CNRI – Le 20 janvier 2012 – Je suis quelqu’un qui est extrêmement inquiet actuellement, parce que je sens que le nœud coulant autour d’Achraf est en train de se resserrer. Je suis peu de choses, je suis, comme on dit, un philosophe. Je me suis occupé beaucoup de la guerre. Et je me suis aperçu que l’important dans la guerre ce n’était pas uniquement les batailles, excusez-moi Messieurs les Généraux, mais c’était souvent la manière dont on terminait les guerres. Et là-dessus, Achraf est un bel exemple. Est-ce que les États-Unis ont gagné la guerre d’Irak ou est-ce qu’ils l’ont perdue ? Eh bien, une des réponses, ça sera Achraf. Alors, je ne me suis pas seulement occupé intellectuellement de la guerre, mais je suis allé voir ce qui se passait dans ces guerres.
Et, quand Ingrid Bétancourt a dit qu’il nous fallait nous préparer à accueillir les gens d’Achraf, j’ai pensé que oui, c’était vraiment fondamental. Et je me suis souvenu d’être allé avec des ennemis idéologiques de 25 ans, Raymond Aron de droite anti-totalitaire, Sartre de gauche anti-colonialiste, d’être allé avec les deux voir le président de la République pour demander des visas pour les boat-people qui fuyaient le communisme vietnamien après la guerre du Vietnam. Et je me suis aussi souvenu qu’étant allé voir comment les gens s’en sortaient, ils mourraient probablement un sur deux ou deux sur trois dans la Mer de Chine qui n’est pas une mer tranquille. Et quand ils arrivaient, ils arrivaient dans des îles où ils étaient extrêmement maltraités par des gens qui n’étaient pas les Vietnamiens, qui étaient les Malaisiens, qui étaient officiellement anti-communistes mais qui avaient un sentiment national énormément développé et très xénophobe. Eh bien, j’ai rencontré, pour protéger ces gens qui étaient sans visa sans rien, j’ai rencontré beaucoup d’Américains, et parmi ces Américains, ces jeunes Américains, il y avait d’un côté d’anciens GI du Vietnam qui étaient assez contents de ce qu’ils avaient combattu pour la liberté au Vietnam, c’était leur idée, et aussi beaucoup d’étudiants qui avaient combattu contre la guerre du Vietnam.
Et ils s’entendaient parfaitement, parce que lorsqu’une guerre finit, les dégâts commencent, et ces dégâts, ils étaient ensemble pour lutter contre, pour essayer de sauver des vies et pour accueillir les rescapés du communisme vietnamien. Alors je dis une guerre qui se finit ne se finit pas, elle a des résultats qui la prolongent. Alors, pour uniquement parler du Vietnam, je dirai : rappelez-vous qu’après le Vietnam, il y a eu un génocide au Cambodge. Il y a eu un Prix Nobel de la Paix pour Kissinger, mais il y a eu en même temps un génocide au Cambodge. Et pour prendre des guerres, moins cruelles, mais une guerre est toujours extrêmement cruelle, rappelez-vous qu’au cœur de l’Europe, à Srebrenica, il y a eu aussi un massacre avec la complicité silencieuse de l’ONU et des puissances européennes dont la France. Donc, la fin d’une guerre, c’est un moment essentiel, même si ce n’est pas les images des livres d’Histoire.
Alors, merci, merci à Madame Maryam Radjavi qui a montré que ce n’était plus une question de partisans, mais que c’était une question humanitaire, et qu’il fallait, quelles que soient nos idées au sujet de Saddam Hussein ou même au sujet des Moudjahidine du Peuple, il fallait s’unir pour sauver des victimes possibles, des civils, qui avaient fait confiance aux Américains, qui avaient rendu leurs armes, qui étaient donc des civils, et essayer de tenir les engagements qu’a pris l’Amérique à ce moment là. Donc c’est une question absolument humanitaire, et merci à Madame Radjavi d’avoir élargi cette question à l’échelle de l’humain. Merci aux Américains qui sont ici, parce que c’est toujours extrêmement dur de prendre position contre son propre gouvernement et contre ses actes. Et là je trouve qu’ils nous donnent un bel exemple de responsabilité morale, de responsabilité philosophique, en montrant que, au-dessus de l’intérêt ou plus exactement du respect de l’État, il y avait le respect de l’humain. Et que quand un gouvernement se trompe, il faut le dire.
