’approche du sixième anniversaire du soulèvement de 2019, les messages mêmes de l’État trahissent sa peur : des ministères qui vantent la gestion des pénuries, un gouvernement qui présente des mesures coercitives à plusieurs niveaux comme une « réforme », et des procureurs chargés de criminaliser le mécontentement.
Le régime ne se prépare pas à résoudre la crise ; il se prépare à survivre à la réaction qu’elle suscite. C’est une stratégie pour une semaine, pas pour un hiver. Avec l’eau livrée par camions-citernes, le prix du carburant modulé selon la caste et la dissidence qualifiée d’emblée de trahison, les ingrédients qui ont fait exploser Aban en 2019 sont de retour – en plus arides, plus chers et plus répandus. Les autorités agissent comme si un soulèvement était imminent car, si elles continuent sur cette voie, il l’est.

