lundi, décembre 4, 2023
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En Iran, les bénéfices de l’accord sur le nucléaire tardent à venir

avec Reuters

Les espoirs de voir l’Iran rapidement réintégrer les marchés mondiaux après l’accord sur son programme nucléaire, pouvant ainsi attirer les investissements et créer des opportunités d’emploi pour une population jeune, sont sur le point de tourner au vinaigre. Un environnement économique opaque en Iran et l’incertitude politique aux États-Unis sont à l’origine de ce constat.

Les hôtels de Téhéran regorgent d’hommes d’affaires désireux de se partager une tranche d’un nouveau grand marché émergent, dans un pays développé industriellement plus que la plupart des nations riches en hydrocarbures, mais isolé depuis la révolution islamique de 1979 qui a transformé l’Iran en un Etat paria pour une grande partie de l’Occident et beaucoup de ses voisins du Moyen-Orient.

Pourtant, les investisseurs étrangers potentiels ont constaté que la levée des sanctions internationales en échange de limites imposées au programme nucléaire de l’Iran n’est qu’une partie de cette histoire.

Les obstacles à l’entrée au marché iranien comprennent la résistance des extrémistes qui craignent une ouverture au monde va saper leurs intérêts bien établis, et la peur des investisseurs étrangers de tomber sous le coup de sanctions américaines restant en place.

En vertu de l’accord sur le nucléaire, les États-Unis et l’Europe ont levée des sanctions en janvier. Mais d’autres restrictions imposées par les Américains demeurent. Celles-ci comprennent l’interdiction de faire des transactions en dollar avec l’Iran dont le traitement passe par le système financier américain, ainsi que des sanctions contre les personnes et entités identifiées comme soutenant le «terrorisme parrainé par un État».

La principale cible des sanctions anti-terroristes est le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGR-pasdarans)), la force de l’ordre du régime théocratique à l’intérieur et sa force de frappe à l’extérieur du pays. Le CGR est également derrière un empire commercial, qui englobe des secteurs allant de la construction à la banque et finances, et qui est passé maître dans l’art de la dissimulation de son implication.

Les investisseurs et les banques étrangères de haut-niveau craignent des représailles des Etats-Unis qui pourraient les exclure du système bancaire international si elles traitent, même par erreur, avec les entités sous sanction.

En outre, selon des analystes iraniens et des cadres étrangers, la montée de Donald Trump, le magnat américain qui pourra décrocher l’investiture républicaine à l’élection présidentielle de cette année, et qui a menacé de déchirer l’accord sur le nucléaire, s’ajoute aux incertitudes. Pourtant, même sans cette incertitude, les partenaires commerciaux potentiels se trouvent bloqués.

LIENS AVEC LE CGR
Les cadres étrangers qui guettent les affaires en Iran, disent que quand ils examinent l’enchevêtrement des propriétés derrière les sociétés qu’ils approchent, ils détectent souvent des liens avec le CGR.

Claude Begle, président de SymbioSwiss, une entreprise de logistique et de l’infrastructure, indique qu’il a constaté qu’un projet exploratoire révélait de tels liens.
«Nous avons fait beaucoup de diligence raisonnable et nous avons constaté que les noms des institutions figurant sur la liste des sanctions de l’OFAC (Office du Trésor américain de contrôle des actifs étrangers) ne sont parfois pas très loin, » a-t-il dit en référence apparente au CGR.

« Quand vous regardez de près la structure des actionnaires du deuxième ou troisième niveau, alors vous voyez que ces noms pourraient apparaître. Ils sont bel et bien là ».

« Très souvent, lorsque vous scrutez les entreprises qui réussissent en Iran, vous pouvez voir ça plus clairement. Et à moins que ces entreprises ne soient prêtes à modifier la structure ou la composition de leurs conseils d’administration, il sera très difficile d’obtenir du financement international pour travailler avec de telles entités. »

Le problème central pour les investisseurs étrangers potentiels est que même un contact involontaire avec un interlocuteur iranien sous sanctions pourrait entraîner de lourdes sanctions du Trésor américain, les privant ainsi des marchés financiers de l’Amérique – un frein puissant pour toute entreprise mondialisée.

Alexander Gorjinia, membre de la deuxième délégation commerciale allemande à visiter l’Iran depuis août 2015, affirme que «le plus gros problème est celui des banques ».
Alors que les entreprises et les banques peuvent avoir le feu vert du gouvernement allemand pour opérer en Iran, l’OFAC « met la responsabilité d’établir si l’entreprise (iranienne) est « propre » sur les épaules de la société étrangère. »

« La société étrangère doit enquêter sur l’entreprise iranienne pour savoir si celle-ci est liée au CGR ou en fait partie », a déclaré Gorjinia à Reuters.
« Il doit enquêter sur leurs relations commerciales, la façon dont elles opèrent dans les coulisses. Nous devons travailler avec des entreprises qui ont de l’argent dans la poche mais que la plupart font partie du CGR. Voici ce que nos informations nous révèlent ».

« Les entreprises européennes estiment que toutes ces règles font partie d’un plan de l’administration américaine pour bloquer les affaires entre l’Europe et l’Iran », regrette-il.

Une partie du problème vient du fait que des unités du CGR interviennent dans plusieurs des guerres à travers le Moyen-Orient.