Et quand un gouvernement se découvre assez lâche, il détourne les yeux, il laisse faire, il faut le dire. Et je suis très ému de voir des Généraux américains oser prendre ces positions. Je suis Français, et franchement, du temps de la guerre d’Algérie, il y a très très peu de Généraux qui ont eu votre courage. Il y en a eu d’autres qui ont eu un courage inverse, et qui voulaient le pire. Et ça, malheureusement, ils étaient assez nombreux. Merci donc aux Américains, et merci quand même aux Européens qui sont là. Il est important, que pour une fois, l’Europe ne se laisse pas endormir par l’adjectif terroriste. Oui, il y a des terroristes. Mais enfin, en l’occurrence les terroristes, ils sont plutôt en train de diriger en Iran.
Et on le sait, et les Français sont bien placés pour le savoir, parce qu’il y a eu des attentats iraniens en France. Et d’autre part, les Français et les Européens feraient bien de faire très attention sur l’adjectif terroriste, parce que, juste sous leurs fenêtres, il y a un homme qui s’appelle monsieur Poutine qui, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, a décimé, même plus que décimé une population. Les Tchétchènes sont un million, étaient un million. Ils ont perdu probablement 200 000 civils en dix ans sous prétexte de terrorisme. Or, même l’État-major russe n’a jamais énuméré que 3000 terroristes en Tchétchénie. Et donc on peut parler de 3000 terroristes et tuer 200 000 personnes. Donc, attention, sous le prétexte du terrorisme, tout est possible. Et là, les Européens qui sont ici, heureusement, font attention.
Bon, je dirais que l’enjeu, ce n’est pas simplement Achraf. L’enjeu, c’est d’abord Achraf et les humains qui sont à Achraf. Mais c’est aussi l’avenir de l’Irak, car un massacre à Achraf, ça sera un signal pour le mauvais traitement destiné à tous ceux qui n’approuvent pas Maliki. Et Dieu sait qu’ils sont en majorité. Premier enjeu, l’Irak.
Deuxième enjeu, on l’a dit ici, mais il faut le rappeler, c’est l’enjeu de la paix mondiale. Il est bien évident qu’accepter les mauvais traitements, les massacres, les tortures, la police contre Achraf, c’est donner un signe beaucoup trop gentil, beaucoup trop complaisant à la théocratie iranienne. C’est-à-dire nous laissons Maliki tuer à Achraf ou dans le prédit camp de la Liberté, et bien, allez-y, faites votre bombe atomique, nous sommes vraiment extrêmement pacifiques, extrêmement gentils. Donc c’est donner vraiment le mauvais signal au danger nucléaire iranien, et je ne voudrais pas revenir sur ce que le Maire de New York nous a dit, pendant la Guerre Froide, il se trouve que les dirigeants n’étaient pas gentils, ils n’étaient pas pacifiques, ils étaient souvent totalitaires, mais au moins ils étaient rationnels. Les Chinois, les Russes et les Américains. Qui peut garantir que la théocratie actuellement en place, avec son messianisme que tout le monde connaît, peut être rationnelle ayant ces bombes atomiques ? Donc, Achraf, c’est aussi un feu vert à l’atome iranien.
Dernière chose, c’est aussi l’honneur de la démocratie, et même la signification de la démocratie qui est en jeu. On dit maintenant Maliki est le chef, est un gouvernement, donc c’est son affaire, et nous, alors nous les Américains, nous les Européens, nous nous lavons les mains. Or, ça, cela veut dire que la souveraineté nationale est au-dessus de tout. La souveraineté nationale est au-dessus des lois, est au-dessus des droits de l’homme. Cette affirmation là, elle est extrêmement dangereuse. En 1933, il y a des gens à Genève qui ont dit : mais attention, vous les Allemands – Hitler venait d’être au pouvoir – vous traitez extrêmement mal les syndicalistes, les Juifs, les communistes, les Catholiques, les libéraux, ça fait beaucoup. Et la réponse allemande a été « charbonnier est maître chez soi ». Si nous laissons Maliki être maître chez soi, nous mettons à la poubelle la Déclaration mondiale, internationale des Droits de l’Homme.
Enjeu irakien, enjeu de la paix mondiale, enjeu de la démocratie et des droits de l’homme au-dessus des droits des États, c’est fondamental, c’est cela qui se joue en partie à Achraf, outre, outre une chose qui nous est chère, la vie du moindre civil, la vie du moindre enfant, la vie de la moindre femme et la vie du moindre adulte. Et c’est à eux qu’il faut penser. Mais eux portent l’avenir du monde.