L’explosion catastrophique du port de Rajaee à Bandar Abbas a non seulement fait des dizaines de morts et des centaines de blessés, mais a aussi révélé les véritables priorités du régime iranien : préserver sa propre survie à tout prix, plutôt que de s’attaquer aux ravages humains et économiques.
Les médias d’État, et notamment Kayhan, se sont rapidement emparés de la tragédie, non pas pour pleurer les victimes ou dénoncer les failles de sécurité, mais pour intensifier les mises en garde contre les « traîtres » internes et la « guerre psychologique » étrangère. Dans un éditorial révélateur, Kayhan s’est concentré sur les commentaires d’Abbas Abdi, ancien interrogateur des services de renseignement devenu militant politique, qui avait souligné que l’explosion témoignait du fossé grandissant entre le peuple et l’État.
Une puissante explosion dans le principal port d'Iran fait au moins 25 morts et 1 000 blessés – bilan certainement provisoire.
Selon une source liée aux Gardiens de la révolution, l'armée idéologique du régime des mollahs, citée par le New York Times et désireuse de conserver… pic.twitter.com/gsTdkdXDan— Afchine Alavi (@afchine_alavi) 27 avril 2025
Dans l’analyse rediffusée, initialement partagée par Ham Mihan, Abdi avait averti : « L’explosion de Bandar Abbas, qu’elle soit due à une négligence ou à un sabotage, exige une révision approfondie des protocoles de sécurité et, plus important encore, une remise en question des politiques générales qui ont créé les conditions de telles catastrophes.»
Il a déclaré sans détour que le sabotage et la trahison sont facilités non seulement par des ennemis extérieurs, mais aussi par des « faiblesses internes », notamment la désillusion politique et l’aliénation sociale – un aveu qui touche au cœur même de la stabilité du régime.
Cependant, Kayhan a instrumentalisé les propos d’Abdi pour amplifier son discours plus large : la vulnérabilité de l’Iran est imputable à des « traîtres » internes manquant de loyauté nationale, et non à un échec de la gouvernance. Le journal a qualifié Abdi de « vendu » et l’a accusé de projeter sa propre « trahison », dénonçant son appel à une réforme politique comme « idiot et malveillant ».
Dans un passage remarquable, Kayhan a déclaré : « L’explosion ne peut être imputée uniquement à la malveillance des étrangers. Elle découle fondamentalement de nos propres faiblesses en matière de sécurité, de renseignement et de politique », pour ensuite faire volte-face et présenter ces faiblesses comme la faute de prétendus « cinquièmes colonnes », plutôt que du système lui-même.
Saeed Shariati, un autre initié du régime devenu « réformiste », a souligné qu’avec la transparence douanière et une surveillance généralisée au port, il serait impossible pour le régime de cacher la vérité. Il a toutefois également averti que sans une véritable transparence, le gouvernement ne ferait qu’aggraver la méfiance déjà profonde de la population.
Cette contradiction interne – reconnaître des vulnérabilités catastrophiques tout en attaquant ceux qui les mettent en lumière – révèle la crainte profonde du régime : les fractures sociales sont trop profondes, la loyauté trop faible et le mécontentement trop volatile pour être contenu indéfiniment.
Des médias comme Ham Mihan ont quant à eux proposé une analyse beaucoup plus nuancée. Ils ont souligné que la propension du public à croire à des scénarios de sabotage – qu’ils soient avérés ou non – reflète une profonde érosion de la confiance dans les récits officiels et l’incapacité chronique de l’État à gérer les crises avec transparence.
L’ancien député Heshmatollah Falahatpisheh lui-même a averti que l’incident de Bandar Abbas constituait une condamnation flagrante de la négligence de la défense civile, arguant : « De telles concentrations de matières inflammables sans mesures de protection adéquates ne seraient tolérées nulle part ailleurs dans le monde.»
Pourtant, la principale préoccupation du régime n’était pas le coût humain ou économique dévastateur, mais l’urgence d’empêcher que l’incident ne dégénère en troubles politiques. Dans un autre article paru aujourd’hui, le 28 avril, Kayhan a mis en garde de manière obsessionnelle contre les « opérations psychologiques des médias étrangers », insistant sur le fait que la véritable menace ne résidait pas dans l’explosion elle-même, mais dans la guerre narrative menée par les médias occidentaux. Le maintien du « moral national » et de « l’unité » était présenté comme une priorité bien plus importante que la transparence, la responsabilité ou la justice pour les victimes.
Parallèlement, Etemad a révélé comment l’explosion a révélé une grave mauvaise gestion au port de Rajaee, allant du stockage de matières dangereuses dans des conditions dangereuses au non-respect des normes de sécurité élémentaires. Pourtant, les appels des législateurs à des enquêtes visaient moins une véritable réforme qu’une limitation des dégâts, visant à apaiser la colère publique. Même si la négligence était reconnue, la priorité absolue du régime restait la gestion des conséquences, et non la lutte contre les défaillances systémiques qui avaient rendu une telle catastrophe inévitable.
Aerial footage from Bandar Abbas reveals the scale of devastation after yesterday’s explosion. Thousands of containers burned, infrastructure destroyed. Evidence points to mishandling of rocket fuel imports by the regime. The port has turned into a disaster zone. #Iran pic.twitter.com/vo7P1EgJxf
— SIMAY AZADI TV (@en_simayazadi) 27 avril 2025
Cette réaction met en lumière une triste réalité : dans l’Iran d’aujourd’hui, chaque accident, chaque catastrophe, chaque petite étincelle de dissidence est traité non seulement comme une crise, mais comme une menace existentielle – non pas parce que les complots étrangers sont omniprésents, mais parce que le régime sait que ses propres fondements sont dangereusement instables.
Comme l’a souligné Setareh Sobh, le coup économique à lui seul est catastrophique : Bandar Abbas représente la majorité du commerce conteneurisé de l’Iran et une part significative de ses exportations pétrolières et non pétrolières. Pourtant, au milieu des dégâts matériels, c’est la fragilité politique mise à nu qui pourrait laisser les cicatrices les plus profondes et les plus durables.
L’explosion de Bandar Abbas n’est pas seulement une tragédie. C’est le reflet d’un régime paralysé par la peur, rongé par l’incompétence et de plus en plus incapable de dissimuler les fissures grandissantes que chaque nouvelle crise révèle.