En Irak, l’Iran s’est aligné avec les Etats-Unis dans la lutte contre les djihadistes de l’Etat islamique. Mais en Syrie, Téhéran est du côté opposé avec la Russie, et soutient le gouvernement du président Bachar al-Assad, alors qu’au Yémen, l’Iran a soutenu l’insurrection chiite Houthi incitant l’an dernier l’Arabie Saoudite, l’alliée des Etats-Unis, à lancer une campagne aérienne au-delà de sa frontière sud.
Dans un tel contexte, ceux qui s’attendent à ce que les États-Unis desserrent les sanctions contre le CGR et son empire commercial sont peu nombreux.

CRAINTE CHEZ LES BANQUES
Alors que les hommes d’affaires occidentaux suggèrent communément que leurs homologues chinois ou russes seraient moins inhibés par les sanctions américaines, un chef d’entreprise chinois à Téhéran, qui a voulu garder l’anonymat, met également en évidence le problème pour lequel les banques internationales, craignant d’être verrouillé sur les marchés de capitaux américains, ont jusqu’à présent dédaigné le marché iranien.

Représentant d’une société de la machinerie pour les installations pétrolières et gazières, il a visité l’Iran à plusieurs reprises depuis l’accord sur le nucléaire, mais n’a pas encore réussi à signer un seul contrat. La plupart des compagnies iraniennes, dit-il, même quand il y a une demande claire pour son matériel de forage, « ne disposent pas d’argent pour payer ».

« Ils demandent aux vendeurs de fournir un financement, » dit-il « mais cela est impossible parce que partout dans le monde, aucune banque étrangère n’ose faire des affaires avec les banques iraniennes, car ils ont peur et hésitent… jusqu’à ce que les grandes banques (internationales) commencent à faire des affaires, mais les banques européennes ont encore peur des banques américaines « .

Les dirigeants iraniens se plaignent d’avoir été quelque peu trahis sur la partie de l’accord nucléaire qui concerne la levée des sanctions.

«Sur le papier, les États-Unis permettent aux banques étrangères de travailler avec l’Iran, mais en pratique, ils créent une sorte d’iranophobie afin que personne n’ose faire des affaires avec l’Iran », a déclaré l’ayatollah Khamenei le mois dernier.

Begle, le chef d’entreprise suisse, affirme que le président Hassan Rohani a demandé, au début de cette année, au président de la Confédération helvétique en visite en Iran à insister auprès des banques suisses de premier plan pour commencer le financement des opérations étrangères en Iran.

« Mais bien sûr, le gouvernement suisse ne peut pas dire à une entreprise privée ce qu’elle devait faire», poursuit Begle. « Il peut indiquer qu’il ait un avis favorable, voire même envisager des garanties, mais après tout, cela reste une décision que doit prendre la banque elle-même. »

HOSTILITÉ
Pourtant, d’autres obstacles existent aussi. Les intérêts du CGR et d’autres acquis par les conservateurs regroupés autour de l’ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême, font qu’ils sont hostiles à l’entrée des étrangers dans l’économie iranienne.

Khamenei, dont la puissance dépasse de loin celle des élus au parlement ou à la présidence, a apporté un soutien décisif à l’accord sur le nucléaire qui a renforcé considérablement la position de Rohani. 

Dans une coalition avec des réformateurs et conservateurs indépendants, Rohani a arraché le contrôle de parlement aux durs du régime lors des élections de février. Certains de ses alliés croient, que ce succès devrait rendre plus facile pour le gouvernement de faire voter des lois favorables aux entreprises.

Pourtant, il y a quatre ans, le parlement a adopté une loi visant à réduire le rôle de l’État dans l’économie, mettre en place des organismes de réglementation crédibles et fournir des garanties aux investisseurs, et éventuellement obtenir des entités contrôlées par le CGR de payer des impôts. Or, cette loi n’a jamais été appliquée.

De l’avis de certains analystes iraniens, Rohani incarne les attentes que les intérêts bien établis liés au CGR semblent déterminés à contrecarrer, parce que les sanctions leur ont permis de gagner beaucoup et de garder le contrôle de l’économie.

Hossein Raghfar, professeur d’économie à l’Université Alzahra de Téhéran, estime qu’ « il y a beaucoup de groupes d’intérêts qui se sont très enrichis en raison de la crise économique. Ils n’ont pas intérêt à ce que les sanctions soient levées. « 

Saeed Laylaz, un économiste proche de Rohani, estime de son côté que l’économie du pays a été mis à genoux par la mauvaise gestion plus que par des sanctions. Emprisonné après la répression des manifestations contre l’élection présidentielle truquée qui aurait permis a Mahmoud Ahmadinejad d’obtenir un second mandat en 2009, il ne sous-estime pas l’hostilité des intérêts établis contre une économie plus ouverte. « J’ai la firme conviction qu’une partie spécifique du régime a eu et a toujours le projet de faire maintenir des sanctions contre l’Iran pour cacher leur mauvaise gestion et leur pillage organisé de la richesse économique. »

« Pour changer l’atmosphère générale pour les affaires dans le pays, le chef suprême, le CGR et le système judiciaire doivent tous monter à bord », dit Laylaz.
«Ce sont des éléments très importants pour attirer les investissements étrangers. Le seul soutien du parlement ne suffira et ne fonctionnera pas du tout. A cause de cela, je ne suis pas très optimiste à ce sujet. «