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Economie : Les finances de l’Iran soumises à une pression sans précédent

LONDRES (Reuters) – 10.06.2012 – A quelques semaines de l’entrée en vigueur de l’embargo pétrolier européen, le 1er juillet, les finances de l’Iran semblent soumises à une pression sans précédent.

La patience de la population est éprouvée par une inflation galopante dans un contexte de baisse des cours du pétrole, ressource stratégique de la république islamique.

Les sanctions imposées par les Occidentaux depuis la fin de l’année dernière ont grandement compliqué l’achat et le paiement de pétrole iranien et la production d’hydrocarbures par Téhéran est à son plus bas niveau depuis vingt ans.

Elle atteint 1,6 million de barils par jour, contre 2,2 millions bpj en 2011, en baisse de quelque 600.000 bpj, et cette diminution devrait encore s’accentuer avec la mise en oeuvre de l’embargo voté par l’Union européenne en janvier dernier.

L’Iran aurait déjà perdu cette année plus de 10 milliards de dollars de revenus pétroliers et le tableau est encore assombri par le repli des cours pétroliers, sous 100 dollars le baril la semaine dernière, qui s’explique par les risques de ralentissement économique en Europe, aux Etats-Unis et en Chine.

« C’est un acte de guerre économique. Les sanctions ont un gros impact cumulatif; l’Iran est verrouillé par le système financier international », déclare un ancien responsable de la compagnie pétrolière National Iranian Oil Co., Mehdi Varzi.

« Il semble vraiment que l’Iran soit plus disposé à négocier aujourd’hui qu’il y a un an. L’Occident devrait tirer profit de cette situation provisoire pour offrir des concessions plus importantes -une feuille de route pour dire où aller », déclare cet Iranien désormais à la tête d’un cabinet de consultants en Grande-Bretagne.

Les négociations sur le nucléaire iranien ont repris cet hiver entre Téhéran et les six puissances chargées de négocier avec elle, mais aucun progrès tangible n’a été encore annoncé.

« MÊME LES FRUITS SONT DEVENUS UN LUXE »

Vivre avec les sanctions n’est pourtant pas une nouveauté pour les Iraniens et le renforcement des sanctions, même s’il conduit à une baisse des exportations, n’est pas la fin du monde, affirme-t-on en haut lieu.

« Personnellement, je serais très heureux si notre dépendance vis-à-vis des revenus pétroliers pouvait diminuer », avance même un responsable du secteur pétrolier.

L’Iranien de la rue, frappé de plein fouet par une inflation qui s’accélère depuis six mois, est plus sceptique.

« J’ai été frappé par le niveau des prix quand je suis allé hier à l’épicerie », déclare Ahmad, 54 ans, petit patron dans le bazar de Téhéran.

Il note que le prix des pommes a plus que doublé au cours du mois écoulé, que celui des fraises a presque triplé, à 110.000 rials le kilo, soit plus de six dollars aux prix du marché.

« Même les fruits sont devenus un luxe », dit-il.

Le taux d’inflation s’établit officiellement à 20%, mais la hausse des prix des denrées de base est plus violemment ressentie, soulignent les économistes.

L’économie du pays est soumise à ce que le gouvernement a qualifié d' »intervention chirurgicale majeure », sous la forme d’une réduction drastique des subventions qui ont maintenu durant des années à un niveau modeste, à coups de milliards de dollars, les prix de biens essentiels comme la nourriture ou le carburant.

Le litre d’essence reste stable mais les tarifs des transports publics ou des taxis ont grimpé.

Certaines PME subissent de plein fouet le renchérissement des fournitures.

« Je ne sais pas combien de temps on pourra tenir comme ça. Ce sera sans doute impossible si les sanctions se durcissent », prédit le patron d’une petite société spécialisée dans l’importation.

L’INDE ET LA CHINE À LA RESCOUSSE?

Sur le front des exportations, de grands groupes européens ont cessé d’acheter du pétrole iranien. L’Iran espérait que l’Inde et la Chine, deux clients de premier plan, compenseraient les pertes liées à l’Europe, mais rien n’est moins sûr.

« J’ai l’impression que l’Inde et la Chine n’ont pas collaboré autant que l’espérait l’Iran », déclare un responsable occidental du secteur pétrolier. « Mais il est très difficile d’avoir une idée claire des mouvements car ils fermement délibérément toute communication à ce sujet. »

Depuis début avril, la république islamique dissimule la destination de ses ventes pétrolières en éteignant le système de repérage de ses tankers.

Mais le décompte des barils recensés à l’arrivée chez ses quatre principaux clients -Chine, Inde, Japon, Corée du Sud- traduit une baisse de 20%, ou 357.000 bpj, jusqu’ici en 2012, selon les chiffres des gouvernements et de l’industrie.

Calculée sur la base des prix du Brent, cette diminution aurait privé l’Iran de 4,3 milliards de dollars de janvier à avril.

A partir du 1er juillet, date de l’entrée en vigueur de l’embargo de l’Union européenne, l’un des principaux acheteurs de pétrole iranien en tant que bloc, la banque Morgan Stanley s’attend à voir les exportations iraniennes baisser encore de 150.000 bpj.

Parallèlement, d’autres pays membres de l’Opep, et grands rivaux stratégiques de l’Iran comme l’Arabie saoudite, augmentent leur production.

L’Iran, deuxième producteur de l’Opep, pourrait connaître cette année une baisse de 39% de ses revenus pétroliers, à 44 milliards de dollars, tandis que l’Arabie saoudite pourrait les augmenter de trois milliards, à 294 milliards de dollars.

« La seule solution pour l’Iran est de réduire son budget, qui a encore de la marge », estime Mehdi Varzi.

Jean-Stéphane Brosse pour le service français